Les prix qui tuent, dans un monde assez grand pour les uns, trop petit pour les autres

Photo: Le Monde


L’actualité du Japon a quasiment chassé, de la une des médias, une question lybienne qui avait précédemment pris toute la place. Cette logique pyramidale, à l’oeuvre dans le traitement de l’information, n’est pas sans pousser nos consciences à une forme de monomanie.
Cependant, bien sûr, d’autres crises anciennes ou permanentes subsistent. Aucun tsunami ne les tempère, aucun silence n’allège leur charge parfois mortelle.

Voici que le site du journal Le Monde présente un « récit multimédia », intitulé « Le prix du riz : question de vie ou de mort. » Ce prix a doublé au Bangla-Desh en deux ans.

Rappelons ce que l’ancien commissaire de l’Onu pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, dont L’empire de la honte vient de paraître en édition de poche (6,50 euros), répète avec force dans ses livres, articles et conférences: « Dans les conditions actuelles, tout enfant mort de faim est assassiné. » Une affirmation qu’il démontre à satiété. Or un enfant de moins de dix ans meurt des suites de la faim toutes les 22 secondes sur cette planète.

Rappelons aussi que même la commission européenne a fini par reconnaître que la finance était responsable d’une part de la hausse mondiale des prix alimentaires, dans une proportion qui irait jusqu’à 75% selon certaines sources. « Le monde est assez grand pour répondre aux besoins de tous mais il sera toujours trop petit pour répondre à la cupidité de quelques-uns », disait Gandhi, aujourd’hui cité par l’économiste Jeffrey Sachs.

Si nous croisons les deux paragraphes qui précèdent, il est facile de comprendre qu’ « investir » – mot inexact, notre « épargne » – mot douteux, en banque, ou dans une société d’assurance, nous met dans un rapport de causalité immédiat avec des tragédies planétaires majeures.
Il est donc facile de savoir ce qu’il ne faut plus faire de son argent.
C’est « Une vérité qui dérange », sans doute, dont il me semble que chacun a l’intuition.

*

Revenons-en au récit du Monde qui suscite ces réflexions. Il reprend cinq courtes vidéos, d’à peu près une minute, dont voici quelques extraits:

« On n’a plus aucun rêve. On n’a pas le temps de rêver. On passe notre temps à travailler, pour manger. (…) On arrive encore à acheter des lentilles, pour accompagner le riz. »
Sahida, 25 ans, femme de ménage, 14 heures de travail par jour

« On achète même de la viande et des légumes, une ou deux fois par mois. Mais si les prix continuent d’augmenter, on ne mangera plus que du riz et des lentilles. »
Amila, 32 ans, couturière

« Maintenant, je travaille 12 heures par jour. Et même comme ça, nous ne mangeons plus à notre faim. »
Abdu, 29 ans, vélotaxi

« On ne mange plus qu’une fois par jour. Les mauvais jours, on ne prend aucun repas. »
Munni, 30 ans, mendiante

« Un ami a carrément arrêté l’université parce qu’il n’arrivait pas à se nourrir. Il était passé à un repas par jour. »
Mohammed, 23 ans, étudiant.

…Bonne fin de journée.

« Le pire »… et nos amis japonais

(Écrit cinq jours après le tsunami à Fukushima)

Fukushima_bp34Photo: http://inapcache.boston.com/universal/site_graphics/blogs/bigpicture/japan_031411/bp34.jpg



Fukushima.

Nos amis japonais vont prendre le pire en pleine figure.
En pleine poire, en pleine tronche… En pleine gueule!

Le langage a de ces manières de détourner la douleur, de viriliser le détournement, qui ne trompent pas toujours.

Cette fois, la chose va dépasser le mot, le réel va enfoncer les discours ubiquitaires, savants, reçus, admis, responsables.
Le réel est en passe de nous dire que les haut-parleurs nous débitent du débile et du bidon, de l’insignifiant trop signifiant.

Et nos amis japonais vont prendre le pire en plein rêve, le pire en pleine croissance, en pleins projets, en plein bonheur, le pire en plein espoir de jours meilleurs.
Nos amis japonais ont eu la primeur du nucléaire militaire, voici qu’ils vont se farcir la totale du nucléaire civil.

Les petits camarades et voisins du réacteur numéro quatre, sagement alignés à sa portée, vont multiplier la fête.
Puissance quatre, exponentielle quatre, méga quatre, quatre à la douzaine, ça pleure déjà et c’est hélas à peine un début.
Du coup, l’empereur prie.
Non seulement il prie, mais il le dit devant les caméras. Peut-être qu’il ne prie pas, d’ailleurs. Enfin, il le dit.

Juste un détail.
Vous vous rendez compte? Ils ont un EMPEREUR.
Et même, la moitié de l’Europe a un ROI ou une REINE.
Les Japonais ont un EMPEREUR.
Les enfants sont parqués le long du passage annoncé des monarques, ils agitent de petits drapeaux en papier et crient avec l’instit: Vive le Roi! Ou: Vive la Reine! Ou: Vive l’Empereur!
Il paraît que c’est une variété de démocratie…
Ce sont des détails de rien du tout, n’est-ce pas. Des détails qui n’ont rien à voir avec rien.
Certains voudraient qu’il y ait une « décence » à se taire devant la douleur, une décence à ne pas en « profiter » pour étayer sa critique de l’ordre régnant.

Dormons.

Nous sommes toujours « à l’âge de fer planétaire ».
C’est une expression que j’emprunte à Edgar Morin et Samir Naïr, dans leur livre plutôt fûté, Pour une politique de civilisation, que je cite pour ne pas paraître complètement idiot après les lignes qui précèdent.
Car bien que vous apparteniez à mon fichier d’adresses soigneusement choisies, on ne sait jamais, vous pourriez me prendre pour ce que je ne suis pas.
C’est le moment de vous dire fièrement que
les désabonnements à mes courriers non sollicités sont désormais totalement automatisés. N’hésitez donc pas si vous ne voulez plus me lire, cela n’a rien de personnel.

Allons!

Quand les amis de Charles Mingus entendaient Ray Brown à la radio, en direct à l’époque, ils croyaient écouter leur pote.
C’est dans les mémoires du premier, Moins qu’un chien.
Il y a un lien, mais j’ai oublié lequel.

Bonne nuit ou bonne journée, et à bientôt.

Guy