Bonjour!
…Ah, les bobos.
L’appellation est due à l’Américain David Brooks, un journaliste conservateur-glamour-fragrance-moderniste.
Si vous lisez le chroniqueur économique Éric Le Boucher dans Le Monde, vous aurez un peu de ça en français. Il y en a des centaines d’autres dans toutes les langues, que pour ma part j’ignore autant que possible. À première vue, ça fait nouveau et intéressant, mais l’effet ne dure pas: c’est l’éternel conservatisme, re-looké, tuné, habillé chez, vu à la télé.
Brooks est fier d’appartenir à cette couche sociale qu’il a baptisée et longuement décrite dans son livre fondateur, Bobos in Paradise, publié en 2000.
« Diplômé de l’université de Chicago en histoire, il commence sa carrière comme reporter au Wall Street Journal, et comme éditorialiste au journal néoconservateur The Weekly Standard. [Vous voyez où son intelligence s’arrête.] On lui doit le terme bobo, contraction de bourgeois-bohème, traduction de l’anglais bourgeoisbohemian, qu’il emploie dans le livre intitulé Bobos in Paradise; l’auteur regroupe sous ce terme l’évolution et la transformation des yuppies des années 1980. » (Wikipedia en français.)
Sociologiquement, les Américains n’aiment rien tant que parler de « classe moyenne », un terme descriptif aussi peu signifiant que possible, on voit tout de suite pourquoi: l’expression « classe sociale » sent le soufre depuis que Marx, Engels, et d’autres, lui ont donné le lustre que l’on sait. La paix civile US après la seconde guerre mondiale s’alimentait de la conviction de chacun, de pouvoir un jour être de la middle class. Un ouvrier devenu contremaître chez General Motors était, jusqu’il y a peu, disons jusqu’en 1980, année de l’élection de Ronald Reagan, supposé accéder à ce rang vers l’âge de 45 ans: une maison pavillonnaire, une voiture par membre de la famille de plus de seize ans, les enfants à l’université.
Ce fondement du contrat social US de l’époque est en passe d’être minutieusement détruit par l’offensive Walmart, dont le management a prévu dès les nineties de faire baisser les salaires chez ses fournisseurs, les grandes firmes US, de 25 dollars à …9. Walmart exigeait et obtenait leurs livres de comptes, pour leur montrer comment il y avait moyen de faire baisser leurs prix. On ne doit pas être loin de l’objectif aujourd’hui – pour ceux qui ont conservé leur emploi en tout cas, vu la délocalisation concomitante, consécutive et massive en Chine. (Cette offensive est loin d’être une cause première, mais bon, je simplifie. Au sommet historique du modèle, le revenu du patron US était de 40 fois celui de son ouvrier le moins bien payé, alors qu’aujourd’hui ce rapport est de 450 fois le salaire …moyen! La mécanique de fond dont Walmart est l’emblème, c’est la machine à accroître les inégalités.)
Cependant, les bobos de notre auteur Brooks ont quitté la middle class, et même l’upper middle class.
Le titre complet de son livre est en effet Bobos in Paradise: The New Upper Class and How They Got There (Wikipedia en anglais): « Nouvelle classe sociale supérieure » , pas moins, classe sociale supérieure des nouveaux arrivés.
Yuppies leur allait très bien, et Brooks voulait remplacer ce terme devenu critique.
Il a réussi, car le besoin de confusion est très grand. Son panégyrique à la gloire d’un certain milieu social a été célébré comme une contribution à la sociologie. Il a pris une place vacante, grande ouverte, et aujourd’hui, on parle de bobo pour toutes sortes de types sociaux qui n’ont rien à voir avec l’appellation d’origine.
Ainsi, à l’émission d’humour On n’est pas rentrés, sur Radio Première (Rtbf, 16h10-18h), il y a une rubrique dédiée aux bobos qui parle en réalité des professionnels bruxellois, sinon saint-gillois, souvent quadras et quinquas, arrivés à un niveau où on aime se croire échapper au sort du salarié commun. Cette rubrique sort en bouquin, les collègues de l’émission font sa pub, ils sont au micro, bien. Le sous-titre peu vendeur qui manque est: Soubresauts mentaux des urbains bac-plus X de plus de trente ans, en terre de néo-libéralisme avancé.
Ailleurs, dans une certaine jeunesse en mal de conformité, on appelle bobos toute personne un peu intello et adepte du bio.
Et de même, en tous milieux, sera qualifiée de bobo la personne dont l’interlocuteur se sent snobé par des positions moralistes, écolo ou new-age, convaincu cependant que, pour autant, elle est aussi compromise qu’elle-même, ou plus, dans la course à l’abime plus ou moins aveugle du « système » .
C’est cool! Désormais chacun a son bobo.
Et si on vous en traite, puisque le terme est devenu négatif, que le corollaire vous console: chacun est le bobo de quelqu’un.
La bouboucle est bouclée. Doublé d’une métaphore du bégaiement, Bobo a atteint la totale perte de sens. Le terme satisfait par là une loi de notre monde crépusculaire, énoncée par Castoriadis dans La montée de l’insignifiance.
Tant que loi de l’insignifiance est satisfaite, le monde finissant n’est pas fini.
C’est pas beau-beau ?
Allons! Bobonne journée, bobonne soirée.
Guy