Syndicats et ministre lors de la grève de l’enseignement belge francophone en 1996

PimentRouge2Bonjour !

 

Une chose en entraîne une autre et, en évoquant il y a quelques jours mes coups de coeur pédagogiques (Des pédagogies différentes?),  j’avais retrouvé mes « mots d’amour » à la ministre de l’éducation, également présidente de la « Communauté française de Belgique » (1), publiés dans la presse au début de la grève des enseignants de 1996.

Cette grève, la plus longue qu’ait connue l’institution scolaire en Belgique, a paralysé de nombreuses écoles, comme celle où je travaillais, d’avant le congé de Carnaval à juste après celui de Pâques – deux fêtes mobiles séparées par les quarante jours du carême, soit entre fin février et début mai. Je n’ignore pas que le ministère veut imposer comme seules politiquement correctes les expressions congé d’hiver et congé de printemps, mais je reprends ici à dessein les appellations chrétiennes pour quatre bonnes raisons:
– elles donnent les vraies causes de ce découpage de l’année
– elles ont déjà survécu à un calendrier révolutionnaire bien plus historique que le parti de nos géniaux gestionnaires
– leur énoncé par ma bouche ne suffit pas à faire de l’athée que je suis un personnage politiquement douteux ni une victime instantanée de l’envoûtement papiste
– ce billet n’est pas ici pour faire plaisir au ministère.

Pourquoi pareille grève cette année-là? La ministre socialiste Laurette Onkelinx a réadapté, aux forceps, l’encadrement pédagogique francophone à la dimension permise par les moyens d’une Communauté française nouvelle-née et notoirement sous-financée. Ainsi le voulait la nouvelle donne des réformes de l’État qui se succédaient depuis les années 1980, transformant l’État belge dit unitaire en un État plus ou moins fédéralisé. À peu près 3.000 enseignants ont été exclus du cadre redimensionné, sur 45.000. C’était un sale boulot, et elle l’a fait. Elle a été récompensée, bien sûr.

À aucun moment les syndicats n’ont remis en question le montage fédéralisant dû à la classe politique, et la grève des profs et instits s’est épuisée dans les quatre murs de la dite Communauté, laissant le gouvernement belge hors jeu. C’est à mon sens ce que tous auraient dû contester, comme j’en ai eu personnellement l’intuition vers Pâques, à la fin du mouvement, malgré mon isolement et mon ignorance, et à ma connaissance jamais les deux grands syndicats n’ont produit de réel « debriefing » ou réelle autocritique de l’aventure. Il faut dire que les organisations de travailleurs sont peuplées de permanents qui font le siège des élus pour obtenir des places dans la vaste constellation de la collaboration de classes belgo-belge, comportant notamment, mais pas uniquement, ce que les sociologues placent sous les termes d’institutionnalisation des relations/négociations sociales. Il y a des strapontins pour syndicalistes un peu partout dans d’innombrables conseils d’administration, de la Banque nationale à la Rtbf, en passant par toutes sortes d’institutions publiques, semi-publiques, fédérales, régionales, communautaires, provinciales, intercommunales, communales, et la réforme de l’État a même produit de nouvelles places à statut para-diplomatique à l’étranger, de représentation des communautés ou des régions, dont l’une échoit parfois à un syndicaliste: les budgets ne se sont pas réduits pour tout le monde. On se doute que dans ce contexte, un grand mouvement initié par la base, animé par des gens qui affirment haut et fort être en conflit avec les pouvoirs, se trouve « guidé » autant, sinon plus, vers son extinction et sa domestication, que vers la réussite de la revendication, par ces professionnels-là de la profession (2). Oui, pour qu’un mouvement ne soit pas sauvage, il faut le domestiquer, la linguistique est formelle, et nos syndicalistes professionnels font de la linguistique sans le savoir. George Orwell parlait déjà dans les années 1920 des députés travaillistes « perdus pour la cause dès qu’un duc leur avait mis la main sur l’épaule. » Alors, pour un salaire…

J’ai eu l’occasion de mettre ce commentaire sur le site de l’Aped, Appel pour une école démocratique, dix ans plus tard:

Pourquoi fut-elle perdue, cette grève ?

Parce que le mouvement n’a jamais pu dépasser l’huis clos en Communauté française ! Tant que nous respections ces quatre murs-là, le socialisme du possible nous imposait ce qu’il entendait nous imposer.

Les organisations syndicales ne l’ont pas pu davantage, tétanisées qu’elles étaient comme tous les politiciens francophones des trois vieux partis à la seule idée d’envisager de demander un refinancement au fédéral, autrement dit « aux Flamands » ! C’était pourtant le seul lieu où quelque chose pouvait être discuté, comme cela ne devait pas tarder à l’être, notamment en raison des [demandes faites par les] écologistes « naïfs ». Mais les trois mille étaient virés.

Le plus grave, c’est que je n’ai jamais entendu de mon syndicat, la CGSP, ni d’un autre, une analyse de cet échec.

Ma (petite) consolation, c’est la ruine de la fête du 1er mai du PS à Liège, qui n’a pu avoir lieu dans le Palais des Congrès occupé par des centaines de profs en colère…

Il paraît que ce premier mai-là, on a entendu la ministre, liégeoise à l’époque, en pleurs à la radio. Je ne l’ai pas entendue, car j’occupais « son » palais des congrès. Sans quoi, c’eût été moi qui pleurais, avec quelques milliers d’autres, et avec cette différence que la radio ne nous aurait pas tendu le micro, car la radio n’est pas si bête, elle sait à qui appartient le premier mai.

De ma vie (et à ce jour), je ne me suis jamais autant préoccupé d’une ministre – ni d’un ministre, que cette année-là. Je lui avais adressé, au début du mouvement, deux apostrophes qui ont été publiées par hasard le même jour dans la presse syndicale des enseignants et dans le quotidien liégeois des syndicats de la métallurgie. On peut constater dans le premier de ces deux billets que la financiarisation de l’économie était déjà un sujet connu, ce qui n’est pas surprenant pour un cours initié par madame Thatcher en 1979, messieurs Reagan en 1980 et Mitterrand en 1983 (je donne ici du « madame » et du « messieurs » à ces personnages, à la façon du Monde diplomatique: bien obligé, car cet organe de presse était une des rares sources éclairantes de l’époque), et, partout sur le continent européen, durant la même décennie, par des gouvernements à composante socialiste ou social-démocrate. Le deuxième billet évoque le dénigrement, dont ne s’est pas privée la ministre, de ces profs qui avaient trouvé le moyen de bloquer les établissements sans perte de salaire et constitué de simples piquets de grève, mais aussi des piquets de grève inter-établissements et même inter-réseaux! Malgré tout, la Communauté française a économisé 700 millions de francs belges en rémunérations en 1996, tout en ne devant débourser que 700.000 de cette même unité pour rafraîchir la façade de son siège principal à Bruxelles, où s’écrasèrent quelques centaines d’oeufs et de ballons remplis de peinture au cours des dix ou douze semaines de conflit.

Paru dans Tribune, périodique de la CGSP Enseignement, 17 février 1996, premièrement

Laurette Onkelinx a perdu toute raison. – Elle n’est hélas pas la seule.

Elle confond respecter un budget et être ministre de l’éducation! Elle croit faire de la politique, quand la gestion inspire l’essentiel de son action. Elle a mené campagne pour l’emploi, mais se charge d’en supprimer des milliers. Jetant les jeunes et d’autres dans la rue, en foule, le doute ne l’effleure pas.

Elle se dit socialiste. Son parti depuis des lustres participe à un gouvernement qui, comme d’autres, a favorisé la mise en place d’une finance mondialisée et erratique, pour aujourd’hui s’en déclarer l’otage. Un parti qui n’a rien fait pour s’opposer au racket du monde productif par la spéculation, ni à la dramatique aggravation des inégalités de revenus et de richesse des citoyens. Un parti qui, toute honte bue dans un monde où les populations paient si cher les orthodoxies économistes, se fait l’exécuteur du credo libéral tout-puissant: privatisations, dérégulation, austérité. Un parti qui vaque sans états d’âme aux affaires, dans un monde où plus que jamais nécessité des uns fait loi aux nécessiteux. Où l’on révère sans conditions l’ordre et le désordre du marché, comme une loi naturelle, et comme si de tout temps l’homme n’avait pas lutté contre ces lois quand elles ne le servent pas: le froid, les eaux, l’aridité, la gravitation.

Accrochés au pouvoir dans une province de ce monde qui marche sur la tête, ces socialistes-là ont perdu toute raison.

Paru dans le quotidien La Wallonie, 17 février 1996, deuxièmement

Laurette Onkelinx a perdu toute dignité.

Elle traite de tricheurs aussi bien les piquets de grève, qu’elle appelle « boucliers humains », que tous ceux qui cherchent et parfois trouvent les moyens de vider leur école sans perdre leur salaire. Elle épuise ses vérificateurs et autres inspecteurs sur les chemins peu glorieux de la répression tatillonne. Elle multiplie les pressions sur les directions, les pouvoirs organisateurs, les parents et les élèves.

Seule une grève avec perte de salaire et sans piquet semble avoir l’heur de lui plaire. Il faut croire qu’elle aurait tout le loisir de laisser pourrir ce type de mouvement, elle qui pendant plusieurs mois a su laisser les étudiants sans réponse.

Mais voilà, le mouvement social va toujours au-delà des usages codifiés. Le citoyen préfère le désordre à l’injustice, disait Albert Camus. Faut-il rappeler à Laurette Onkelinx qu’il y a à peine plus de cent ans, des tricheurs s’en prenaient au droit de la concurrence en créant des syndicats alors illégaux, ou attentaient au droit de propriété en organisant des grèves alors tout aussi illégales? Et que sans ces tricheurs, la Ministre Présidente gratterait aujourd’hui la terre limbourgeoise de ses ancêtres?

C’est tout pour aujourd’hui.
À plus tard, à bientôt !

*

(1) François Mitterrand avait certes une fiche en mains lors de son voyage dans notre pays, mais elle n’a pu l’empêcher de demander, au président de la Communauté française de Belgique, qu’on lui présentait: « Elle va bien, votre association? Vous avez beaucoup de membres? »
(2) Une anecdote aigre-douce illustre ces généralités.
Le syndicat socialiste a encore, Dieu merci (Je suis athée, Dieu merci, disait Luis Buñuel), une culture de l’assemblée générale. Il faut dire que d’une manière ahurissante, qui rend justice à son histoire et montre à quel point elle peut peser encore, le syndicat chrétien n’en a aucune, de cette culture, et n’en a fait aucune, d’assemblée générale des affiliés. Nous, affiliés à la CGSP, en  avions une par semaine! Et au Palais des Congrès (à Liège), car le nombre des présents excédait de loin les capacités, pourtant pas misérables, du siège de la CGSP: mille personnes.
Des règles régissent ces assemblées. En particulier, on ne peut mettre au vote, qui est toujours à main levée, une proposition qui n’a pas été déposée par écrit avant l’heure de début de la réunion.
Or quelques énervés, dont un noyau dans mon école (Flémalle était réellement un foyer de rigueur, je le dis en souvenir du plaisir d’y avoir connu ce que peut être une tradition, un esprit de lutte intransigeant, malgré tous les affadissements de l’époque), quelques énervés donc proposaient de faire voter une motion déclarant que les représentants de notre syndicat se désaffiliaient du parti socialiste. Cela nous paraissait représenter un minimum minimorum, non?, s’agissant du parti qui nous avait jeté dans la rue. Ouille! La guerre de procédure ! Il en a fallu quatre semaines, et autant d’assemblées, pour que les pontes de la représentation, abrités sous des arguties réglementaires, acceptent une motion finalement écrite mot à mot, comme pour des analphabètes – un état où pour le coup ils auraient souhaité voir revenues leurs troupes -, quatre semaines pour que cette motion puisse être simplement proposée au vote.
Elle a été acclamée.
Pensez-vous que les pontes – le terme n’engage que moi -, respectueux de la volonté formulée respectueusement par des affiliés respectueux des formes prescrites, ont exécuté la décision? Bien sûr que non! Pas le moins du monde et pas un seul ! Pensez-vous qu’existe ou existait une procédure de contrôle du suivi de l’application des décisions? Question sans objet. Le seul des hiérarques qui avait ma sympathie, dont le prénom commence par D., et dont mes infos prétendument confidentielles disaient qu’il était le seul non inscrit au PS et proche des écologistes, qui à l’époque en étaient à leurs débuts et sortaient de la norme, ce D.-là, toujours souriant, à qui je serrais la main et que je tutoyais, deux ans plus tard nous envoyait un courrier à notre domicile, où il nous appelait à voter pour l’héritier, un « fils-de » (son principal talent apparent), PS, le dépité, pardon « député permanent » sortant, et candidat à sa succession, élu en charge de l’enseignement de notre « P.O. », pouvoir organisateur, localissime. [PS octobre 2018: il s’agit d’André Gilles, alors premier « député permanent » de la Province de Liège, devenu fameux depuis, dans le pays entier, pour son enrichissement chez Nethys Publifin, argent public à 500 euros l’heure d’absence.]
Beurk, me souffle un mauvais esprit, mais je me garderai bien de l’écrire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.