Abdennour Bidar: « La fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous »

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Bonjour!

« La fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous.»

Cette phrase est d’Abdennour Bidar, Français de double et haute culture.
En lisant son parcours tel qu’il le présente brièvement sur son site créé après les attentats de Paris en novembre 2015, on se prend à s’extasier de constater comme l’immigration peut incroyablement enrichir le pays d’accueil et de non-accueil. Car comme me le disait je ne sais plus qui, dans mon sommeil peut-être, le pays d’accueil est aussi le pays du non-accueil, et inversement.

Abdennour Bidar est un philosophe chevronné, docteur de l’université française, enseignant, chercheur, essayiste, homme de radio. Il est versé en pratique soufie et se définit comme un méditant engagé. Il a publié chez de grands éditeurs classiques et chez d’autres, éditants engagés – séparés de l’auteur par l’épaisseur de la lettre m. Il a signé, par exemple, Lettre ouverte au monde musulman, paru chez Les Liens qui Libèrent en 2015, après Comment sortir de la religion?, chez La Découverte en 2012.

Ce qu’il dit de la fraternité est au principe de tous les désirs d’émancipation. Il n’y a pas de projet civilisationnel ou révolutionnaire authentique qui ne se fonde sur cette notion. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant. Et qu’il me soit permis d’ajouter immodestement que la fraternité doit nous rassembler tous, aujourd’hui sans doute, certes, mais aussi, à jamais. Il n’y a pas d’autre voie.

Abdennour Bidar a écrit en juillet, après les attentats de Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray, un éditorial qui a fait quelque bruit et le mérite, dont sont tirés les extraits que je donne ici.

Il s’insurge avec force contre l’optimisme facile qui voudrait croire que l’islam contemporain est très majoritairement marqué par la fraternité et l’humanisme. Il parle au contraire d’un véritable cancer dans l’islam mondial, d’une crise radicale et d’un déclin de la civilisation arabomusulmane. Et il désigne sans ambage un responsable: le wahhabisme, qui répand mondialement la mauvaise parole féodale d’un obscurantisme datant du XVIIIème siècle, grâce à l’argent du pétrole.

Pour Abdennour Bidar, trois réponses s’imposent.
D’abord, « Déclarer la fraternité au lieu de déclarer la guerre, c’est-à-dire refuser le piège de la haine entre les identités et se solidariser dans l’affirmation de nos valeurs sans se laisser désunir par rien de ce qui nous agresse. »
Ensuite, «  Avoir le courage et la force de lutter non seulement contre la radicalisation des candidats au terrorisme mais interdire et punir sur notre territoire toute manifestation publique d’un islam intégriste, dont le critère simple est la contradiction avec notre culture – valeurs, lois, art de vivre. »
Et en troisième lieu, « Avoir le courage enfin de ne plus entretenir de relations commerciales et diplomatiques indignes et lâches avec des États musulmans fondés sur le pouvoir d’une religion archaïque, intolérante et expansionniste – Arabie Saoudite, Iran, etc.« 

Cet éditorial se trouve sur son site abdennourbidar.fr. Comme le texte est assez court, j’en donne ici une copie complète:

« Depuis janvier 2015, une série d’actes barbares frappe notre France et nous meurtrit profondément. Perpétrés au nom de l’islam, ils sont aussi bien le fait d’esprits malades que l’une des expressions les plus aiguës de la crise radicale dans laquelle sombre aujourd’hui la civilisation arabomusulmane. De là, une très grande difficulté d’analyse : quel lien entre ces cas psychiatriques isolés et l’état général d’une civilisation ?

D’aucuns disent qu’il n’y en a pas. Ils sont aveugles. Comme je l’ai montré dans ma Lettre ouverte au monde musulman, ceux qui nous agressent aujourd’hui sont parmi les métastases les plus meurtrières d’un cancer généralisé de l’Islam – qui tue à travers ses éléments les plus pathogènes. Chez les plus fragiles psychologiquement, comme du côté des régions du monde musulman les plus déstabilisées par les affrontements entre volontés de puissance locales et occidentales, le cancer de l’Islam trouve le terrain le plus favorable pour déchaîner son appétit de destruction.

Ne nous y trompons pas, nous recevons jusqu’ici les éclats d’une déflagration géante dont l’origine est le wahhabisme de l’Arabie saoudite. C’est elle l’épicentre du cancer – elle qui abrite les lieux saints de La Mecque et de Médine en trahissant honteusement leur sacralité. Égarée en effet par son obscurantisme depuis le XVIIIe siècle, cette région du monde a désormais pourri le monde musulman tout entier avec l’argent de son pétrole, qui lui a donné le moyen maléfique de contaminer et de faire dégénérer une civilisation dans le néant de son propre obscurantisme, vide de toute spiritualité digne de ce nom.

Plusieurs choses à faire face à cela, pour nous musulmans : réinventer de fond en comble une authentique culture spirituelle – de paix, de non violence, de fraternité universelle, de liberté de chaque conscience face aux dogmes, aux normes et aux mœurs de la tradition, et enfin d’égalité entre les femmes et les hommes.

Tous les musulmans qui osent dire qu’une telle culture est majoritaire en Islam sont trop optimistes. Ils prennent leur cas pour une généralité, et ne voient pas ou sous-estiment gravement la prolifération galopante de l’intégrisme. Cette persistance à ignorer la profondeur et l’ampleur du mal fait courir un terrible danger non seulement à leur propre liberté mais aussi au monde humain.

Trois choses à faire aussi face à ce cancer au cœur de l’Islam, pour nous français aujourd’hui. Déclarer la fraternité au lieu de déclarer la guerre, c’est-à-dire refuser le piège de la haine entre les identités et se solidariser dans l’affirmation de nos valeurs sans se laisser désunir par rien de ce qui nous agresse. Avoir le courage et la force de lutter non seulement contre la radicalisation des candidats au terrorisme mais interdire et punir sur notre territoire toute manifestation publique d’un islam intégriste, dont le critère simple est la contradiction avec notre culture – valeurs, lois, art de vivre. Avoir le courage enfin de ne plus entretenir de relations commerciales et diplomatiques indignes et lâches avec des États musulmans fondés sur le pouvoir d’une religion archaïque, intolérante et expansionniste – Arabie Saoudite, Iran, etc.

Ma conscience d’être humain et ma responsabilité de philosophe de l’Islam me conduisent aujourd’hui à répéter tout cela – et je le ferai encore coûte que coûte jusqu’à ce que l’Islam se régénère entièrement. De même, autre chose que je redis inlassablement, chacun a maintenant sa responsabilité face aux tragédies et aux périls du temps présent : non musulmans et musulmans ensemble, à nous tous échoit le devoir de lutter pour la paix à toutes les échelles. »

Si, au contraire, le maelstrom sécuritaire qui s’annonce chez nous devait se déployer, le camp de l’intégrisme se renforcerait et les logiques d’affrontement l’emporteraient – et pour longtemps. C’est malheureusement ce que le ventre des choses semble porter. La pente savonneuse des idées reçues, la puissance des lobbys d’affaires – qui n’ont plus grands débouchés dans un monde asséché par la finance -, l’ambition aveugle et court-termiste des politiciens, la paresse intellectuelle du public, le militarisme aussi permanent que nié de nos sociétés…, un large faisceau de causes y concourt.
Pour sa part, un jeune ami clinicien a tranché: « L’Europe va virer à l’extrême-droite, et ça nous vaudra soixante millions de morts. Basta. » Je ne prends pas cette phrase pour un oracle, mais pour un symptôme: l’époque rend cette conjecture raisonnable aux yeux de gens raisonnables.

 

Guy

 

(Crédits: Pierre Comblin)

3 réflexions au sujet de « Abdennour Bidar: « La fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous » »

  • 14 novembre 2016 à 22h25
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    Abdennour Bidar a participé il y a de cela deux ans à un cycle de formation des enseignants du second degré sur la laïcité. Ses apports étaient très intéressants, engageaient à changer d’angle de vision sur la laïcité telle qu’on la fait comprendre à nos élèves français. Malheureusement, le ton et l’orientation du débat dans la salle étaient sans cesse ramenés sur les poncifs polémiques assez artificiels que nous rabâchent les medias sans cesse. Collectivement, je ne sais ce que nous aurons appris de cette formation avec lui. Individuellement, j’ai appris, écouté, et ça m’a rendue aussi un peu triste.
    PS : son livre « Self islam » est hyper supra fantastique.

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  • 8 octobre 2016 à 23h03
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    L’État islamique est une révolution.

    Il est de notre devoir de comprendre

    Scott Atran

    Ce livre traîne sur ma table de chevet.

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  • 26 septembre 2016 à 9h08
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    Admirable conclusion : « non musulmans et musulmans ensemble, à nous tous échoit le devoir de lutter pour la paix à toutes les échelles. » : on applaudit. Naturellement.

    Cependant, il faut se rendre à l’évidence. À l’échelle de la simple vie quotidienne, en particulier sur les ondes, si ces mots remplis de bonnes intentions reviennent en boucle : « fraternité », « tolérance », « partage », « convivialité », « accueil », si la diversité y devient synonyme de richesse, je constate, dans les faits, que l’époque n’a jamais été aussi haineuse, intolérante, égoïste, chacun plaidant pour son petit pré carré. L’affaire du burkini a occupé les médias pendant presque un bon mois. Maintenant, c’est Vercingétorix qui s’y colle. Comment faire, au niveau de la vie de tous les jours, pour élever le débat au-dessus du caniveau? Qui a la solution?
    Naturellement, nous faisons corps avec l’engagement courageux d’un penseur tel que Abdennour Bidar. Le plus difficile reste à faire.

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