Bart Le Tisserand, faim de Belgique – 1/2

Vroeger was alles beter 800
Vroeger was alles beter, « Avant, tout était mieux » – Photo G. L.

 

Il était une fois un petit  homme qui s’appelait Bart Le Tisserand.

Il était certes assez grand, en taille, par rapport à ses concitoyens, et il a certes occupé quelques hautes fonctions parmi eux. Pourtant, c’était un petit homme.

Dans son pays de dimension modeste, la Belgique, Bart Le Tisserand voulait que la province où le hasard l’avait fait naître, la Flandre, devienne un pays à part entière, autrement dit: un pays plus petit. Bart Le Tisserand pensait qu’il serait un grand homme s’il menait à bien cette mission, rendre son pays plus petit.

Dans ses campagnes, il parlait beaucoup de centimes et de calculs, mais son véritable point d’appui était le ressentiment. Car dans le passé, les Flamands pauvres avaient été maltraités par les Flamands riches, qui ne parlaient pas flamand, mais français. Cela avait duré des siècles, et laissé des souvenirs dans les familles.

Or, à l’époque où vivait Bart le petit, la Flandre s’était enrichie, et les Flamands riches s’étaient mis à parler la langue de la région, comme les pauvres. Il n’y avait plus que le roi (car il y avait un roi en Belgique, comme au Moyen-Âge), pour encore parler leur langue comme un étranger, en lisant son texte, et seulement à la radio et à la télévision. Cela, chaque Flamand pouvait le constater dès l’enfance,  chaque année à Noël.

Du temps de Bart Le Tisserand, les riches Flamands continuaient à maltraiter les pauvres, comme c’était le cas dans tous les pays, mais ils aimaient répandre la rumeur que les mauvais traitements n’avaient existé que dans le passé, et uniquement du fait de gens qui parlaient le français. À les entendre, et une partie du public les croyait, tous les Flamands étaient frères et soeurs, ne se faisant les uns aux autres que du bien. Il n’y avait que des gens parlant français pour nuire aux Flamands les moins fortunés. Plus cette rumeur avait du succès, plus les Flamands les plus riches pouvaient, paisiblement, retirer des dividendes du travail de leurs concitoyens modestes, comme c’était la règle alors, pas toujours pacifique, dans le monde entier.

Certains de ces riches Flamands calculaient, en accord avec Bart, que  leurs richesses s’accroîtraient si la Flandre se séparait du reste de la Belgique. À cette époque obscure, devenir plus riche était un but universel, d’autant plus pressant que l’on était déjà fortuné, et le danger suicidaire pour l’espèce, que représentait cette pratique, ne s’était pas encore révélé à la conscience publique. Le Grand Basculement n’en était qu’à ses premiers avertissements. Après tout, il a fallu deux cents ans pour que la découverte de Galilée – le mouvement de la terre autour du soleil -, devienne un savoir ordinaire pour tous. Simplement, il y avait là un gisement local, pour faciliter un supplément d’enrichissement aux déjà riches de Flandre. Bart collaborait.

Et ils ont commencé à faire miroiter un avenir doré aux Flamands de toutes conditions, répandant l’idée de se venger du temps disparu où seuls les pauvres en Flandre parlaient flamand.

L’esprit de vengeance rend l’homme plus petit, aussi Bart Le Tisserand ne fut-il jamais grand.
Et l’esprit de vengeance sème pour l’avenir, des graines empoisonnées. On ne tarda pas à le constater.

Mais n’allons pas trop vite.

Jeune homme, Bart était gros. Très gros, très très gros. Il avait toujours faim et il mangeait sans cesse. Ses études terminées, il a eu des enfants, s’est marié, et il s’est adonné à temps plein à la politique, avec pour but de rétrécir le pays des Flamands.

Un jour, il fut en finale d’un jeu télévisé, qui consistait à répondre à des questions: des questions intelligentes, et des questions de télévision, ces dernières portant sur des sujets ayant depuis, perdu tout intérêt, car créées par et pour la télévision. Chose incroyable mais vraie, à cette époque la télévision représentait, aux yeux du plus grand nombre, la vérité, tout autant que la réalité. Aussi les amis de Bart ont-ils profité de sa quasi victoire à ce jeu, pour faire courir la légende, avec un certain succès en Flandre, qu’il était l’homme le plus intelligent de sa province.

Le plus intelligent ou pas, cela ne l’empêchait pas de rester petit, ajusté à la taille de l’écran de télévision. Et cela ne l’empêchait pas, non plus, de rester très très gros.

Un autre jour, Bart Le Tisserand lut dans un journal que son propre fils, un enfant encore, avait dit à un journaliste: « Papa mange tout le temps, alors on doit cacher le chocolat. Sinon, il n’y en a plus pour nous. »
Bart sentit le danger. Il comprit que si la presse continuait à faire savoir qu’il mangeait le chocolat de ses enfants, la télévision pourrait très mal le juger, et par là, mettre sa carrière en péril. À cette époque, la politique était encore un métier, qui souvent durait toute la vie, parfois même se transmettant d’un parent à un enfant, comme dans les corporations des métiers du Moyen-Âge. Et le jugement de la télévision était la vraie cause du succès ou de l’échec aux élections.

Bart Le Tisserand arrêta donc, d’un coup d’un seul, ses excès alimentaires. Il devint mince en quelques mois, et sa faim inguérissable changea de but, pour se diriger vers son métier de politicien. Toujours sur les dents, il dévorait les dossiers. Les kilomètres, il les avalait. Il ne faisait qu’une bouchée de ses contradicteurs.
Sa faim de chocolat se transforma en une autre faim, une énorme faim: faim de Belgique, faim de la fin de la Belgique.

(Contes du XXIIIème siècle)

 

Bonjour!

La faim de la Belgique…
Je prépare une suite raisonnée et déraisonnable, pour un prochain billet.
(Pour nos amis étrangers, De Wever, le nom de notre personnage, signifie « Le Tisserand » en néerlandais.)

À plus !

*

7 réflexions au sujet de « Bart Le Tisserand, faim de Belgique – 1/2 »

  • 10 décembre 2013 à 8h23
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    Très joli… Puisque nous parlons du futur, je cite ce « poème » de Rob Kutner (The Future According To Me) dont je me suis toujours demandé quels pouvaient être ses liens avec la Belgique… http://www.goodreads.com/book/show/12084635-the-future-according-to-me.

    TEACH THE WORLD TO SING (The new World-Imperial Anthem, c. 2043 – translated from the Flemish)

    From Old Beijing to Washingtwerp
    The Lion Flag proudly flies.
    The Flemish Empire tops the world
    Like mayonnaise on fries.
    Like Sinter Klaas, they make a list
    Of righteous and of doomed,
    Their enemies cook in pot’je vleesch
    With blood of the Walloon.
    Each Hindu, Jew, and Protestant
    Baptized in Yser’s mists
    Then strictly reared, by law and rite,
    A lifelong atheist.
    Salute the Hanswijkcavalcade
    Its giant puppets rambling.
    At Krakelingen pray the priests
    Don’t swallow you like grondeling.
    So raise a glass Then raise again
    At finish of the toast.
    To diamonds, hops, and
    Vlaamsche Land Our great and glorious Hosts.

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  • 11 novembre 2013 à 17h56
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    Même si je ne comprends pas grand-chose à la politique belge, celle de Suisse me laissant déjà très perplexe, je trouve ça très mignon et j’attends la suite. 🙂

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    • 12 novembre 2013 à 23h03
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      Oui, l’affaire est assez belgo-belge! J’aurais dû donner cette précision pour ceux qui n’ont pas de notions de néerlandais: « Le Tisserand » est la traduction de « De Wever », Bart De Wever étant le leader du parti séparatiste flamand N-VA.

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  • 10 novembre 2013 à 8h35
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    Cool votre histoire du futur! Mais n’oubliez svp pas dans un prochain chapitre de raconter aussi pourquoi le vœux de Bart le Tisserand de rétrécissement politique de la Flandre fut en fait fatal et rendit même service, sans qu’il le sache à l’époque, au reste de la Belgique. Avec la montée des mers due au réchauffement climatique des 21ème et 22ème siècles, le rétrécissement de la Flandre fut ensuite aussi géographique et le coût des mesures pharaoniques pour essayer, en vain, d’éviter sa disparition sous l’eau, aboutit non seulement à sa ruine mais n’impacta même pas les finances du reste de la Belgique, qui put à nouveau prospérer.

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  • 9 novembre 2013 à 16h56
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    Très bien fait, j’adore votre humour… ENCORE… Merci.

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  • 9 novembre 2013 à 12h21
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    Un Bart de Légende qui aurait sa place dans « Shreck »… La Belgique comme substitut au chocolat de Bart… Moi, personnellement je le préférais quand il était gros… Ceci dit, pour éviter qu’il ne rétrécisse la Flandre (dont une grande partie se trouve aussi en France, et à ce sujet, on aimerait bien entendre les mêmes revendications), il faudra bien qu’il accepte le rattachement de la Wallonie à la Flandre, ce que nous devrons demander immédiatement après la séparation (tant il est vrai qu’être sous l’exclusive domination de Mathot Premier, ou Daerden Second ou bien d’autres encore m’inquiète tout autant…)

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