(Première mise en ligne sur http://www.fairelejour.org)
La France est le seul pays où les citoyens s’opposent en nombre à la guerre sociale que pouvoirs petits et grands mènent aujourd’hui dans l’Union européenne et au-delà. Elle est le pays d’Europe où les marchands de canons et les entreprises de travaux publics, qui vivent des commandes de l’État, sont propriétaires de la presse. Elle est ce pays où un prix Nobel, François Mauriac, taxait la droite, bien qu’il en fût, de plus bête du monde. Et où d’insurpassables philistins, de Balladur à Raffarin, après Debré père, ont tenu à en administrer la preuve. Elle est un pays où le président traîne des dossiers judiciaires que seuls l’influence, les privilèges et l’immunité de sa charge ont tenus à distance.
Dans cette France où, omniprésents sur la scène du spectacle, des intellectuels à paillettes, présentés comme des esprits libres et décapants (1), veillent aux éternels intérêts de la domination, où les gouvernants qui s’affirment de gauche ont assuré le triomphe de la finance et de la réalité, avant de perdre des élections où ils n’avaient pas craint de dire que leur programme n’était pas socialiste, dans cette France de notre coeur et de nos irritations, où la démocratie abandonne assez d’effrayés, de perdus et d’exclus pour remplir les rangs de l’extrême-recul…
Dans cette France, un petit-fils de l’émigration hongroise, maire d’une commune des beaux quartiers de la capitale, revendique publiquement d’avoir forgé son caractère au feu des humiliations de l’enfance.
C’est, presque soixante-dix ans après Sartre, L’enfance d’un chef au pays de la télévision triomphante.
Évidemment qu’il fascine ! Il a le profil de ces rêves dont aucun de nous n’est indemne, que chacun d’entre nous s’est vu proposer dans sa plus ou moins tendre jeunesse. La figure du héros, gagnant à toutes les courses. Chaque effort écarte un rival. Chaque pas devance un concurrent. La moindre parole efface un doute. À chaque discours s’offre une salle. Un rêve entretenu par une large part du cinéma mondial, et par le petit écran.
Par chance, la vie nous a donné les corrections, les correctifs, et avec quelques gifles la réalité nous a humanisés.
Nicolas Sarkozy, pour son malheur intime, n’a rien appris. Il est voué à l’« hybris », l’excès, la démesure, faute occidentale s’il en est, le seul « péché » que les Grecs anciens reconnaissaient, celui de contrevenir aux lois ultimes qui s’imposent même aux dieux.
Il est un parfait président de fin du monde, impavide, surtout impavide, fût-il publiquement convaincu de bassesse, de brutalité, de tromperie ou d’avoir été trompé. Un président se répandant aux microphones à toute heure, devant les caméras de même, sautant d’un avion à une limousine et d’un hors-bord à un quatre fois quatre. Infatigablement il distribue le bâton et la carotte, édicte les règles de conduite, donne les bons et les mauvais points. Et suprême atout, autant pour représenter nos rêves que pour s’assurer un monopole, cet homme s’est déjà présenté devant son camp en disant « Voici le traître ! ». On en déduit qu’au besoin il est prêt à retourner sa veste, et le revendiquera.
« Les Français » peuvent bien en faire un succès de librairie pour l’été ! Au moins, c’est Dallas en librairie et pas à la télévision, quoique ce soit triste pour maint auteur estimable. Mais voudraient-ils de ces lecteurs-là ? Il y a Français et Français, l’histoire n’est pas terminée.
(1) 6 ans plus tard: voir ce qu’en dit Pascal Boniface dans son tonifiant Les intellectuels faussaires – le triomphe médiatique des experts en mensonge. (Vidéo ici, article ailleurs.)