D’une conversation radio, « Austérité et croissance »


Il y a des silences radio.
Réaction ci-dessous, à une, conversation radio.


Madame Cornil,

J’ai écouté en podcast, votre intéressante émission « samedi + » de ce jour, sur le thème « Austérité et croissance ».

Je dois vous dire qu’il y a une confusion permanente et lassante dans ce genre de conversations, à savoir l’attribution d’un sujet unique aux réalités sociales, mêlant en un tout indistinct le gouvernement, la population, les salariés, le patronat, les actionnaires et la finance, bref les différents groupes sociaux et intérêts qui se combattent d’une manière ou de l’autre pour le ciel des idées et pour le partage des richesses terrestres.

 

Par exemple, il a été dit que « les Islandais » ont refusé de payer des créanciers. Même monsieur Dupret, qui appartient à une gauche critique, n’a pas reformulé. En réalité, il faut dire et comprendre : « le contribuable islandais a refusé de payer la faillite des actionnaires bancaires privés ».  C’est très différent, et cette confusion de langage, qui n’est pas neutre, est omniprésente dans le débat !

Dire, comme entendu à votre émission, que « la banque centrale européenne a choisi d’être indépendante », doit me semble-t-il se comprendre comme ceci : « les gouvernements de la zone euro et la commission ont depuis trente ans organisé une indépendance totale de la BCE par rapport aux gouvernements nationaux et donc par rapport au suffrage universel, et coulé sa mission dans le bronze institutionnel d’un objectif prioritaire, la lutte contre l’inflation » ! (Vous vous souviendrez peut-être ne pas avoir été informée de cette évolution, ni a fortiori consultée, pas plus que moi dois-je le dire, ni quelques autres.)
Pourquoi cette priorité ? Il ne faut pas une longue enquête pour découvrir le groupe d’intérêt dont l’inflation est le cauchemar : …le financier.

Mais voilà, à tous les micros et dans la plupart des journaux, on appelle le financier un « investisseur », ce qui est un abus de langage féroce !
Les problèmes que nous cause la financiarisation de l’économie résident précisément dans ce fait que les excédents (qu’il ne faut pas appeler « épargne », ce qui est une autre et permanente distorsion sémantique) justement ne sont pas investis, c’est-à-dire consacrés à des activités productives de biens ou de services, mais placés ou joués dans la finance. La finance représente précisément, pour les détenteurs d’excédent, l’inintérêt et l’impossibilité de l’investissement (dans la production), entraînés par l’absence de débouchés que constitue la contraction de la part salariale. Oui!

 

Faire valoir que « les Grecs » souffriraient d’une éventuelle rupture d’avec l’euro, c’est oublier à quel point « ils », entendons les Grecs modestes, souffrent depuis cinq ans de récession allant jusqu’à la réduction des salaires pour ceux qui en ont encore, que le suicide en relation avec ce traitement de la crise y est quotidien, comme déjà plus ou moins en Italie, et que si les élections de juin provoquent un jour le retrait grec de l’euro, ce sera justement en raison d’une souffrance passée et actuelle insupportable. Peut-être connaissez-vous le blog Greek Crisis, http://greekcrisisnow.blogspot.fr/, tenu en français par l’historien et ethnologue Panagiotis Grigoriou.
Certains de vos interlocuteurs me font penser à ce politologue et historien belge qui vient de comprendre, « en raison » d’une incarcération de cinq jours, la nature du régime syrien, que l’exercice de sa profession d’intellectuel ne lui avait pas permis de percevoir en plusieurs années.

 

Etc.

 

En réalité la science économique n’existe pas.

J’ai étudié cette discipline pendant quatre ans à l’université, et je la tiens pour un discours de légitimation de l’injustice. Bien sûr, je n’ai pas trouvé ça tout seul. Quelques solides auteurs sont à mes côtés. Ainsi Frédéric Lordon, qui vient de le réaffirmer avec force dans son blog, sous le titre « Euro, terminus ? ». Il n’y a pas de science économique, dit-il, il y a une économie politique, il y a la politique, et cette dernière se caractérise en ce moment, en Grèce particulièrement, après l’Islande à sa façon, par l’irruption sur la scène de l’acteur que les pouvoirs veulent à tout prix tenir à l’écart : le peuple, le corps social, les gens d’en-bas, les pauvres.
À 90 ans, J.K. Galbraith n’a pu qu’intituler son testament d’économiste Les mensonges de l’économie, et à côté de quelques rares économistes hétérodoxes, l’un des commentateurs les plus pertinents de la situation actuelle n’est pas économiste, mais anthropologue, c’est le Belge Paul Jorion, dont je ne peux que vous recommander les ouvrages et le blog, qui est en soi un phénomène de l’Internet : http://www.pauljorion.com/blog/.

 

Vous aurez une illustration de ce que ces considérations, lectures et réflexions peuvent produire pour l’amateur que je suis, qui préférerait ne s’occuper que de son jardin, mais que l’indignation rattrape régulièrement. En cliquant, sur le blog où je suis en train de rassembler mes archives éparpillées sur le net ou dans des courriers électroniques, sur les tags « économistes » ou « finance ».

 

Bien à vous,

 

Guy Leboutte,
Liège

Une réflexion au sujet de « D’une conversation radio, « Austérité et croissance » »

  • 26 mai 2012 à 20h16
    Permalink

    5 ans dites-vous… bien plus que cela hélas. Il y a 5 ans, les grecs ramaient déjà depuis au moins 10 ans. Et des vieilles dames de 72 ans encore obligées de travailler six mois par année (l’année touristique) à moins de 6 euros de l’heure pour survivre avec un vieux mari totalement infirme et dépendant qui ne touchait que 250 euros de pension.

    Et des médecins qui depuis 15 ans ne touchaient que 20 % de leurs honoraires avec pourtant tous les frais de cabinet, de matériel, etc… et dont les décomptes de prestations ressemblaient à des tickets de super-marché de thon en action, environ 2,50 euros par prestation… La somme la plus grosse que j’aie vu sur ce décompte était de 6,50 euros pour une radiographie de contrôle au milieu d’une opération, dont le succès dépendait de la précision et de l’interprétation…

    Et bien d’autres choses encore. La liste serait trop longue. Ces gens là étaient déjà il y a cinq ans à peine le nez hors de l’eau et la suffocation menaçait. Alors que dire d’aujourd’hui…

    Nos journaux, dirigeants etc… reprochent à l’Eglise grecque de ne pas payer d’impôts, mais c’est faux ! Elle en paie et sans l’Eglise, tous ces gens là seraient déjà morts, l’Eglise remplace le service social inexistant dans ce pays, c’est elle qui fournit les terrains en location pour la somme symbolique de 1 euro à vie pour que les gens puissent construire et aient un toit pour leur famille et c’est pourquoi il y a tant de maisons avec juste 4 murs et un toit parce qu’ils construisent pierre par pierre, quand ils peuvent, c’est l’Eglise qui nourrit les plus faibles, paie les médicaments aux plus démunis et les habille. Elle a donc très largement payé son impôt sous une autre forme, celle de remplacer l’Etat dans ses lacunes.

    C’est un pays bourré de richesses, agriculture, pisciculture etc… plus de 60 % des daurades et loup consommés en Europe viennent de là.

    Il faut réclamer tout cet argent envolé et fourni par le travail des grecs à ceux qui l’on pris : la mafia ! Un mot imprononçable dans ce pays, ils n’osent même pas le chuchoter. Ils ont la main sur tout, toutes les taxes exorbitantes, et même sur les poubelles.

    Pour avoir une éducation convenable pour leurs enfants, les grecs sont obligés de les envoyer étudier à 60 km de chez eux, de faire 2 x par jour le trajet aller-retour pour les amener et les reprendre, et de plus payer 600 euros par mois et par enfant dans des écoles « étatiques » un peu meilleure que celle de leur village.

    Je ne parle pas des universités réparties par secteur de formation à des centaines de kilomètres.

    Cherchez l’erreur… Sauver les grecs : OUI. Sauver un état corrompu jusqu’à l’os : NON. C’est à lui qu’il faut demander des comptes, pas au peuple grec.

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