Arabe non musulmane et citoyenne non juive de l’État d’Israël, doctorante à Berlin

Piero della Francesca, Public domain, via Wikimedia Commons

 

Bonjour !

Je trouve fascinante cette expression d’une position singulière, découverte sur l’excellent site yaani.fr.
La famille d’Abeer Khshiboon est palestinienne chrétienne, de l’église grecque-catholique, et comme en Syrie les Arabes chrétiens relèvent de cinq églises différentes, j’imagine qu’en Palestine aussi il doit y avoir quelque variété parmi les églises chrétiennes.

Citoyenne de l’État d’Israël, déplacée interne, Abeer Khshiboon est doctorante à la faculté de théologie de l’Université Humboldt de Berlin.

Elle se considère comme légalement qualifiée d’« absente présente », puisque les réfugiés palestiniens sont les absents définis par la Loi sur les Absents, « votée en 1950 et autorisant l’État israélien à confisquer et saisir les propriétés et ressources que les Palestiniens ont été contraints de laisser derrière eux lors de la Nakba » (1)(2). Mais présents sur le territoire israélien, elle et sa famille échappent à tous les classements administratifs.

Extraits de l’entretien avec Abeer Khshiboon dans yaani.fr :

…toute cette bulle européenne, le continent des continents, le continent qui se considère comme le monde entier ou l’univers, m’a appris que je n’existe pas en tant qu’« identité possible ». Je suis une Arabe non musulmane et une citoyenne non juive de l’État d’Israël. Je suis également une déplacée interne, une « absente présente » qui n’est pas une « vraie réfugiée palestinienne ». Dans le monde académique occidental, je suis une Palestinienne spécialiste de théologie juive et du Jésus juif. En tant que créature, je ne suis donc pas censée exister selon la logique européenne.

Pour moi, c’est devenu une obsession : je veux nous mettre sur la carte. Et par nous, j’entends les chrétiens arabes, les Arabes chrétiens ou simplement les groupes chrétiens autochtones de la Méditerranée orientale. Il existe un christianisme autochtone fascinant et sous-exploré que je veux mettre sur la carte de la théologie et de l’histoire. Et de la politique ! D’une manière ou d’une autre, mes recherches ont évolué au point qu’aujourd’hui, je me concentre sur les Palestiniens chrétiens déplacés internes de la Galilée. Ma thèse est une « ethnographie narrative » de ce groupe particulier – une méthodologie inspirée par l’essai emblématique de Lila Abu-Lughod, « Writing Against Culture ».

Ensuite, des choses « savoureuses » sur les différents Jésus, effacés en Europe par le « Jésus impérial ».
Extraits (je souligne) :

Ce n’est pas une question de religion. (…) le Jésus-Christ européen, qui est le « seul » fils de Dieu. Toujours blond, toujours blanc et, plus troublant encore, qui a toujours le langage corporel d’un conquérant. Pourquoi le Jésus blanc a-t-il la même gestuelle que Jules César ? Donnez-moi une raison, je ne comprends pas.

(…)

D’après mon expérience des six dernières années en théologie, je pense que le domaine des relations judéo-chrétiennes, qui était censé favoriser la réconciliation judéo-chrétienne après l’Holocauste, est une bulle américano-eurocentrique. Je pense qu’il n’y a jamais eu de véritable remise en question de la pathologie centrale qu’est l’antisémitisme.

(…)

J’aime toutes les versions locales de Jésus. J’aime sa version musulmane, sa version locale masihy, sa version juive. Peut-être n’est-il qu’un Messie raté – cette version est également valable pour moi. La version qui n’est pas valable pour moi est celle où il devient l’icône de l’Empire. Ce Jésus n’est presque jamais véritablement remis en question dans le champ des relations judéo-chrétiennes, comme si cette figure blanche anhistorique de Jésus n’était pas liée à des siècles d’antisémitisme en Europe. Dans mon travail, je fais la différence entre le christianisme occidental ou impérial et le christianisme autochtone palestinien, appelé en arabe Masihiya. En outre, je veux récupérer le Jésus juif historique

(…)

Après tout, dans notre région, les Arabes chrétiens (Masihin) ont toujours partagé la vie, les luttes et les traditions des Arabes musulmans et des Arabes juifs (3). J’aime la position que j’occupe dans ce champ. Je crois que nous devons travailler sur l’antisémitisme et l’islamophobie ensemble, comme les deux faces d’une même pièce.

L’entretien complet se trouve ici : « Je veux nous mettre sur la carte du monde ».

  1. Si je comprends bien : 1. je te vire, 2. tu n’es plus là, 3. ta maison si j’ai oublié de la détruire, et ta terre, sont donc à moi. – Appeler « absents » des habitants pourchassés, aux maisons souvent détruites, c’est la logique de l’exil « volontaire » que Trump et Netanyahou annoncent aujourd’hui.[]
  2. Environ 532 villages palestiniens ont été détruits lors de la Nakaba de 1948, au moins une trentaine avant la même année, sous mandat britannique, d’après Ilian Pappé, Nettoyage ethnique dans la Palestine, p. 49 de l’édition originale en français.[]
  3. On voit ici l’intéressante notion d’« Arabes juifs ». Ne serait-ce pas la bonne désignation des 5 pour-cent de confession juive qui habitaient la Palestine avant le Foyer national juif promis par la Déclaration Balfour de 1917, laquelle ne parlait que de « juifs » et de « non-juifs », sans citer une fois le mot « arabes » ?[]

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