Bonjour!
Une dépêche Belga reprise par Le Soir nous apprend qu’un SDF a été trouvé mort ce matin sur un quai de la gare des Guillemins à Liège. La température était proche de quatre degrés centigrades au-dessus de zéro.
C’est bien !
L’hiver approche, et il est temps que les SDF le sachent: il fait plus froid à la gare des Guillemins que dehors! Elle n’est pas un abri !
Voilà une gare propre en perspective.
Dans une ville où on ne peut plus se coucher sur un banc public en raison de la présence d’un troisième accoudoir au milieu du siège, où il est interdit de boire une bière en rue*, où le règlement de la mendicité a été récemment durci et kafkaïsé, la guerre contre les pauvres marque un point de plus. Il ne sera pas dit que Liège est une mendi-cité !
…Pardon? Vous dites?
Y a-t-il une guerre contre la pauvreté?
Euh…
G.
* Depuis l’arrêté « Cara Pils » pris pendant les vacances en 2007, il est interdit de boire une boisson alcoolisée en rue à Liège, sauf si on est un ou une étudiante participant à un baptême, sauf aux terrasses des cafés (s’étendant pour la plupart sur l’espace public), sauf à la fête du 15 août, sauf sur la foire, sauf lors des braderies et des parades…, sauf… Bref, en résumé, nous, on peut, et eux, SDF ou Simplement Désargentés Fauchés, ils ne peuvent pas.
_____________________
L’homme de 47 ans a été découvert ce matin dans la gare de
Liège. Il est mort de froid.
Liège: Un SDF meurt d’hypothermie à la gare des Guillemins LIEGE
01/11 (BELGA) = Le cadavre d’un homme a été découvert jeudi matin
sur un quai de la gare des Guillemins à Liège. Un médecin-légiste
envoyé sur place a constaté que l’homme, qui avait pris trop de
cocaïne, est mort d’hypothermie. Il s’agit d’un SDF de 47 ans qui
avait déjà été pris d’un malaise vers minuit et qui avait reçu des
soins sur place.
Il y a vingt ans, on ne parlait pas de pauvres, mis à part un certain Phil Collins dans une chanson ou un certain Robert Mc Liam Wilson (quoique son roman les Dépossédés ne fut paru en français que … 13 ans plus tard) mais c’ était en Grande Bretagne, nous n’ étions pas « concernés » ; aujourd’ hui ça n’ arrête pas.
Demain, j’ imagine qu’ on en parlera moins ou plus, ce sera acquis. Mais des causes réelles de la pauvreté, rien n’ aura non plus changé.
Tentons de ne pas nous éloigner de la réalité dite objective. Je ne tomberai pas dans le populisme (ni l’anti-populisme) primaire. Si on peut effectivement constater que Liège, comme toute métropole, n’échappe pas à ce que nous pouvons ‘voir’ comme pauvreté (je dis ‘voir’, car on sait que la pauvreté cachée est plus sévère et plus répandue que la pauvreté du grand jour), elle échappe encore moins aux assuétudes de toute nature (de l’alcool à l’héroïne en passant par le téléphone portable). Lapalissade. Mais on ne peut pas dire non plus que la Ville de Liège soit la dernière des villes à agir contre ces phénomènes. Il y a des abris de jour et de nuit, de la distribution de méthadone et même d’héroïne sous contrôle, et à ma connaissance (détrompez-moi le cas échéant), personne ne peut (s’il le veut) mourir de faim. Quant à mourir de froid, je pense que cet exemple est mal choisi. D’abord, tout le monde sait que beaucoup de SD, légitimement, refusent les dortoirs et/ou une forme d’assistance dite publique. Mettre ici en relation la mort d’un SDF à la gare avec la pauvreté relève du raccourci.
Caricaturons : Un habitant d’un quartier chic de Bruxelles, ayant un peu trop arrosé une soirée avec ses collègues liégeois, rate son dernier train. Il s’assied par terre et s’endort. Lui aussi pourrait mourir d’hypothermie. Entendez bien que j’ai de la compassion pour les sans-abris (et pour les habitants des quartiers chic de Bruxelles), mais ni vous ni moi ne pourrons entraver la liberté de l’autre, ni se déclarer plus fort que la vie elle-même… Cordialement +++ JS
Un des objets de ma réflexion était de signifier que les gares, qui étaient traditionnellement des abris pour les sans logis, peuvent cesser de l’être, et qu’il faudra un certain temps pour que les intéressés intègrent cette nouvelle réalité. Une correspondante me dit que ce serait un élément conscient et non écrit de certains cahiers de charge, que l’architecture d’une gare actuelle – et sans doute d’autres bâtiments publics – fasse en sorte de ne pas offrir d’abri aux sans-abris. Cette crainte est en tout cas en phase avec certains éléments urbanistiques et réglementaires récents qui ne m’ont pas échappé dans ma bonne ville de Liège, et que j’ai cités.
Cette évolution n’efface pas l’appareil des mesures sociales existantes, qui est largement un acquis du passé, mais le contredit au présent, et indique potentiellement un futur en régression.
Par ailleurs, la notion de liberté des individus à engager leur existence dans une voie de garage est plus que problématique, même si elle a les faveurs de la pensée commune dans notre monde de la concurrence libre et non faussée – citation faite des traités européens.
Il n’y avait quasiment aucun mendiant dans les rues de Liège jusqu’en 1974, quand le chômage a commencé à devenir massif et durable. Les années qui ont suivi, symbolisées par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 et de Ronald Reagan en 1980, ont vu une offensive néo-libérale que Pierre Bourdieu a appelée « restauration conservatrice », à laquelle la fin du communisme réel en Europe en 1989 a donné des ailes. C’est aussi le sens du « tournant de la rigueur » de François Mitterrand en France en 1983. Sur le continent européen, la tâche de privatisation des services publics et de dévolution de tous les pouvoirs à la finance a été réalisée par des gouvernements qui pour la plupart comprenaient des sociaux–démocrates ou des socialistes.
Dans la même période, le spectacle de la mendicité publique à Liège est devenu massif.
Dans tous les pays en guerre ou en crise économique grave, les chiffres de la délinquance et de la prostitution explosent. Dans la période exceptionnelle qui va en Europe de 1960 à 1974, ces chiffres sont au plus bas, le chômage est quasi inexistant, l’avenir économique de chacun est assuré, enfin on peut – en partie – se préoccuper d’autre chose que de la nécessité matérielle, donc des questions soulevées par mai 1968 par exemple.
Si l’on veut faire jouer un rôle explicatif à la liberté et au choix personnel des exclus dans le retournement historique qui a suivi, il faudrait expliquer comment un virus mental de la paresse s’est emparé de travailleurs massivement devenus chômeurs après cette période, pourquoi un bacille idéal de la fuite du réel dans la drogue a eu tant de succès, comment surviennent une mode de la mendicité et un entichement pour les bénéfices de l’assistanat. Comment et pourquoi, en un mot, la psychologie sociale aurait connu une véritable mutation à partir de 1974.