Bonjour!
Présentation
La plainte de l’Afrique du Sud à La Haye, devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) contre l’État d’Israël, pour la prévention d’un crime de génocide, marque un renversement du monde, la fin et le début de quelque chose.
C’est l’équilibre mondial de 1945 qui continue de mourir à petit feu.
L’Occident, si prompt à se déclarer promoteur et défenseur des droits humains et de l’ordre juridique international, est incapable d’agir à la hauteur de ces prétentions dans l’affaire dite de la guerre israélienne à Gaza, et c’est un pays de ce que l’on nomme aujourd’hui « le sud global », ayant très peu de liens économiques ou autres avec Israël, qui allègue ces prérogatives universalistes devant la plus haute cour de justice des Nations Unies.
Ambiance, comme on dit entre nous.
France des Droits de « l’Homme », etc, bravo.
En réalité, chacun des 153 pays signataires à ce jour de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1946 a non seulement le droit, mais le devoir de porter ses griefs en cas de suspicion de ce crime ou de son risque plausible, dès lors qu’il en est convaincu ou alarmé, et qu’il a sans succès présenté des questions et des avertissements à l’État ouvrant supposément une potentialité de ce crime (il faut donc un différend entre les deux pays, ce qu’a démontré l’Afrique du Sud).
Le texte de cette convention est publié en français dans les archives onusiennes, et pour une fois dans un langage qui n’a rien de l’obscurité légendaire des textes juridiques. Pour son résumé, voir Wikipedia.
Les audiences ont eu lieu le 11 et le 12 septembre, en deux séances uniques de trois heures environ, la première réservée à l’équipe multiraciale et pluri-nationale sud-africaine, à participation britannique et irlandaise, présentant les 84 pages de réquisitions de l’Afrique du Sud, et la deuxième où à leur tour les plaideurs israéliens se sont exprimés.
Les 15 juges permanents, dont environ quatre femmes, parmi lesquelles une présidente étasunienne et une vice-présidente, assistés ou observés par deux juges « ad hoc », un pour chaque partie, un sud-africain et un israélien, rendront leur décision dans les deux à cinq semaines selon l’éventail des délais déjà observés dans ce genre d’affaires relevant de la CIJ: deux semaines pour l’affaire Ukraine-Russie (déportation d’enfants), cinq semaines pour l’affaire Gambie-Myanmar (risque plausible de génocide des Rohingyas par le Myanmar, ex-Birmanie).
Johann Soufi
Johann Soufi est un juriste français, avocat, procureur parfois mais jamais juge précise-t-il, et chercheur, spécialiste en droit international au Centre Thucydide de l’université Paris II Panthéon-Assas, et ancien responsable du bureau juridique de l’ONU à Gaza.
L’entretien qu’il vient de donner à la première télévision française indépendante en ligne, lemedia.tv, est de loin le compte rendu des deux séances récentes devant la CIJ, de ses tenants et aboutissants, le plus clair et précis qu’il nous ait été donné de connaître.
Après une exposé critique sur les atermoiements et la frilosité des barreaux français, il en vient aux 11 et 12 janvier plus spécifiquement, ici exactement:
(…Notons au passage que la journaliste qui l’interviewe, Nadiya Lazzouni, a fait l’objet de menaces de mort bien documentées, sans qu’elle ait reçu du ministère de l’intérieur la protection policière que Ruth Elkrief, une journaliste propagandiste de droite dure, s’est vu accorder pour des menaces indémontrées… comme exposé dans le dernier billet de blog de Frédéric Lordon. – Fin de la parenthèse.)
Johann Soufi est avocat spécialisé en droit international, chercheur au centre Thucydide de l’université Paris II Panthéon-Assas et ancien responsable du bureau juridique de l’ONU à Gaza.
Nous l’avons reçu au Média pour revenir sur la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël et plus spécifiquement sur les audiences des 11 et 12 janvier derniers à l’occasion desquelles la Cour internationale de justice a examiné les mesures conservatoires, autrement dit les mesures urgentes et provisoires demandées par Prétoria pour prévenir ou mettre un terme au génocide, avant que les juges ne se prononcent sur le fond de l’affaire.
Que retenir des débats ? Quelles preuves ont été présentées par les avocats sud-africains ? Quelle a été la défense adoptée par Israël ? Quand est prévu le délibéré ? Quel type de sanctions pourraient être prononcées contre l’État hébreu ?
En bref, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël à Gaza ne font pas de doute, pas plus que ceux commis par le Hamas, et c’est la Cour Pénale Internationale qui en jugera les responsables, ce qui prendra plusieurs années.
Quant à savoir s’il y aura eu un génocide commis par Israël à Gaza, cette décision « au fond » relèvera de la même cour ou de la Cour Pénale Internationale, ayant également son siège à La Haye, et prendra également des années, en raison de l’énorme travail d’enquêtes et des recueils de témoignages qu’elle exigera, voire des financements qu’offriront les États signataires. Dans le cas de la plainte Ukraine-Russie, ces financements ont été offerts massivement et sans délais.
La question est juridique, technique et précise
Les deux point-clés de la plainte de l’Afrique du Sud sont qu’il y ait une intention génocidaire, et qu’il y ait un risque plausible de génocide. Répétons d’emblée comme l’observe Johann Soufi, que le seul fait que la Cour ait admis comme recevable la plainte de l’Afrique du Sud montre que les 84 pages du dossier sont robustes et méritent l’examen.
Définition du génocide
le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
Les actes constitutifs de génocide
Les actes constitutifs d’un génocide sont bien sûr le meurtre, mais quatre autres conditions sont le cas échéant également suffisantes:
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
L’intentionnalité, entre animaux humains et Amalek
Un avocat de la Haute Cour d’Afrique du Sud s’est chargé de développer ce point.
D’une part, il relève des propos déshumanisants et généralisants sur l’ensemble de la population gazaouie, émis par des membres éminents de l’État, le président Herzog, le premier ministre, d’autres ministres, des membres de la Knesset (parlement israélien), des dirigeants politiques. Un de ces derniers a recommandé l’usage d’une bombe nucléaire, et l’expression « animaux humains » a fait le tour du monde. Dans sa plainte, Pretoria cite le ministre de la Défense Yoav Gallant : “Nous combattons des animaux humains. Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz.” (1)
Et d’autre part, il montre qu’à l’autre bout de la chaîne, les militaires agissent et s’expriment en toute cohérence avec l’indiscrimination des discours de dirigeants.
L’Afrique du Sud présente une vidéo où l’on voit des soldats en liesse, chanter longuement lors d’une fête sur le thème « Amalek, Amalek » , mot très difficile à identifier dans la bande-son française de l’enregistrement vidéo de la CIJ, digne par moments d’un débutant mal équipé ou d’une traversée d’orage électromagnétique. Mais j’ai fini par mettre ça au clair.
Dans la Bible, Amalek, roi des Amalécites, et ses sujets, sont des ennemis absolus des Juifs, que Dieu a donné l’ordre d’exterminer. Nous lisons dans Samuel, premier livre (1S 15, 2-3)
Tu frapperas Amalec ; et vous devrez vouer à l’anathème tout ce qui lui appartient. Tu ne l’épargneras pas. Tu mettras tout à mort : l’homme comme la femme, l’enfant comme le nourrisson, le bœuf comme le mouton, le chameau comme l’âne.
Johann Soufi à la minute 13:54 :
Pour l’Afrique du Sud, y a un ensemble de faisceaux d’indices qui laissent penser que, derrière le discours officiel qui est de cibler le Hamas, il y a en réalité la volonté, non seulement de s’attaquer à la population civile gazaouie, ce qui constituerait déjà des crimes de guerre et contre l’humanité, mais une volonté plus précise qui serait de détruire une partie de cette population, (…) ce qui constituerait un génocide.
Le risque plausible
On n’est pas, répétons-le, dans la certification d’un génocide, on est dans la prévention.
Si le risque plausible de génocide est admis par la Cour, elle énoncera de « mesures conservatoires » à effet immédiat.
L’Afrique du Sud demande neuf mesures: arrêt de l’action militaire, fin des mesures de blocus, protection des preuves, facilitation des enquêtes, premier rapport, une semaine après l’injonction de la Cour, des mesures prises par Israël pour s’y conformer, rapports ultérieurs réguliers rendant compte de la continuation, …
Les 153 États signataires, à ce jour, de cette convention, seraient alors tenus de contribuer aux mesures conservatoires édictées, « selon leur Constitution ». C’est ainsi que les sanctions européennes et autres contre la Russie sont juridiquement validées. Et des actions privées ou d’État seraient opposables à certains pays pour non respect de ces mesures.
Mais pas qu’eux! Tous les États du monde (203 pays reconnus par au moins un autre pays) y sont tenus selon les Nations-Unies:
Cette obligation, ainsi que l’interdiction de commettre un génocide, sont considérées comme des normes du droit international coutumier et s’imposent donc à tous les États, qu’ils fassent ou non partie des 153 pays – dont Israël fait partie – à avoir ratifié la Convention.
(Nations-Unies)
Et en Belgique?
Les lignes bougent incontestablement en Belgique comme dans le monde. Le gouvernement israélien suscite a minima l’incompréhension et répand la haine d’Israël, qui sera malheureusement comprise ça et là comme haine des Juifs.
- Le CD&V a introduit un projet de loi visant à interdire les productions israéliennes illégales opérées en territoires occupés.
Les chrétiens-démocrates flamands !
Il faut saluer cette initiative.
Pour rappel, comme Condroz belge l’a déjà mentionné il y a des années, l’aéroport de Bierset est une tête de pont majeure d’entrée en UE de ces productions. C’est une société basée à l’aéroport de Liège, appelée aujourd’hui Challenge, et anciennement CAL ou LACHS, ayant aussi navigué sous un pavillon de complaisance costaricain, Nature Air, qui opère ces vols. Les jours qui précèdent la Saint-Valentin, les vols de cette entreprise se multiplient, et des cargaisons de fleurs sont débarquées, direction les Pays-Bas, d’où elles repartent vers toute l’Europe avec de jolies étiquettes « From Holland » , sabots, chapeaux pointus et fromages d’Edam. Ce fleurs sont cultivées avec l’eau volée aux agriculteurs cisjordaniens ruinés. Mais n’exagérons rien: chaque semaine de l’année est une source de juteux « échanges ».
Pauvreté du discours politique des partis belges opposés à une demande de cessez-le-feu ou à l’examen des risques de génocide à Gaza
L’Open VLD du premier ministre se réfugie derrière un appel aux pays de l’Union européenne : « Une décision nécessite une concertation au niveau européen », a indiqué le ministre de la Justice Paul van Tigchelt, ajoutant « À l’heure actuelle, il n’y a aucun soutien à une telle démarche. »
Et lesoir.be de commenter: « il n’y en aura jamais vu les dissensions au sein de l’UE. »
Le Mouvement Réformateur de la ministre des affaires étrangères, « par la voix de Michel De Maegd, a estimé qu’Israël ‘défend sa population’ et (…) s’est dit ‘choqué’ qu’on compare cela à un génocide. » (lesoir.be, ibid.)
Les deux ministres en question, qui se sentent pousser des ailes d’accéder aux six mois cycliques de la direction en UE, ont avancé une pitoyable défense contre tout appel au cessez le feu, sous couvert de diplomatie européenne.
Mais voilà, aujourd’hui le gouvernement a décidé de rejoindre les pays qui appellent à la cessation des bombardements. Les discussions et menaces ont dû voler haut, et bas. Les élections approchent, il faut absolument maintenir ce gouvernement finissant sous perfusion et en assistance respiratoire, et heureusement la Belgique ne connaît pas la concentration du pouvoir propre à la Cinquième République « franchaise » (Valéry Giscard d’Estaing).
Quant à la N-VA, elle a critiqué les partis qui accusent Israël et, par la voix de Peter De Roover, elle se demande « si cela sert à quelque chose de clouer Israël au pilori ». (lesoir.be, ibid.)
Le MR et la N-VA, comme Israël à La Haye, donnent des opinions en guise d’arguments.
Et vos cerveaux, les amis ?
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Pour aller plus loin: yaani.fr
Johann Soufi recommande chaudement le site et blog Yaani.fr pour suivre l’actualité juridique et politiste/anthropologique de notre sujet, animé par de jeunes chercheurs et doctorants de plusieurs pays.
Yaani est un mot arabe passé dans l’argot israélien, signifiant « c’est-à-dire ». Il est donc compris aussi bien en Israël qu’en Palestine occupée.
Sous son onglet « Lexique »:
J’apprends que l’apartheid est un crime contre l’humanité défini en 1973 dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, crime également repris en 1998 dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (PDF).
Conséquence: Israël n’est pas une démocratie
Un pays qui pratique l’apartheid ne peut être dit démocratique. Non plus s’il est engagé dans une entreprise colonialiste d’expropriation et d’expulsion comme l’est Israël en Cisjordanie: on vous prend votre maison et vos terres et on vous chasse, tout en arrêtant éventuellement l’une ou l’autre membre de la famille sans inculpation et sans procès, les fameuses et nombreuses arrestations administratives que l’on peut facilement considérer comme des prises d’otages. Il n’empêche que l’Occident céleste (là où se couche le soleil), donne un brevet de démocratie à un Israël (Frédéric Lordon cité plus haut), qui en outre depuis sa loi fondamentale (à valeur constitutionnelle) de 2018, se définit pour la première fois. Simplement, comme un État ethniciste, « l’État des Juifs » …du monde.
Le gouvernement israélien n’en est pas à une rodomontade près, ses ministres et hauts dirigeants se déclarant comme le parti « de la lumière », et son armée, depuis de nombreuses années déjà, comme « l’armée la plus morale du monde ». Et faut-il encore rappeler que « l’État hébreu » est hors la loi des Nations-Unies, passant outre avec la bénédiction de Washington, à 104 décisions ou recommandations de l’ONU…
Israël a-t-il le droit de se défendre ?
Le droit de légitime défense d’un État est de répondre à une agression armée d’un autre État, y compris des « groupes armés non étatiques agissant au nom de cet État avec une telle gravité qu’ils équivalent aux forces armées régulières (ce qui n’est pas le cas du Hamas qui n’agit pas au nom de l’État de Palestine, représenté sur la scène internationale par l’Autorité palestinienne).
Dès 2004, la Cour internationale de Justice avait rappelé qu’Israël ne pouvait pas invoquer la légitime défense » face à des « actes intérieurs à un territoire sur lequel il exerce son autorité ».
* * *
Ndlr: Le Royaume-Uni ne pouvait juridiquement se dire en légitime défense contre les indépendantistes irlandais qui ont pratiqué le terrorisme (atteintes à des civils), ni l’Espagne face aux Basques de l’ETA lors des années noires. Ces deux mouvements ont déposé les armes lorsqu’une perspective politique plus ou moins crédible s’est ouverte.
…Ce sera tout pour aujourd’hui !
Guy
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