Blondinescent

 

Bonjour!

C’est la nouvelle donne, la dernière et provisoire extrémité de la vérité dans ce pays-là: chaque mois, un millionnaire se lève pour sauver l’Amérique.

Derrière lui, avec lui, il y a Dieu. Car « réussir dans la vie » , là-bas, est synonyme de gagner de l’argent, et le signe que vous protège et vous a élu ce type, dont nous parle chaque billet vert de la monnaie encore impériale: « In God we trust » , que le PrésiDent invoque à la fin de chaque discours par la formule « God bless America » . (Je ne sais quelle boucle cyber-neuronique se charge à chaque fois de me faire lire ou entendre In Gold we trust et Gold bless America.) Sans cesse ils plantent leur drapeau, sur leurs champs, leurs collines, leurs immeubles, commerces, voitures, logos, publicités, snacks, slips et chapeaux.

1dollar

 

Ils ont de la chance, les Américains!
Dieu a des tas de plans pour sauver les USA, le meilleur et le seul morceau d’Amérique qui vaille d’être nommé. On n’avait plus vu ça en Occident, un tel coup de pouce de la divinité, depuis Jeanne d’Arc.
Après tout ce que le Type Des Billets Verts a sauvé depuis la nuit des temps, et avec tout ce qu’Il sauve quotidiennement, les fans d’Amérike ont de quoi être confiants en l’avenir. Dieu travaille ferme! Il va prochainement éradiquer la misère, l’ignorance, la cupidité, le militarisme, bientôt il n’y aura plus d’enfants qui naîtront juste pour connaître une longue agonie, ils bossent le Dieu le Père et sa Trinité, le Pape l’aide à fond, infailliblement qui plus est, et toutes ces bonnes volontés, ces Cap48 ces Télétons ces humanitaires ces ONG  la charité dans tous les costumes, des pataugas au smoking. L’erreur de départ est tellement grande, foutredieu vont-ils jamais y arriver? Dieu travaille, personne de censé ne peut le nier.

Bien.

Le milliardaire ou millionnaire du mois s’appelle John McAfee. Il a donné son nom à un logiciel antivirus. C’est un type doué pour les mathématiques, dont il a un ou des diplômes. Il est aussi prof de yoga, ce qui montre une fois de plus que cette pratique n’est incompatible avec aucune petitesse humaine – et c’est un autre sujet, certes, que je ne peux m’empêcher d’évoquer depuis que je l’ai personnellement rencontré -. En revanche, que John McAfee ait partie liée avec la petitesse et les bizarreries humaines, c’est bien dans le propos de ce billet, et il l’a montré maintes fois. Il a eu son quart d’heure de gloire avec une vidéo déjantée intitulée « Comment désinstaller l’antivirus McAfee » .
Dé-jantée? Les accessoires femme ou femmes accessoire sont dé-mises de quelque chose, c’est certain. Est-ce une une jante qui leur manque? Nous sommes au coeur très banal de la dépravation culturelle ordinaire, au coeur de la sociopathologie de la normalité spectaculaire. (Ben oui, j’ai lu La Société du spectacle de Guy Debord, 1967, qui n’a pas pris une ride.) Allons un pas plus loin: si les accessoires de la représentation n’étaient pas des femmes, mais des hommes, qui seraient-ils? Des Einstein, des géniaux, des honnêtes, des simples, des ministres? Habillés, déshabillés? Ils seraient selon toute vraisemblance des larbins. Car il n’y a qu’UN personnage dans cette pub. Les dames que vous voyez sur l’image sont des signes, des promesses de jouissance au sens juridique du terme. Pas des personnes, voyons. Où avez-vous la tête?

McAfee_How_to_uninstall

Avec ça et d’autres frasques comico-judiciaires ou judiciario-pas-drôles au Belize, où les pauvres aiment tant passer leurs vacances, la presse a fini par qualifier ce John-là, qui ne s’appelle pas Kennedy, de « sulfureux », et Intel, la grande compagnie de microprocesseurs aujourd’hui propriétaire de l’antivirus McAfee, a décidé d’abandonner la marque.

Le programme de candidat de John McAfee, futur sauveur de l’Amérike, est centré sur

les problèmes du gouvernement avec la sécurité et la surveillance. Nous perdons notre vie privée [privacy] à un taux alarmant, dit-il, – il ne nous en reste plus. Nous avons abandonné tellement de choses pour l’illusion de notre gouvernement, et notre gouvernement est simplement dysfonctionnel.

La privacy n’est pas celle des seins de ses accessoiristes, on l’a compris. Il annonce donner bientôt plus de détails au sein (désolé!) de son Cyber Party, et n’hésite pas à se prédire la réussite finale: « J’ai un énorme soutien invisible [underground] sur le web. Je vous promets [promise] que je gagnerai car j’ai les votes. » (Time magazine)
Vous suivez? Il a déjà les votes. Il a des clics.

Comme d’hab avec les Ricains, on se doute que la liberté prônée est ici celle du renard libertarien libre libéré dans le poulailler libre, la liberté des nostalgiques du Far-West pour qui l’État est une oppression et ne peut être rien d’autre, la liberté de la jungle humaine.
Dans la nostalgie comme dans le rêve, ça ne coûte rien de s’imaginer en vainqueur, et encore moins si on est déjà vainqueur de quelque chose aujourd’hui. Ça coûte même moins que rien, puisque ça rapporte. Ça rapporte une gonflette de l’ego: si on est un imbécile, on aime ça. Et il y a toujours d’autres imbéciles qui nous aimeront pour ça, notre ego gonflé à l’hélium.

Quel bruit!

Or il y a une chose réellement nouvelle dans la course aux investitures de l’élection de 2016 aux EU.
C’est la présence d’un représentant au Congrès, blanchi sous le harnais, Bernie Sanders, candidat à l’investiture du parti démocrate, qui se dit socialiste.
Ça, c’est du jamais vu depuis très longtemps, ou depuis toujours, au pays où-tout-a-un-prix.
Un socialiste qui remplit les salles et se finance avec des dons d’une moyenne de 31 dollars (il a limité les soutiens à un maximum de quelques centaines de dollars), au pays du Gold is God et du God is Gold, ça c’est une nouvelle.

Bonne journée!

Guy

 

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Post Scriptum: pourquoi ce titre.

Ce John qui ne s’appelle pas Kennedy a un temps très précieux, estimé par rapport au nôtre en proportion de ce que sa fortune est estimée par rapport aux nôtres.
C’est la règle aujourd’hui si j’ai bien compris, et l’on peut supposer, ou supposons, qu’il le pense.

Dans l’article du Time qui annonce sa candidature à l’élection présidentielle, je vois sur sa photo qu’il consacre 30 minutes de ce temps-là, tellement précieux, chic et cher, une fois toutes les deux ou trois semaines, à un méchage blondinescent de sa chevelure. Vous voyez? Quelques mèches blondes-blanches. Ben oui. Des mèches comme ça, ça ne vient pas en dormant.

Antivirus pioneer John McAfee poses for a photograph in Montreal, Friday, August 24, 2013.(AP Photo/The Canadian Press, Graham Hughes)
Antivirus pioneer John McAfee poses for a photograph in Montreal, Friday, August 24, 2013.(AP Photo/The Canadian Press, Graham Hughes)

J’aurais tendance à penser que ces 30 minutes, en regard du temps que vous et moi consacrons au même objet de peinture capillaire, sont en proportion inverse de certaines de nos qualités respectives, à définir. Mais je m’avance. Comment savoir si Dieu serait de cet avis.

Au Moyen-Âge chrétien, les matrones étaient des femmes d’âge mûr qui aidaient les femmes plus jeunes à accoucher, nous dit Wikipedia. Supplétives de la normalité, ce sont elles aussi qui examinaient une femme aux fins d’établir ou non sa virginité (un attribut viandesque et omniprésent étiqueté au cheptel féminin à cette merveilleuse époque) comme elles le firent à Poitiers pour Jeanne d’Arc (le test fut positif). Il se fait que les matrones devaient être brunes ! Hitchcock, lui, au grand jamais ne voulut d’actrices à la chevelure brune dans ses films car elles… etc.

L’Occident a un drôle de rapport avec la couleur des cheveux.

Alors allons-y: blonde ou blondinet?
Il y a pire : blondinescent.
John McAfee est un blondinescent.
Étiqueté, classé, rangé, nommé, désinstallé. Ouf.

2 réflexions au sujet de « Blondinescent »

  • 26 octobre 2015 à 15h46
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    Ah ces brunes matrones! J’ignorais qu’elles dussent être brunes. Mais je sais qu’il leur revint, un peu plus tard, sous le règne de ce Roi Soleil qui avait besoin de soldats, de repérer à la messe les jeunes ventres un peu trop en pointe, ceux par exemple de pauvres filles de ferme violées par nuit noire et tentées de jeter aux cochons le nouveau-né dont elles finissaient par accoucher dans un fossé. Car leur choix était celui-ci : ou bien elles étaient chassées de leur emploi avec leur bouche en plus à nourrir, ou bien, dénoncées par les matrones, elles étaient punies de la peine de mort après procès pour cause d’infanticide. Il arriva que certains juges fussent plus cléments que les matrones. C’est dire!
    Est-ce que je ne m’éloigne pas un peu du sujet, là?

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    • 26 octobre 2015 à 15h59
      Permalink

      Un des sujets de ce billet, que vous contribuez à révéler, est de savoir si nous sommes ou pas dans le sujet. Tout baigne!

      Répondre

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