Bonjour!
Voici, pêle-mêle et dans le désordre, une gerbe d’énervements.
Je n’ai pas réussi à me limiter à ce qui donne son titre à ce billet. Gideon Levy, c’est tout à la fin.
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La question palestinienne est le lieu de toute une série d’idées fausses, spontanées ou cultivées, colportées par la propagande de nos régimes. C’est un des grands sujets qui illustrent ce fait que la propagande d’État est gigantesque dans les démocraties réelles occidentales, qu’aucun régime n’échappe à la propagande, que bien pauvre est l’art journalistique en ces pays, et peu éclairée l’opinion commune. Aussi le regretté Stéphane Hessel y consacrait-il deux pages sur les 18 de son Indignez-vous! – ce qui n’a pas manqué de motiver nombre de critiques qui s’avancèrent masqués.
En 2006 déjà, pendant la guerre du Liban, Bernard Langlois donnait dans la revue Politis un résumé ironique de la grille de lecture, par nos médias, des événements du Proche-Orient. Les termes-clé de représailles, terrorisme, communauté internationale, antisémite, sont précisés, et les mots interdits aussi. Rien n’a changé sur le fond.
Voyez comme ces deux lascars font avancer la lumière: « Après la manifestation pro-Gaza, Hollande et Valls se dressent contre l’antisémitisme » . Pan! À l’essentiel !
…Israël va me rendre fou.
C’est peut-être déjà fait, mais j’espère qu’écrire cette lettre va ramener la température de mes neurones à un seuil compatible avec la santé mentale.
Certes, je suis optimiste. C’est plus fort que moi.
L’optimisme est une loi de l’espèce.
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La presse nous dit que dans l’intervention militaire en cours à Gaza, il y a quatre-vingt pour-cent de victimes civiles. Vrai ou faux? Tant que ça? Ou si peu que ça?
Quoi qu’il en soit, la com de l’armée israélienne laisse pantois.
La com, comme ils disent entre eux, c’est la « communication ». Dans le monde entier on me communique, du monde entier on me communique.
Et moi, je cherche le bouton Répondre, et je ne le trouve pas. Ce qui montre bien la supériorité des esprits de la communication. Eux ils savent communiquer, moi pas.
L’armée israélienne, donc, communique.
D’ailleurs, on dit Tsahal.
« Tsahal » , nous précise Wikipedia FR avec toute sa science, c’est le petit nom de Armée de défense d’Israël, (en hébreu Tsva Hagana LeIsrael, צְבָא הַהֲגָנָה לְיִשְׂרָאֵל), également traduit par Forces de défense d’Israël.
Vous avez compris, demandait Coluche – en ajoutant: bande d’abrutis?
Le mot important, ici, c’est « défense » – évidemment.
Formidable!
Chez moi comme en Israël, dans le monde entier les armées s’appellent « défense », et ils arrivent à se faire guerres sur guerres en cultivant la « défense ». Vous sauriez, vous? Moi non plus, je ne saurais pas: me battre partout, juste en me défendant, comme les États-Unis, qui se défendent avec des bases militaires dans plus de 140 pays. Ça montre bien la supériorité des esprits de défense nationale.
Par exemple, les forces de défense de la Belgique ont tué des civils en Afgnagnistan (mot de code pour écarter les citoyens trop curieux), enfin, par là, loin de Knokkie le Zaoute, très loin à l’Est. Vous voyez comme ils voient loin, les types et les typesses qui pilotent la défense belge! Comme des maîtres aux échecs, qui est un jeu de guerre, ils anticipent, les esprits de la défense, des dizaines de coups, à-l’a-van-ce. En tuant en Afgnagnistan en 2013, ils savent qu’ils empêchent un tir de talibans sur Ostende en 2038.
Nous sommes défendus! Pour les détails, on demandera à De Crucht, De Gem, Di Ruquet, Milpo, Reyndet, Wathelers et tous ces merveilleux esprits qui nous représentent. Ils savent ce que défense veut dire, et nous, nous avons le droit de nous taire, mais nous pouvons poser respectueusement une question, de temps en temps.
(Au roi on ne demandera pas, parce qu’un dirigeant héréditaire en démocratie, ça n’existe pas. Comme nous sommes en démocratie, le roi n’existe pas, cqfd.)
Et on est priés d’applaudir le défilé militaire du 21 juillet, comme dans le monde entier. Ou presque, car en Norvège, qui est aussi une monarchie, et même une pétro-monarchie qui joue ses surplus en bourse, ce sont les enfants qui défilent à la fête nat’, pas les chars. Personne n’est parfait.
Tsahal nous fait savoir qu’elle avertit les civils avant de frapper. « Cassez-vous, nous allons tout casser », « tirez-vous, nous allons tirer, dans le tas. »
Les moyens sont des tracts largués par avion, l’envoi de sms (100.000 d’un coup, un certain jour), et… des frappes « à blanc ». [5 avril 2019: la vidéo commentée ci-dessous n’est plus sur Youtube, mais on en trouve facilement des équivalentes en faisant la recherche « knock on the roof » ou « roof knocking« , soit « toc toc sur le toit » selon la terminologie champêtre de la communication militaire.]
Les frappes « à blanc » secouent tout un immeuble, et la frappe définitive suit l’ « avertissement » dans un intervalle de quelques minutes. Regardez la vidéo ici, sur rue89, ou là, sur le site The Week, prise par une caméra fixe:
À la seconde 12, tir « à blanc ». La caméra de l’autre côté de la rue est secouée, il y a un bruit de vitres brisées. Il n’y a vraisemblablement plus, dans l’immeuble, ni personnes cardiaques encore vivantes, ni foetus peinards suçant leur pouce dans la poche amniotique en attente tranquille du terme de la grossesse.
À la minute 1 et 21 secondes, un léger sifflement, premier missile. On a le temps de voir la façade exploser avant que les poussières n’occultent tout. Heureusement, les champions de sprint sont sortis, ceux du moins qui fuient à chaque bruit de verre brisé, et n’ont pas perdu de temps à chercher leurs chaussures. Tsahal travaille pour la sélection naturelle, elle sélectionne les champions.
9 secondes plus tard (1’30), deuxième bombe ou missile.
À 1 minute 50, les silhouettes des arbustes au premier plan réapparaissent dans la poussière, et vers 3 minutes 30, on distingue le bâtiment atteint. Comme le confirme une autre prise de vue (à partir de la minute 4’00), il ne reste que les planchers en béton et quelques colonnes de soutènement, nus et vides. C’est très propre, le souffle, ça nettoie. On peine à imaginer que le bâtiment a été occupé.
Le commentaire du New York Times est ironique, sans doute involontairement: D’après le New York Times, poursuit Rue89, Israël vise à minimiser le nombre de tués mais aussi à « se couvrir » contre les accusations de crimes de guerre. Une fois prévenus, si les habitants n’évacuent pas, Israël ne les considère plus vraiment comme des civils.
Que sont des êtres humains, Madame New York Times, lorsqu’une armée de défense « ne les considère plus vraiment comme des civils »?
(Indice et rappel: d’après la presse, 80 pc des pertes palestiniennes sont des civils.)
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Comme tout le monde, les Diables rouges aiment leur patrie, c’est à dire l’Enfer.
Eh bien, les Diables ont peur d’Israël!
La situation en Israël inquiète les Diables L’Union belge a envoyé une lettre d’intention à l’Uefa pour s’enquérir des conditions qui entourent le déplacement des Diables en Israël.
Ne confiez pas vos vieux jours à Israël, même les diables ont peur d’Israël, ne lui confiez pas vos enfants, car Israël (qui est un État, hein, pas un peuple) tue les enfants. (La mort pour quatre enfants sur une plage de Gaza, etc.)
C’est normal!
Israël tire dans le tas et dans tous les sens, parce qu’Israël a une armée de défense, est-ce que c’est clair?
Quand on se défend, on tue des enfants, c’est comme ça.
La défense belge en Ananaghistan aussi, les avions sans pilote d’Obama aussi!
Les avions de la défense allemande ont tué des enfants dans ce même pays quasi inconnu et leur ministre a démissionné, parce qu’il ne savait pas encore si la punition allemande était terminée, et si l’État allemand pouvait à nouveau avoir une défense comme tout le monde, avec aux commandes les petits-enfants des nazis qui avaient, eux, par exception, une armée d’attaque.
Tout le monde tue des enfants dans la défense. Et bientôt l’Allemagne va pouvoir faire comme ses alliés.
Ah oui. Ceci aussi devient ordinaire dans les armées de défense:
Selon un médecin norvégien venu donner un coup de main, les drones israéliens largueraient des bombes très particulières de type DIME – Dense Inert Metal Explosive – qui engendrent des blessures incurables et des amputations. (Rue89)
Le but est que ces blessures soient incurables.
Merci à l’internationale des premiers de classe de l’industrie de la défense.
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Quittons l’anecdote.
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Les colonies israéliennes en Palestine et leur extension sont illégales selon tous les traités. Il reste deux pays colonialistes au monde, la Chine et Israël. Les Américains couvrent automatiquement de leur droit de veto toutes les incartades qu’Israël oppose aux décisions des Nations-Unies.
Dans son commerce avec l’UE par exemple, Israël bénéficie d’un accord qui simplifie les choses et réduit les frais, dans les deux sens, ce qui favorise les deux parties. Mais il est de notoriété publique que sous couvert de « made in Israël » toute la production exportée des colonies illégales arrive en UE. Ainsi les fleurs qui repartiront dans toute l’Europe avec des étiquettes « from Holland » , deux jours après leur atterrissage près de chez moi à Bierset. Tout ça est opaque et aucun député ni association n’a réussi à se faire ouvrir les livres de douane à la Région wallonne.
Le monde occidental dans son ensemble participe à ce genre de filouterie au bénéfice de l’État d’Israël.
Tu as voté, citoyen, et ceux qui parlent en ton nom sont élus. Fin du sujet.
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Le « droit au retour » des Palestiniens, exilés par vagues depuis 1948, est refusé absolument par Israël, qui applique par la force un « droit au retour », fantasmé, sur un départ, fantasmé, il y a mille ou deux mille ans.
Fantasmes, vraiment?
Mais oui!
La Bible n’est pas un livre d’histoire!
Le grand exode sous la conduite de Moïse au XIIIème siècle avant JC n’a pas eu lieu, le royaume de David et Salomon n’a pas laissé de traces, le premier exil biblique de Judée, au VIe siècle avant JC, n’a concerné que les élites, l’officiel grand exil en 70 de notre ère, sous les Romains, n’a pas eu lieu. Israël continue à enseigner une histoire non historique dans ses écoles, et la majorité (64%) des Israéliens juifs de tout âge ignorent que la Cisjordanie n’appartient pas à leur État. Shlomo Sand, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv, a écrit le brûlot peu contestable Comment le peuple juif fut inventé.
On peut lire, en entier et gratuitement, son commentaire sur ces questions dans Le Monde diplomatique d’août 2008.
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Avoir vingt ans à Gaza est une des pires vies qu’on puisse avoir à vingt ans au monde. (Cette affirmation est valable à d’autres âges aussi!)
Israël interdit l’aéroport de Gaza, les relations par mer à Gaza, ne laisse passer à la frontière de Gaza qu’une liste surréaliste d’objets divers, et l’Égypte fait de même pour le bout de frontière gazaouite qui est le sien.
L’Égypte? Ben oui.
D’ailleurs, la ligue arabe vient d’exhorter la « communauté internationale » à user de son influence pour calmer le jeu en Palestine. Vous avez compris? Elle a exhorté. Les vacances continuent.
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Le Hamas est diabolisé dans notre presse et nos médias.
Le Hamas est une création d’Israël. Sans Israël, pas de Hamas. Si par un coup de baguette magique on supprimait le Hamas, un autre mouvement de ce genre réapparaîtrait inévitablement. Ou alors il faudrait supprimer le peuple, toujours gênant en prétendue démocratie. Changer Israël aussi serait une solution.
Voici ce que le Hamas voudrait pour signer une trêve:
<http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/07/20/les-conditions-du-hamas-pour-une-treve-avec-israel_4460176_3218.html>
- « La fin de l’agression contre le peuple palestinien » [ceci est très soigneusement écrit en italiques et entre guillemets par le journal Le Monde]
- La levée complète du blocus de Gaza, en place depuis 2006 [suite aux élections qui portèrent le Hamas au pouvoir et évincèrent le Fatah]
- L’ouverture du poste frontalier de Rafah avec l’Egypte
- La liberté de mouvement pour les Gazaouites à la frontière avec Israël
- La suppression de la « zone tampon » interdite aux habitants de Gaza
- L’autorisation de pêcher jusqu’à 12 milles marins des côtes de Gaza
- La libération de prisonniers (ceux qui avaient été dans un premier temps libérés en échange du soldat israélien Gilad Shalit en 2011.)
(Tu dis quoi, voisin? … Mais oui! Évidemment que le Hamas est peuplé de croyants rétrogrades. Comment veux-tu qu’il en soit autrement quand « Occident » et « démocratie » veulent dire « bombes » et « humiliation », que le Fatah a fait de « socialisme » un synonyme de « corruption »? Voilà une pédagogie plutôt forte pour les jeunes Palestiniens! La seule pédagogie que la réalité y oppose est celle du bling-bling marchand et du bonheur consommatoire cheap.)
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Et Shimon Peres, par exemple. Encore une image quasi sainte de la propagande. Vous voyez ça d’ici, prix Nobel de la paix, docteur honoris causa de l’Ulb, élégance et paroles mesurées. D’abord, il a commencé comme militaire, ainsi que la quasi totalité des premiers ministres, présidents et ministres non premiers israéliens – je ne suis pas sûr que la Corée du Nord arrive à ce niveau -, et vous pouvez jouer au jeu des 7 x 7 conneries qu’il a dites dans sa vie, reprises sans rire sur Wikipedia FR.
Voici ce que dit de lui un observateur très bien informé, au jugement en général très équilibré et hyper modéré, le Bruxellois Henri Goldman (je souligne pour les pressés):
(…) 1994. Ensuite… la dérive commence. La liste de ses forfaitures serait trop longue. Notons simplement qu’en 2006, il quitta le Parti travailliste pour rejoindre le parti créé par Ariel Sharon et devenir président de l’État en 2007, au moment où celui-ci s’est doté durablement d’une majorité de droite et d’extrême droite. Dans cette position honorifique, il a joué pleinement son rôle, assumant avec élégance dans tous les forums internationaux les initiatives les plus brutales de la politique israélienne, depuis les opérations sur Gaza « Plomb durci » (plus de 1300 morts) et « Colonne de nuée » (photo) jusqu’à la reprise vigoureuse de la colonisation en représailles de la proclamation de l’État de Palestine. À mes yeux, il est sans doute, au même titre qu’Ehoud Barak, un des personnages les plus veules de la classe politique israélienne, même s’il s’est toujours arrangé pour faire faire la sale besogne par d’autres, en sortant son mouchoir parfumé pour ne pas être incommodé par l’odeur des charniers.
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Bref. Tout a une fin. Venons-en au titre de ce billet.
J’ai décidé il y a quelque temps déjà de m’appuyer sur les dissidents israéliens, qui contestent plus ou moins radicalement leur gouvernement.
Il y en a!
Je les trouve géniaux. (Si l’optimisme est une loi de l’espèce, il gagne à être nourri.)
Il y a même quelques centaines de jeunes hommes et femmes qui font ou ont fait de la prison parce qu’ils refusent l’armée. Et aussi, Ces ONG israéliennes qui soutiennent les revendications des Palestiniens.
Le dernier esprit libre israélien qui m’a marqué, exprime une chose qui ne m’avait pas échappé.
Il s’appelle Gideon Levy, est journaliste au quotidien Haaretz et signe l’article « Israël ne veut pas de la paix », dont voici le début:
Israël ne veut pas de la paix. De tout ce que j’ai écrit, c’est l’affirmation à propos de laquelle je serais le plus heureux qu’on me prouvât que j’ai tort. Mais les preuves sont légion. En fait, on peut dire qu’Israël n’a jamais voulu la paix – une paix juste, c’est-à-dire une paix reposant sur un juste compromis au profit des deux camps. Il est vrai que l’habituel salut en hébreu est « shalom » (paix) – « shalom » quand on s’en va et « shalom » quand on arrive.
– original en anglais: Israel does not want peace
– traduction française: Israël ne veut pas de la paix.
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Ouf. Il me semble que je vais mieux. Ça a été un peu long, à la hauteur de l’attaque, mais ça va mieux.
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Bonne journée, bonne soirée, bonne nuit! **
Guy
(** Ben oui… On me lit aussi, enfin, on me reçoit aussi, à Pékin, aux USA et en Amérique latine.)
Merci Guy pour ce coup de gueule. Je suis entièrement avec toi, admirateur des gens comme Shlomo Sand et Gideon Levy. Dimanche à la manif à BXL. Comme toi, je n’en peux plus d’Israël, du Sionisme et de la veulerie de nos dirigeants.
Je préférerai toujours ceux qui l’ouvrent très grand à ceux qui la ferment petit.
Merci pour cet article.
> Il reste deux pays colonialistes au monde, la Chine et Israël.
Ah bon? Et la Russie, alors?
Ma foi… Tu ouvres mon horizon !
Et l’esprit capitalisme industriel, et là il reste encore beaucoup de monde