Bonjour !
Pour la deuxième fois en un an, des étudiants occupent des locaux de l’université de Liège pour cause de Palestine. Cette fois, en raison d’un partenariat entre celle que l’on aime ou aimerait pouvoir appeler alma mater, mère nourricière, et la société Thales Belgique.
Je viens de passer une bonne heure à cette occupation, Place Cockerill.
Et ça m’a fait le plus grand bien!
Les occupants sont assez nombreux, reçoivent pas mal de soutien, en argent, alimentation, boissons. Ils assurent H24 beaucoup d’espace à celles et ceux qui aiment étudier dans une ambiance collective, bien plus que le régime ordinaire de l’université qui ne donne que quarante sièges à cet effet, et ce pour moins d’heures par jour que sous l’occupation. « Sous l’occupation », sic.
Il y a quelques tentes dans les couloirs.
J’ai parlé avec une dame âgée, je veux dire : proche de mon âge, qui vit en ville, n’a pas fait l’université, liégeoise de toujours, et sortait toute heureuse d’une conversation avec une étudiante « voilée » comme on dit – cette dernière aussi était ravie. La dame ne rate rien de ce qui se passe à l’université, si j’ai bien compris. Celle-là a déjà socialisé l’université.
Arrivé vers 20 heures, je repartirai vers 21 heures 20. Je me fais guider par Abdullah (prénom d’emprunt) que je connais des Veillées pour la Palestine qui ont lieu depuis octobre 2023 tous les mercredis à 18 heures devant la gare Calatrava, Liège-Guillemins. Il pratique un rap engagé et étudie la psychologie.
Est passée l’heure du souper, et ils et elles ont reçu aujourd’hui bien plus que de besoin. Je vois qu’il reste une dizaine de grosses boîtes de hamburgers et autant de pizzas, offertes par des commerçants que mes interlocuteurs immédiats ne connaissent pas. Les frites et les sauces sont parties.
Je me mets à grignoter dans un ravier abandonné, encore à demi plein, de ces bâtonnets de pommes de terre passés à l’huile, froids. Ce n’est pas bon? En temps ordinaire, non, en temps ordinaire je les considère, froids, comme franchement mauvais. Mais aujourd’hui, j’ai un truc formidable, qui est triste aussi, très triste, pour aimer manger ce qui n’est pas bon, pas très bon, pas génial, « pas top » comme dit ma fille : je pense à Gaza. Les frites froides me nourrissent, je n’ai pas encore mangé, mais je mange. C’est le luxe, il suffit de penser à Gaza.
Je demande s’ils ont un trésorier honnête, et Abdullah m’indique un Belgo-belge qui passe. Non, le « trésorier » n’est pas là. Je donne un billet. « C’est plus simple pour moi de soutenir de la sorte, vu mon âge, et vu que de naissance déjà j’étais, et suis toujours, un paresseux. »
Les uns et les autres reconnaissent que leur com’ sur Internet n’est pas très efficace et ils y travaillent. Ni drapeaux, ni banderoles, ni affiches en façade, mais à l’intérieur c’est une ruche, où certains discutent bic à la main devant un ordinateur, les neurones bien occupés – encore une occupation. Et dans le feu des conversations, j’aurai l’occasion de citer Joseph Daler, enseignant-chercheur évincé de l’université de Lausanne (Unil), qui avait écrit : « La seule occupation légitime, ce sont les occupations étudiantes, à l’Unil et ailleurs. »
L’occupation a commencé le 12 mai et me voici là, seulement le 23. Mais de toute évidence, dans la ville le bouche à oreille fonctionne à merveille.
Abdullah m’emmène dans une cour de cet ancien couvent jésuite qu’est le siège historique de l’université, au vernissage d’une exposition sur les gravures européennes des XVème et XVIème siècle, où je complète mon dîner d’amuse-bouches délicieux, des légumes frais et croquants avec une sauce cocktail qui a l’air faite maison. Encore le luxe! Mais je ne dois pas trop penser à mon truc formidable et triste, sinon j’aurai honte.
À cette dernière station, la quatrième, je m’arrête près d’un petit groupe autour d’une étudiante qui installe des bouteilles et des gobelets pour les rafraîchissements du soir. Les blagues d’usage fusent, par exemple : le prix sera libre, mais à partir de 10 euros. On répond à son auteur par une question : Tu te crois en Irak, ou quoi? Il répond qu’en Irak il n’y a pas de limite aux prix que l’on demande aux touristes. Je lui dirai qu’il a dû avoir du mal en arrivant ici, à se trouver plongé dans une telle foule de touristes.
On me pose une question ou l’autre, et Alexandro (prénom d’emprunt), étudiant en philosophie, ainsi que sa voisine Anastasia (idem), en histoire de l’art, découvrent que j’ai enseigné dans l’école secondaire où ils furent élèves. Mais quoique j’aie pris ma retraite à leurs douze ans, nous avons des profs en commun, et ceux que nous estimons comme ceux que nous avons en petite ou très petite considération sont les mêmes. En particulier, c’est mon ex-collègue et ex-voisin Jérôme (ibidem), prof de philo, qui a stimulé leur goût pour le gai savoir, l’engagement et les études.
J’en apprends sur la rectrice qui contrairement à sa communication officielle a contourné la commission de vigilance éthique (CGVRI ou Commission de guidance et de vigilance des relations internationales à risque) mise en place il y a un an, lors de la première occupation étudiante de l’université pour cause de Palestine. Le sujet d’aujourd’hui est un partenariat entre Uliege et Thales Belgique, pour une amélioration de systèmes d’armement, la présidente de l’université feignant de croire que la filiale belge et le groupe Thales sont étanches, et que le motif de travailler à « la défense européenne » l’exonère de toute crainte ou soupçon.
Le groupe Thales est convaincu d’avoir enfreint les sanctions européennes contre la Russie, et ne manque pas de collaborer avec Israël.
Les étudiants, c’est leur manière, travaillent à établir un dossier qui fera 18 pages, pas 17, établi avec le conseil de doctorants et de juristes, sur les liaisons funestes entre cette entreprise et le génocide en cours à Gaza.
* * *
Rentré chez moi, j’écris ces quelques notes, tandis que Daniel Mermet m’apprend la « bombe » qu’a constitué ce mardi une déclaration de Yaïr Golan, ex-chef en second de l’armée israélienne. On s’attend au pire, eh bien, c’est le pire pour Netanyahou, qui y voit des « calomnies antisémites » :
Un pays sain ne fait pas la guerre à des civils, n’a pas pour hobby de tuer des bébés et ne se fixe pas pour objectif d’expulser des populations.
La vie continue.
…Après « Jamais de la vie! », une vieille blague juive se terminait par : « Tu appelles ça une vie? »
Bonjour,
Vous dites que la rectrice a contourné la commission d’éthique CGVRI, mais elle assure du contraire ?
Selon les étudiants rencontrés, la rectrice a pris avis de « comités d’éthique » facultaires, plutôt chargés des questions comme le plagiat dans les travaux d’étudiants, mais pas de la CGVRI ou Commission de guidance et de vigilance des relations internationales à risque.
Par ailleurs ils affirment qu’elle s’appuie largement sur Damien Ernst, professeur en sciences appliquées et spécialiste des réseaux électriques, qui aime se faire entendre dans les médias sur les questions d’énergie et aurait un jour écrit sur un réseau social, que l’introduction d’un cours sur les questions de genre à l’université scellait sa « décadence ». Et sur un « grand ami » du précédent, Pierre-Yves Jeholet, vice-président MR du gouvernement wallon et ministre de l’économie, de l’industrie, du numérique, de l’emploi et de la formation. Un prof et un parti en tous les cas certainement très soucieux d’éthique et de droit international, comme un certain président Georges-Louis Bouchez.
En raison de cette actualité, j’ai récemment parcouru le site Internet de l’Uliege**, et j’ai été saisi par les aspects marketing et communicationnels à la fois convenus et marchands des pages visitées, au discours publicitaire des plus typiques. Pierre Bourdieu écrivait : Introduire l’idéal de l’entreprise dans l’enseignement, c’est installer le vide au coeur des valeurs.
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** Chapô du site sur un moteur de recherche : Université publique ouverte sur le monde et ancrée dans le développement scientifique, culturel et économique de sa région, l’ULiège s’appuie sur ses trois piliers : l’enseignement, la recherche et l’engagement citoyen.
Trois piliers ? Quatre, avec la com’.
Comme reçu d’une agente infiltrée de Condroz belge à l’université, la rectrice en a informé la communauté universitaire par ce courrier :
La Rectrice annonce que l’ordonnance du tribunal de faire évacuer l’occupation a été mise en œuvre ‘dans le calme’ – ?
Oui, c’est ce que dit en tout cas Sud-Presse : https://www.sudinfo.be/id1000692/article/2025-05-25/les-etudiants-du-mouvement-doccupation-pour-la-palestine-evacues-des-locaux-de
Les étudiant·e·s annoncent des suites.