Bonjour!
« La violence des riches – Chronique d’une immense casse sociale » est le dernier livre des Pinçon et Charlot, qui sont sociologues, spécialistes chevronnés de la grande bourgeoisie, mari et femme, et grands praticiens de la course à pied (« Courir est une nécessité intellectuelle » .)
Des amis m’ont parlé d’un passage de la co-auteure à la télévision sur une chaîne française. Les chaînes ça enchaîne, je n’ai pas la télévision, c’est un principe, et ça me coûte cher. Je n’en parle donc que de seconde main et de troisième oreille. Des deux journalistes qui s’entretenaient avec elle, l’un s’est écrié « Mais si tout le monde lit votre livre, c’est la révolution! », phrase impossible en Allemagne où d’après Pierre Sarton du Jonchay il n’y a jamais eu de révolution politique. Et les deux ont dit avoir aimé le livre à 90 ou 99 pour-cent, après quoi ils ont consacré la totalité de leur émission à des critiques négatives de l’ouvrage. Je n’ai pas la télévision, et cette anecdote, outre qu’elle confirme tout le bien que je pense du petit écran, me paraît offrir une excellente recommandation pour l’ouvrage.
Voici quelques extraits d’un entretien de Monique Pinçon-Charlot avec la blogueuse et journaliste Agnès Rousseaux.
La co-auteure définit « les riches », c’est utile, mettons-nous bien d’accord sur l’expression, et après, nous saurons de quoi on cause. C’est loin au-dessus des revenus annuels à cinq chiffres. (99.999)
Qu’est-ce qu’un riche, en France, aujourd’hui ?
Près de 10 millions de Français vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté. Celui-ci est défini très précisément. Mais il n’existe pas de « seuil de richesse ». C’est très relatif, chacun peut trouver que son voisin est riche. Et pour être dans les 10 % les plus riches en France, il suffit que dans un couple chacun gagne 3000 euros.
Nous nous sommes intéressés aux plus riches parmi les riches. Sociologiquement, le terme « riche » est un amalgame. Il mélange des milieux très différents, et regroupe ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux, gens de lettres… Mais nous utilisons délibérément ce terme. Car malgré son hétérogénéité, ces « riches » sont une « classe », mobilisée pour la défense de ses intérêts.
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Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, est en tête du palmarès des grandes fortunes professionnelles de France, publié chaque année par la revue Challenges. Il possède 370 fois la fortune du 500ème de ce classement. Et le 501ème est encore très riche ! Comparez : le Smic à 1120 euros, le revenu médian à 1600 euros, les bons salaires autour de 3000 euros, et même si on inclut les salaires allant jusque 10 000 euros, on est toujours dans un rapport de 1 à 10 entre ces bas et hauts salaires. Par comparaison, la fortune des plus riches est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut pas imaginer l’étendue.
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Vous parlez à propos des riches de « vrais casseurs ». Quel impact ont-ils sur nos vies ?
Notre livre s’ouvre sur une région particulièrement fracassée des Ardennes, avec l’histoire d’une entreprise de métallurgie, qui était le numéro un mondial des pôles d’alternateur pour automobiles (les usines Thomé-Génot). Une petite entreprise familiale avec 400 salariés, à qui les banques ont arrêté de prêter de l’argent, du jour au lendemain, et demandé des remboursements, parce que cette PME refusait de s’ouvrir à des fonds d’investissement. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire. Un fonds de pension l’a récupéré pour un euro symbolique, et, en deux ans, a pillé tous les savoir-faire, tous les actifs immobiliers, puis fermé le site. 400 ouvriers se sont retrouvés au chômage.
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Comment cette violence objective se transforme-t-elle en assujettissement ?
C’est une forme d’esclavage dans la liberté. Chacun est persuadé qu’il est libre d’organiser son destin, d’acheter tel téléphone portable, d’emprunter à la banque pendant 30 ans pour s’acheter un petit appartement, de regarder n’importe quelle émission stupide à la télévision. Nous essayons de montrer à quel système totalitaire cette violence aboutit. Un système totalitaire qui n’apparaît pas comme tel, qui se renouvelle chaque jour sous le masque de la démocratie et des droits de l’homme. Il est extraordinaire que cette classe, notamment les spéculateurs, ait réussi à faire passer la crise financière de 2008 – une crise financière à l’état pur – pour une crise globale. Leur crise, est devenue la crise.
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« M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui » (Paul Nizan)
C’est pour cela que cette classe est tout le temps mobilisée : les riches ont sans cesse besoin de légitimer leur fortune, l’arbitraire de leurs richesses et de leur pouvoir. Ce n’est pas de tout repos ! Ils sont obligés de se construire en martyrs. Un pervers narcissique, un manipulateur, passe en permanence du statut de bourreau à celui de victime, et y croit lui-même. C’est ce que fait l’oligarchie aujourd’hui, par un renversement du discours économique : les riches seraient menacées par l’avidité d’un peuple dont les coûts (salaires, cotisations…) deviennent insupportables. On stigmatise le peuple, alors que les déficits et la dette sont liés à la baisse des impôts et à l’optimisation fiscale.
Entretien complet sur http://www.bastamag.net/article3432.html
Oui… Nombre d’employeurs assurent « donner du travail » quand leur entreprise tourne, mais on ne les a pas encore entendus dire « je leur ai volé leur travail » quand ils (la) ferment. Alors que les salariés ne sont engagés, c’est un fait de structure – qui n’a rien de psychologique en soi, mais, bien sûr, va sélectionner les profils psychologiques qui pourront être à l’aise à cette place d’employeur -, les salariés ne sont engagés, donc, que si un bénéfice est fait sur leur travail. L’embauche n’est pas un don, elle n’est même pas un échange équitable – au point que des juristes hésitent sur la nature du contrat de travail, qui au titre de contrat devrait être un « libre » accord de volontés.
Le dernier extrait de Monique Pinçon-Charlot ci-dessus me plaît beaucoup, ceci soit dit très narcissiquement. Cela fait longtemps que je vois et entends les riches se lamenter, pleurnicher sur le coût du travail, le coût de l’État, l’indexation des salaires (toujours insuffisamment rabotée), le manque de « productivité de la sécurité sociale » – novconcept incroyable entendu aujourd’hui à la radio de la bouche d’un représentant du grand patronat, qui en parle sans énervement, au micro à une heure de grande écoute, avec beaucoup d’aplomb et de ténacité. En français, ça se dit: avec un grand pouvoir de nuisance. Ils vont bientôt se plaindre du coût du bonheur des salariés ! Dans le genre: « N’y a-t-il pas une marge sur laquelle on pourrait envisager de réduire le coût du travail, dans ce fait qu’une partie du salaire ne sert strictement à rien d’autre qu’à de l’inutile, de la détente et du bonheur improductifs et même non consommatoires! » Avez-vous remarqué que la plupart des journalistes en Belgique ont repris l’appellation « handicap salarial », dont souffrirait la Belgique par rapport à ses voisins et concurrents, sans la discuter? Un salaire pas trop bas est pourtant d’abord un bon salaire, non? Eux disent, pardon, ils répètent: un « handicap ». Étonnez-vous après ça que lorsque Serge Halimi consacre un (formidable) bouquin à la profession de journaliste, il le titre Les nouveaux chiens de garde!
Je suis donc narcissiquement très heureux de lire une estimable auteure affirmer ce que je pense tout seul de mon côté: « Ils [les riches] sont obligés de se construire en martyrs. »
Bien à vous !
Guy
PS:
1. Le livre est lisible gratuitement (mais achetez-le un jour, faites-le vous offrir ou faites-le acheter!) sur le site de l’éditeur, Zones:
http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=176
2. Bonus de l’éditeur: « Visite guidée de Chantilly, « kolkhoze » de riches« .
Le riche est seul. Les pauvres, plus nombreux, n’aiment pas le riche. Ils lui refusent tout talent. Prenons un écrivain de talent, s’il est riche, les pauvres lui en voudront, diront qu’il doit son talent à ses talents (le talent était l’unité monétaire la plus répandue dans l’Antiquité.)
Le pauvre est esclave de ses passions ; il est mesquin et jaloux ; le riche, lui, aime la Liberté et est parfois cynique (mais c’est parce qu’il est fragile et facilement ému par la misère des pauvres qu’il essaye d’aimer…) Habituellement, il tente d’aider le pauvre en le conviant à défendre sa liberté de riche (par exemple, en travaillant comme journaliste dans un des grands pôles multimédia de la Planète Nov, ou encore en étant flic anti-envieux, et encore d’autres petites choses.) Mais il n’y a pas de place pour tous les pauvres, et puis, il y a des pauvres qui n’en veulent pas. Car la plupart des pauvres sont de mauvaise foi.
Les pauvres, ils n’aiment pas qu’on dise d’eux qu’ils sont libres. Les pauvres n’aiment pas la liberté. C’est pour cela que les pauvres ne sont jamais libres.
Le riche n’aime pas le travail. C’est un anarcho-corporatiste. D’ailleurs, les vrais riches (car il faut encore ici les distinguer des faux prétendants à la richesse) n’ont pas de travail mais, à la différence du pauvre, ne s’en plaignent pas. Car le riche sait s’occuper, par exemple à produire plus de pauvres.
Le pauvre s’ennuie et devient méchant (il ne sait pas qu’il peut aussi produire plus de riches en acceptant, par exemple, des diminutions salariales.)
Le Riche est une machine quasi autonome si l’on considère qu’il ne dépend même plus des pauvres. Le Riche est Marxiste. Il sait que les fondements culturels sont avant tout économiques.
Le Pauvre, s’il l’a su un jour, l’a oublié. Le pauvre n’est même plus une pièce du rouage, sauf alors les Ultra-pauvres. Le pauvre est une réussite de la vie post-industrielle.
Le Riche est parfois triste. Il aimerait une autre vie mais sait, lui, que c’est impossible.
Le Riche ne croit pas en un au-delà de l’existence.
Il a les yeux rivés sur le réel.
Il s’y englue.
Et avec lui tous les pauvres.