Bonjour!
J’entends un type qui est médecin et thérapeute, Christophe André, plaider, d’une voix suave et mesurée, pour la prière et la méditation. Il dit des choses qui me paraissent justes sur la condition humaine et ses mystères indépassables: la naissance (Jean Ziégler la place avec force comme le plus grand: pourquoi je nais dans un milieu privilégié, et pourquoi je nais juste pour connaître une agonie d’un an ou de quelques années), la vie, la conscience, la mort.
Cependant Christophe André, qui parle en position de maîtrise dans une émission radio suite à la parution d’un livre, ouvre la porte à la croyance en quelqu’un, une divinité, qui se trouve être comme par hasard et comme pour Blaise Pascal dans son fameux pari, juste la divinité de la culture dans laquelle il est né. Comme mon ami tailleur syrien à Liège, Gandhy, charmant et très pieux, qui dit avoir lu la torah, le coran et l’évangile, pour conclure en faveur de l’Allah de son héritage familial et régional.
Mais purée, pourquoi introduire un être, une entité inventée et culturellement/historiquement contingente, face à des questions sans réponses proprement humaines à ce qu’il semble: y a-t-il une autre espèce animale qui débat sans fin des causes dernières, ou premières, et s’entretue à l’occasion pour des idées? On reconnaît des « mystères », mais on colmate la question avec un dieu qui explique tout, et donc il n’y a plus de mystère, mes amis! Dans la cité idéale de mon utopie personnelle, il y aurait un recensement des questions sans réponses, dont la liste serait à jamais provisoire, enseignées dans les écoles et débattues à tout âge. Ce serait bien si cela pouvait contrer cet autre mystère, celui de la propension humaine universelle à se soumettre à des dieux inventés, pour fermer ces dérangeantes interrogation propres à notre condition.
La philosophie est le terrain arpenté universellement sur ces questions, et j’en suis terriblement ignorant, cadeau de l’enseignement belge qui finance des cours de religion reconnues par l’État, la catholique, la protestante, la juive, la musulmane, avec une autorisation de suivre le cours non confessionnel dit de « morale », squatté en général par des laïcards de système et de profession, qui ne sont pas sans donner, bien trop souvent, dans une forme de cléricalisme athée. J’ai cependant cru comprendre que toutes les philosophies humaines se partagent entre l’idéalisme et le matérialisme. À mon niveau d’ignorant avec des lacunes, il me semble que l’on peut définir l’une et l’autre comme « L’essence précède l’existence« , l’idéalisme auquel appartiennent les religions, avec dans notre culture ce thème omniprésent de « l’incarnation », formidable non-concept idéaliste, et « L’existence précède l’essence« , le matérialisme de Démocrite, Spinoza, Marx, Comte-Sponville, et d’autres, Deleuze par exemple, auquel j’appartiens inexplicablement depuis mes quatorze ans, quand j’ai commencé à penser à mon propre compte, en rupture avec la foi de charbonnier qui m’a été livrée à la naissance.
L’idéalisme connaît en Platon un éminent et fondateur représentant. Les idées flottent dans l’éther, et le réel de notre conscience n’en est qu’une cristallisation, une floculation, une précipitation, une projection cinématographique sur le fond de notre caverne, une « incarnation ». La méthode scientifique relève du matérialisme, et ce n’est donc pas pour rien que les églises l’ont tant combattue – et ça n’est pas fini! -. Par ailleurs l’invraisemblable plasticité du psychisme humain permet à des scientifiques qui font du matérialisme toute la semaine, éventuellement sans le savoir, de pratiquer le soir et le dimanche une religion où ils plongent dans l’idéalisme le plus effréné, celui de la religion, toujours sans le savoir sans doute. Encore un effort, camarades!
Comme le patriotisme, l’idéalisme est une arnaque intellectuelle et sociale, qui a nourri bien des massacres et continue de le faire. On va me répondre: « Et l’Union soviétique alors? » Eh bien, ne nous inquiétons pas, le matérialisme historique officiel de ce pays qui n’était ni une union ni de soviets, a souffert d’un scientisme bien utile à la création d’une nouvelle classe sociale qui prétendait disposer de la science de l’histoire et de la console de commande, une vision au nom de laquelle des dirigeants qui avaient partagé les geôles et la torture du tsarisme, une fois au pouvoir, s’entretuaient avec raison, puisqu’en science il n’y a qu’une réponse exacte à toute question. Il n’y a rien de matérialiste dans cette position, ni une recherche de vérité. Il y a juste une idéologie de classe dominante, celle en l’occurrence des professionnels de la classe ouvrière.
…Même eux, au secours!