« Burnoutte », de l’anglo-américain burn-out, subst. masc., lecture provisoire

Théodore_Géricault_-_L'Aliéné
Théodore Géricault, L’Aliéné

L’expression « burn-out » a tout du langage des motoristes et des artificiers. Elle indique l’épuisement complet du carburant. La fusée ou le pétard ont fait long feu.
Voilà un premier point.
Cet anglicisme recouvre un état proche de la notion psychologique plus ancienne de « décompensation » : épuisement, perte de repères, perte même du sens de l’identité. Pendant quelques jours le burn‑outé ou la burn‑outée ne savent plus vraiment qui ils sont.
Or voici que le burn-out a cessé d’être rare ou anglophone. Abandonnons les guillemets et les italiques, car chacun connaît désormais, et dans sa langue !, un cas de burn-out ou deux, rien n’indiquant la fin prochaine de cette extension du domaine de la chute.
Comme je suis fier de parler l’idiome dans lequel je suis tombé à la naissance, ce qui ne me donne aucun droit et n’a rien à voir avec la raison d’état, qu’elle soit de Hollanboma ou de Merkeloutine, comme je suis fier que 20.000 personnes au monde parlent le routoul
J’écris ton nom, burnoutte.
Le burnoutte.

Essayons une lecture provisoire.
Le burnoutte résulterait de deux réalités.

D’abord, il y la pression sur les travailleurs de tout niveau.
Par­ leur mise en concurrence, par les modes d’évaluation permanente et chiffrée, le ranking, par la modélisation des objectifs et des performances, par la normalisation des « compétences » qui exclut toute notion de savoir ou de savoir-faire (exclusion merveilleuse aussi dans le domaine des formations). Il y a tout ce processus, devenu omniprésent dans le monde du travail salarié, qu’Alain Supiot dissèque magistralement dans son livre L’esprit de Philadelphie.
Supiot nous dit que nous sommes passés du gouvernement par des lois à l’administration des choses. Les salariés de tout niveau sont traités comme des choses (et pas dans leur seule dimension de salariés !), et nous en sommes arrivés au « marché total » (d’autres parlent de la « marchandisation » de tous les aspects de la vie humaine et naturelle), dont le germe éclot d’après lui dès la campagne de Verdun. Du droit, il a une conception idéaliste et irénique (« qui croit en la paix universelle » ) qui me laisse sur ma faim, mais son analyse de l’évolution de la législation et des relations du travail me paraît tenir du scalpel autant que de l’orfèvrerie.

Deuxièmement.
Pour que les salariés en arrivent au burnoutte, qui signifie que l’effort porté contre soi-même a dépassé une limite très haute de dangerosité, il faut aussi que les enrichisseurs d’employeurs estiment ne pas pouvoir se soustraire à l’exigence qui leur est faite. Il faut qu’ils soient dévoués ou perfectionnistes, serviles, aliénés, je dirais qu’ils doivent être domestiqués comme le cheval prêt à obéir à la cravache jusqu’à l’épuisement mortel. L’on sait que tous les animaux n’acceptent pas le dressage jusqu’à cette extrémité, et de même tous les salariés mis dans des conditions identiques n’iront pas jusqu’au burnoutte. Certains feront des oublis, des gaffes, des endormissements, une simple chute de tension, ils craqueront, lâcheront, démissionneront avant le burnoutte. Ou ils se révolteront, un peu, beaucoup, passionnément, ils se fâcheront sur un supérieur, ils saboteront la chaîne de fabrication ou l’informatique de l’entreprise qui les maltraite. D’une manière ou d’une autre ils feront un pas de côté et « sortiront du cadre », consciemment ou pas. Selon les options de l’observateur, il sera dit que leur inconscient, leur conscience, leur tempérament, leur ange gardien, les protégera.
Faut-il être un peu con pour faire un burnoutte? Ça se discute…

*

Nous décrétons donc provisoirement et solennellement :

Un. La banalité croissante du burnoutte condamne sans appel le rapport salarial d’aujourd’hui.

Deux. Il n’y a pas de burnoutte sans consentement.

Trois. Le burnoutte montre d’une façon effrayante où peut mener cette domestication de l’homme par l’homme qu’est l’aliénation.

Une réflexion au sujet de « « Burnoutte », de l’anglo-américain burn-out, subst. masc., lecture provisoire »

  • 13 avril 2015 à 10h39
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    Petit complément.

    J’ai lu avec plaisir votre texte, aux accents parfois emplis de La Boétie, mais à quoi, et si vous le voulez bien mon cher Guy, permettez que vous appelle Guy ?, il faudrait ajouter qu’il existe des situations nettement plus fines, beaucoup moins lisibles, devrais-je dire, dans lesquelles se trouvent enserrés des salariés. Certes : ils sont bien captifs des liens de subordination constitutifs du rapport salarial. Mais leur problème n’est pas que là : ils sont en outre le jouet d’un rapport vicié, victimes de harcèlement ou encore d’un(e) « pervers(e) narcissique ».

    Que voilà un syntagme qui ne doit rien à nos chers anglo-saxons et qui fleure bon le terroir moliéresque. C’est qu’il y a quelques années, à la fin du siècle passé à vrai dire, on ne se fiait qu’à la seule Marie-France Hirigoyen pour obtenir quelque information sur le sujet. C’est elle encore qui nous parlait des pervers relationnels en tout genre sévissant tant dans la vie courante que sur les lieux de travail.

    Depuis, les typologies d’Hirigoyen ont fait florès et l’on ne compte plus les pages Internet consacrées (avec une rigueur toute relative au demeurant) au phénomène.

    En l’absence d’études sérieuses sur le sujet, il est difficile de démêler l’effet de mode de la prégnance réelle du phénomène.

    Quoi qu’il en soit il existe : je l’ai rencontré.

    Je ne vais pas m’étendre plus que de raison, mais simplement souligner qu’il convient en l’espèce de modérer le deuxième point de votre conclusion (provisoire bien que solennelle – ou le contraire). Il faudrait en effet une singulière clairvoyance au salarié, déjà et par définition subordonné, pour d’emblée discerner qu’aux ordres, aux commandements, aux instructions ou aux objectifs auxquels il se voit enjoint de se plier se mêle le pervers plaisir (dont je suis heureux de ne pas percevoir l’exacte nature) d’un(e) manipulateur(/trice). Et si le cas advient, s’il « voit » et que le salarié alarmé secoue son joug, chaque geste qu’il pose, chaque appel (à l’aide) qu’il lance, chaque mouvement de rébellion qu’il ose se retournent littéralement contre lui puisqu’ils tendent à valider la thèse du harcelant : décidément ce salarié mérite bien le traitement qui lui est réservé, tout démontre qu’il est paranoïaque (ou incapable), qu’il voit des complots partout et se consacre moins à sa tâche qu’à débiner ses supérieurs… J’en passe.

    Rien, pas d’écoute, pas d’issue, chaque mouvement resserre les liens : que le salarié s’obstine et c’est le burnoutte.

    Dès lors, hors la fuite (et dans quelles conditions ?), point de salut.

    Non, ce n’est pas toujours, peu ou prou, consentant que le salarié se retrouve littéralement jeté en burnoutte.

    Ce n’est qu’une nuance, certes, mais aussi une souffrance dont il convient de prendre la mesure.

    Bien cordialement,
    JF.

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