François Mauriac, dont la rumeur disait qu’il n’aimait pas l’Allemagne, s’en défendait perfidement en affirmant, peu après la seconde guerre mondiale : « Mais si, j’aime l’Allemagne ! La preuve, c’est que je suis très heureux qu’il y en ait deux ! »
ENVOI
Disons une chose brutalement : le « modèle allemand » est celui d’un pays où la droite chrétienne est au pouvoir, et où malheureusement les pires réformes du marché du travail d’Europe, les lois Hartz, ont été le fait des sociaux-démocrates, qui sont ainsi un des partis de droite les plus cohérents d’Europe, avec le parti travailliste de Tony Blair. Le monde est devenu fou, je l’ai entendu hier dans la bouche d’un policier.
En soi, la notion de modèle est un argument à la logique douteuse, pour tout dire c’est une notion logiquement intransposable, le modèle disparaissant quand il devient la norme.
Il n’y a ici, pas de souci désincarné ou désintéressé du progrès de l’espèce ou de la civilisation. En général, dans le tintamarre médiatique, la notion de modèle est une machine à faire suer la bête humaine.
Il y a donc d’emblée un problème sémantique. Modèle est inapproprié ! C’est le mot « régime » qui peuple la presse.
Puisqu’il y a « régime chinois », « régime russe » et « régime tchadien », pourquoi se priver de « régime allemand » ou de « régime français » ? Il y a même un régime belge.
Quelles seraient les vertus du régime allemand ?
L’Allemagne est riche et prospère.
L’Allemagne est nombreuse, avec des riches très riches et des pauvres muets.
Ses voitures font rêver les acheteurs de voitures autant que les voleurs. Les mafieux du monde entier et les ministres de tous les pays qui ne produisent pas d’automobiles, roulent dans de coûteuses voitures allemandes.
Ses machines sont sur tous les chantiers et dans toutes les usines de la terre.
L’Allemagne est un pays propre et organisé, la paix sociale y règne. On n’y voit pas les jeunes manifester, on est loin du spectacle de la rue française ou canadienne. L’Allemagne est un pays où la jeunesse n’a pas d’histoire et ne fait pas d’histoires.
Il y a peu de grèves allemandes, en tout cas dans les médias. Les syndicats allemands ont un taux d’affiliation formidable, ils sont riches, possèdent des journaux, des bureaux juridiques et d’études, des radios, des agences de voyage et des banques.
Il n’est pas jusqu’au climat et aux tremblements de terre qui ne soient discrets en Allemagne.
L’Allemagne est la patrie de Karl Marx, né à Trèves, ville autour de laquelle la campagne est d’une propreté telle, aujourd’hui encore, qu’elle enseigne au voyageur de passage l’humanité profonde du désir de, excusez-moi, je cite un routard : l’envie de foutre la merde.
L’Allemagne a un grand passé. Elle a eu des grands savants, des grands philosophes et des grands musiciens, et quelques grands écrivains, dont pas un seul comique.
La gastronomie allemande est inexistante. Cependant, il y a une vraie culture de la vigne et du vin en Allemagne, et des grands crus. Dans les bistrots spécialisés où on le boit debout, le café allemand répand un parfum à nul autre pareil.
La bière pils, inventée en Bohême, nom de la Tchéquie quand elle était allemande, ainsi que le cochon, qui représente l’absolu alimentaire de la chrétienté, n’ont pas de secrets pour les Allemands. La saucisse de Francfort peut s’appeler viennoise à Frankfurt am Main, et la meilleure francfort à mon goût est servie avec un petit pain et une moutarde, pas terrible, comme toujours, sur une assiette en carton, mais non verni, de sorte que son goût, oui, le goût du carton, contribue au résultat final.
L’Allemagne est peuplée de frères et sœurs humains, dont quelques allochtones et des Turcs, ces derniers faisant exploser de mille étoiles le cinéma et la littérature allemands. Les Rhénans ont un patois accumulant les racines latines dont on se moque à Hambourg ou Munich. Les Allemands sont honnêtes et joviaux, en tout cas les catholiques – les Allemands protestants sont nombreux aussi.
Dans toute l’Allemagne, les gens instruits adorent placer « à propos » en français dans leur conversation, mais seuls les habitants d’Aix-la-Chapelle, et ils en sont fiers, disent « merci » en français dans leur langue.
Les Allemandes, souvent grandes, sont souvent blondes.
Il y a plein d’autres choses à dire sur l’Allemagne.
En un mot comme en cent, l’Allemagne est formidable.
J’aime l’Allemagne, et d’ailleurs – ou parce que – j’y suis né, non, pas né, quasi né – ce qui est une autre histoire.
*
Retour au réel, nous sommes le 30 mai 2012.
Angela Merkel n’est pas l’Allemagne.
Angela Merkel est, provisoirement, la chancelière de droite de la République Fédérale Allemande.
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Haro sur le modèle allemand !
Premièrement, un « modèle » national est par essence inexportable, même pour une nation championne du commerce international comme l’Allemagne, car un régime socio-économique, de quelque pays qu’il soit, est largement tributaire de déterminations historiques et géostratégiques elles-mêmes intransposables.
La discipline des travailleurs pauvres et précaires en Allemagne, qui représentent un emploi sur trois, la discipline des salariés allemands en général, la discipline des chômeurs allemands relevant de l’assurance-chômage, et la discipline des chômeurs allemands virés de l’assurance-chômage, cette inexorable discipline allemande est inexportable en France et dans quelques autres pays, et c’est très bien ainsi.
Ensuite, il ne nous a pas échappé que dans l’Europe des marchands, comme dans le monde libéral en général, on ne tire argument du « modèle » des pays concurrents ou partenaires que dans le sens du moins-disant social, jamais dans l’autre sens.
C’est un processus qui, en soi, n’a pas de fin, mettant en péril toute notion de contrat social ou de démocratie, on le voit un peu partout, et jusqu’à l’absurde et à la cruauté dans l’exemple grec. C’est un processus qui n’aura de fin qu’imposée de l’extérieur, par un gouvernement réformateur lui-même en général poussé dans le dos par un mouvement social.
S’agissant du marché du travail, son « autorégulation », maître mot de la propagande et obsession des maîtres de la propagande, est une telle impossibilité ontologique, qu’aucun idéologue n’a encore osé s’en prévaloir (un peu de patience, ils oseront tout jusqu’au suicide.) Il n’empêche que sur ce marché comme sur les autres, l’idéal libéral reste bien sûr la dérégulation débridée ou « décomplexée ». En Allemagne, la réforme du marché du travail opérée par les sociaux‑démocrates avec l’appui de la droite chrétienne, principalement les lois Hartz, a pour argument officiel de « renforcer la lutte contre le chômage volontaire et améliorer le retour en activité des bénéficiaires d’allocations ». Car plus il y a crise, plus est grand le nombre de gens souhaitant chômer volontairement, n’est-ce pas? Moins il y a d’argent et de travail, plus les pauvres veulent chômer. C’est connu, et cela va de soi. Les salariés allemands ont donc accepté quatre heures de travail hebdomadaire supplémentaire sans augmentation de salaire, et des réductions drastiques des allocations de chômage, tant dans la durée que dans leurs montants. Ce rêve libéral, devenu réalité dans la nation où est né le romantisme, ferait exploser la scène sociale de la plupart des pays indisciplinés civilisés. Encore ici, de l’inexportable, rien que de l’inexportable.
Troisièmement, comme le concevait Keynes, l’excédent extérieur structurel est un dysfonctionnement, tout autant que le déficit chronique, et le grand économiste britannique proposait de le sanctionner. Dans une Union européenne qui réalise 60 pour cent de l’excédent commercial allemand, la position exportatrice de l’un postule les importations des autres. Encore une fois, le recours à l’impératif vertueux allemand a pour principal objectif d’imposer aux classes travailleuses des restrictions acceptées là-bas, pas de produire un renversement inatteignable du rapport commercial. Les grands patrons allemands qui s’expriment dans la presse à propos des pays du sud de l’Europe, utilisent d’ailleurs le mot « discipline » et ne parlent pas de « vertu ». On se doute que ce n’est pas à leurs pairs étrangers, mais aux peuples, qu’ils demandent ce supplément de retenue…
L’aspect dysfonctionnel de l’excédent commercial allemand s’observe aussi par ses effets financiers: « en contrepartie des excédents commerciaux et de la faible croissance allemande, des flux de capitaux importants sont allés nourrir l’endettement excessif en Grèce, en Espagne ou en Irlande. » (Arnaud Lechevalier)
Bon. J’abrège et je résume, je condense en huit lignes des liens à quatre-vingts pages, j’en oublie quarante, je multiplie par zéro virgule trente-huit, j’oublie de citer mes sources et je reporte trois :
À la modération salariale (voilà une expression modérée! un euphémisme, quoi), qui facilite l’excédent commercial extérieur (d’accord? on vend plus à l’étranger si les salaires nationaux sont bas), s’ajoutent comme autres caractéristiques du régime allemand l’atonie du marché intérieur, qui en résulte (vous suivez? salaires bas égale peu de consommation), et, ce qui y contribue (à l’excédent), une large délocalisation dans les pays d’Europe centrale (où les salaires sont un tiers des salaires belges: les entreprises allemandes concurrencent celles de l’UE, sur les marchés internationaux, avec des salaires slovaques, polonais et autres.) Merveilleux ! (Pour qui, l’excédent? Pour les poches de qui, et pour faire la morale à qui?)
Tels sont les traits au nom desquels le gouvernement et le patronat allemands, ainsi que des élites diverses dans divers pays, donnent des leçons de conduite en Union Européenne. Il est difficile de voir dans ces caractéristiques autre chose qu’un concours de circonstances historiques, où la notion de projet conscient et construit a peu de place.
Mais comme d’habitude en capitalisme, les haut-parleurs de la parole conforme nous assènent que le plus prospère est aussi le plus intelligent, le plus sage, le plus méritant.
Un « modèle ».
L’Allemagne s’est créé un «avantage déloyal» avec les bas salaires.
C’est ce que déclare aujourd’hui le secrétaire d’Etat allemand aux Affaires européennes Michael Roth (SPD). Il promet une correction.
Entretien à l’AFP repris par « Libération » ou ici sur ce site.
« Comment osent-ils | 4 – Bratwurst, Lederhosen und Minijobs » , vidéo de dix minutes sur les conditions salariales comme fondement du « modèle » allemand. On y entend cette phrase historique, plus ou moins expurgée de l’Internet, prononcée à Davos par le chancelier allemand Schröder: « Nous avons en Allemagne un secteur de bas salaires très opérant. »
Cité aussi par Anne Dufresne, dans « Le consensus de Berlin » (Monde diplomatique février 2012): « Nous avons créé l’un des meilleurs secteurs à bas salaire en Europe », se félicitait M. Schröder en 2005, lors du Forum économique mondial de Davos. »
Il y a des chiffres précis sur l’évolution des salaires (bruts réels) dans différents pays d’Europe entre 2000 et 2008, dans cet article de Claus Peter Ortlieb, « Dumping salarial, haute technologie et crise. » Les salaires allemands sont les seuls à s’être réduits sur cette période.
Par ailleurs le même article donne cette évolution, décile par décile, en Allemagne même, pour les années 2000-2005-2010. La seconde moitié de cette période voit une accentuation de la baisse des salaires réels, à laquelle échappent les 20% les plus élevés, mais atteignant particulièrement les trois déciles les plus défavorisés, pour 19 à 23 % de baisse de revenu. C’est la Grèce à bas bruit, avant l’heure, à l’intérieur de l’économie européenne la plus « performante ». Il y a quelques millions d’Allemands qui peuvent s’écrier: « Nous sommes grecs ! »
Oui!
Voici deux extraits de « Grèce, sortie de crise, sortie de l’euro », par Costas Lapavitsas, juin 2012, dans Le Monde diplomatique:
« Les pays de la zone euro se sont eux-mêmes assujettis à un sévère carcan : taux de change fixés, politique monétaire unique et discipline budgétaire imposée depuis l’extérieur. Dans ces conditions, les gains de compétitivité ne pouvaient plus provenir que du marché du travail — d’où l’actuelle « course au moins-disant salarial ». Avec un grand vainqueur, l’Allemagne, dotée d’un Etat suffisamment fort et d’un mouvement social suffisamment faible pour imposer une telle rigueur.»
Et:
(…) « Pour le dire autrement, la dette des pays de la périphérie européenne découle directement du gel des salaires en Allemagne… Mais la voie qui conduirait à amputer ceux versés aux Grecs, Espagnols, Irlandais, de façon à rattraper les « prouesses » de Berlin impliquerait une violence sociale telle qu’elle provoquerait des soulèvements et, probablement, l’implosion de la zone euro. »
Quelque chose m’a étonnée dans ce texte : l’absence de comiques allemands. Alors suis partie en piste sur le net pour en trouver quelques-uns. 😉
L’humour a tout d’abord été codé, par les 140 règles du baron von Rollin. Dans son ouvrage, l’auteur excluait que l’humour puisse être le fruit d’une certaine spontanéité.
Gunter Chakal, anarchiste fiévreux, publia ses 139 règles de l’humour anarchiste allemand.
Wilhem Busch (1897-1966), avec entre autres sa fameuse oeuvre Max und Moritz, a su montrer, à l’aide de dessins et de vers satiriques, le côté grotesque de l’Homme ainsi que des coutumes de son pays.
Et le plus récent : Loriot, qui a écrit nombre de pièces et de sketches.
J’ai visionné quelques-uns de ce dernier sur Youtube, un humour basé sur l’absurde et l’ironie.
La question est donc: peut-on qualifier l’ironie d’humour ? Pour moi, clairement non. L’absurde, qui est la seule chose qui parvient à me faire rire, cela dépend le taux d’humour que l’on veut bien lui accorder. Quant au mot « comique » il peut inclure les trois, selon les préférences de chacun.
Il y a donc bien des auteurs « comiques » en Allemagne, mais pas forcément humoristiques.
Il y avait avant cela des opérettes ou « opéras comiques »: Mozart, L’Enlèvement au sérail (1782), Beethoven, Fidelio, Weber, Der Freischütz, et Johann Strauss II (1825-1899), le « roi de la valse», a contribué avec Die Fledermaus (1874 ) et Le Baron tzigane (1885). Karl Millöcker (1842-1899) un conducteur de longue date à la Theater an der Wien , également composé quelques-unes des opérettes viennoises les plus populaires de la fin du 19e siècle, y compris Der Bettelstudent (1882), Gasparone (1884) et Der arme Jonathan (1890).
Après le tournant du 20e siècle, Franz Lehár (1870-1948) a écrit La Veuve joyeuse (1905), et Oscar Straus (1870-1954) fourni Ein Walzertraum (« A Waltz Dream », 1907) et Le Soldat de chocolat (1908).
Ils ne semblent donc pas être en reste dans le répertoire comique. Je connais mal ou pas, la plupart de ces oeuvres, mais semble-t-il elles traitent de choses profondes avec légèreté, et… n’est-ce pas ça l’humour justement ?
Bien amicalement,
JMMDT
bonjour
je ne trouve pas le livre des règles de l’humour de Chakal. Auriez-vous les coordonnées d’une édition ?
J echerche aussi les 140 règles du baron vonrollin
Merci
Bonjour cockenpot,
cherché aussi sur le net pour vous, pas trouvé non plus.
Le mieux est de faire une recherche google sous « livres rares » et vous pourrez vous inscrire dans toutes les librairies en ligne qui proposent des livres rares, s’ils ne les ont pas en stock, il y a possibilité d’inscrire la recherche ou d’envoyer un mail et ils vous contactent lorsque la demande se trouve.
J’avais un ami de Marseille qui a une boutique de livres rares, je peine à retrouver sa trace, mais sur Myspace où il a une page perso : http://www.myspace.com/495731730 ou sauf erreur Librairie les Portulans http://www.yelp.fr/biz/les-portulans-marseille
Amicalement
JMMDT
Bonjour,
Un peu tard, mais très volontiers. D’après un libraire de ma bonne ville de Liège, le site absolu des livres rares, mais aussi simplement épuisés, serait http://www.abebooks.fr/.