Noam Chomsky et la Syrie: les oeillères et la chute d’une idole

« Chomsky n’est pas un ami de la révolution syrienne« , par Yassin al-Haj Saleh. Paru dans lundimatin#374, le 14 mars 2023. Illustration lundimatin.am

 

Bonjour !

 

On ne présente plus Noam Chomsky. Linguiste renommé internationalement, il a été une grande voix de l’opposition intérieure aux Etats-Unis à la guerre du Vietnam. Considéré comme un anarchiste, il a été remarquable dans son combat contre ce qu’il faut bien appeler l’impérialisme américain et ses crimes, mais le voilà pris au piège de ses obsessions anti-américaines et d’une position « campiste » qui « absolutise » les crimes américains et relativise toutes les horreurs commises par des adversaires des Etats-Unis.

La chose est particulièrement claire dans l’article à l’origine de ce billet, publié par le site lundimatin, et signé par un intellectuel syrien, Yassin al-Haj Saleh, opposant communiste au régime Assad, qui a vécu seize ans en prison dans son pays. Titre de l’article : « Chomsky n’est pas un ami de la révolution syrienne ».
Boum !

Cette lecture va nous dévoiler l’indigence de la pensée de Chomsky sur la question syrienne, et par là, les tristes limites de sa pensée tout court. Un certain Cockburn est désigné par Chomsky comme le meilleur commentateur ou « analyste » du Proche-Orient au monde, quoique bardé de lunettes américano-centrées, et bien que « ne parlant même pas arabe ». Robert Fisk, qui est une voix légendaire réputée « de gauche » en Occident à propos du Moyen-Orient, en prend aussi pour son grade. Il est dit dans l’article « encore plus mécanique » que Cockburn.

La totalité de l’article mérite la lecture, mais conformément à sa manière, Condroz belge donne ici à la lectrice pressée quelques citations, réflexions et résumés.

Yassin al-Haj Saleh expose très clairement pourquoi l’islamisme est important et inévitable dans ces pays sans souveraineté sur le plan international et en guerre avec leurs propres sujets. Je gage que comme moi vous le comprendrez clairement, vu que « le niveau des connaissances sur l’islamisme en Occident est pathétique », ce que j’accepte pour mon compte (presque) entièrement.

La situation de la Syrie, pays occupé par cinq puissances différentes, est instructive pour quiconque souhaite réellement mieux comprendre la situation mondiale actuelle. Nous avons les forces américaines dans une partie du pays, les Russes et les Iraniens qui protègent le « gouvernement reconnu », les Turcs dans une autre partie encore, tous quatre avec leurs mandataires locaux ou importés ; et avant tout cela, nous avons eu les Israéliens, qui occupent le plateau du Golan depuis 1967 et monopolisent le ciel de la Syrie en coordination avec les Russes.

(…)

 N’oublions pas non plus que « les impérialistes vaincus », ou les impérialistes sans empire – j’entends par là les djihadistes sunnites venus du monde entier – sont toujours là. Cette situation complexe ne peut être expliquée en relativisant les crimes des adversaires de l’Amérique et en absolutisant les crimes américains.

C’est moi qui souligne. Le souligné marque également la position de nombreux pacifistes et voix de gauche « campistes » quant à la guerre en Ukraine : absolutiser les crimes américains, relativiser les crimes du régime Poutine. Merci, Yassin al-Haj Saleh.

Notons la désignation du camp d’Al-Hol comme « le Guantánamo de l’Europe », au nord-est de la Syrie. Cela fait sens, indubitablement. L’absentéisme européen dans cette région après le récent tremblement de terre l’illustre tragiquement, à la différence de l’aide accordée en Turquie pour le même drame.

Si Chomsky qualifie le régime syrien de brutal et de monstrueux sans être pour autant capable de prononcer la moindre phrase positive sur les personnes qui ont lutté contre ce régime, c’est en raison de l’ossification de son système de pensée, qui l’empêche d’avoir une appréciation plus fine de la situation.

Le problème avec Chomsky n’est pas qu’il connaît mal la Syrie (ce qui est effectivement le cas) ; le problème est qu’il ne peut jamais dire « Je ne sais pas ». Dans sa perspective, il est aussi omniscient que l’impérialisme américain est omnipotent. J’ai le regret de dire que sa sensibilité semble plus faible encore que le niveau de ses connaissances, comme en atteste son commentaire impardonnable sur le massacre chimique de 2013.

La fin de l’article, comme vous le découvrirez peut-être,  est encore plus assassine pour l’idole, qui apparaît le mériter complètement. C’est triste, mais comme à chaque illusion que nous perdons, un gain de réalité nous vivifie.

Bonne lecture, et place à notre frère humain Yassin al-Haj Saleh.

4 réflexions au sujet de « Noam Chomsky et la Syrie: les oeillères et la chute d’une idole »

  • 4 avril 2024 à 11h14
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    bon jour a tous les liegeois d ici et d ailleurs, mon pere est venu comme mineur en 1947 travailler dans les mine, donc je je suis fils d immigrant italien du sud, et donc une autre vision, ma vision c est l histoire de la grandeur de l empire romain, ses mythologies grec et romaine avec Ulysse et son odyssée, Spartacus, les voyages comme marco polo, americo vespucci , la renaissance des beaux arts , giuseppe verdi, le risorgimento la creation de l italie que je controverse, les temps modernes avec mussolini qui a contribue a modernise le sud apres le pillage du nord avec les incursions des aristocrates comme conte cavour et la franc-maçonnerie piemontese, le sud a été aussi colonise par l islam comme l espagne, mon pere et certains de mon entourage familial m ont appris de respecter son prochain comme la bible nous le rappelle, la seule chose que nous les proletaires nous demandons c est d exister meme modeste mais notre liberte de penser est precieuse et nous n avons ni dieu ni maitre pour conditionner notre bonheur que nous meme, c est pourquoi que nous somme charmer des idees de lenin staline pour liberer le proletaires des mega riche qui veulent nous controler dans tout les domaines nourriture du corps et de l esprit, ma conclusion est que chomsky joue le role de faux prophete, je prefere son coreligionnaire gilad atzmon.
    Je sais que la narration dominante c est que bashar est un boucher, mais je n ai jamais cru l occident qui a et continue a commettre des crimes en afrique et amerique du sud, donc mon plus grand boucher des humains reste l occident

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  • 16 mars 2023 à 13h43
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    Bonjour,
    La phrase relevée dans l’article de Yassin al-Haj Saleh: « le problème est qu’il ne peut jamais dire « Je ne sais pas » » résume beaucoup de choses.
    Et tout est dit car on vient des quatre coins du monde le questionner sur TOUT.
    Tout est, alors et aussi, de savoir s’il ne veut pas le dire, imbu qu’il est de son illustre personne?
    S’il s’en fout, après tout, on peut vouloir limiter le domaine de ses investigations intellectuelles?
    Enfin, ne peut-il vraiment pas le dire, décevant du coup tous ceux qui voyaient en lui l’omniscient, la « ressource universelle » pour la bonne et juste compréhension des comportements humains?
    Eh oui! Eh non, plutôt! Noam Chomsky ne sait pas tout et ne dit pas tout sur tout. Sans quoi d’autres sages l’auraient déjà sacrifié sur l’autel de la fumisterie.
    Pour ma modeste part, je pense que l’auteur a sacrifié son article à la déchéance de Chomsky, Il emprunte en effet plus à la jalousie et à l’étalage de connaissances approfondies, certes, qu’à la volonté de partager avec le monde un point de vue fort intéressant.
    Cet article, sans « jérémiades », sans question « spivakienne », eut été une franche contribution à m’éclairer sur un sujet dont j’ignore beaucoup. Était-ce pour autant utile voire essentiel, de vouloir abaisser ce qui reste un grand intellectuel avec ses faiblesses?

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    • 16 mars 2023 à 14h34
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      Bonjour,

      Si je vous ai bien compris, mon billet vous a informé? Si c’est le cas, il a rempli son hypothétique fonction.
      Pour ma part, l’article de Yassin al-Haj Saleh m’a instruit et convaincu, et je n’y vois aucune « jérémiade ».
      Il m’a fait en particulier découvrir l’autrice considérable qu’est Gayatri Chakravorty Spivak, disons Spivak en bref, et les « études subalternes » (d’origine indienne) qui ont fécondé la mouvance décolonialiste.

      La performance explicative de notre auteur syrien illustre ce fait général, que les meilleurs analystes d’une situation lointaine sont les dissidents de l’intérieur, et pas, pour Israël par exemple, « des juifs qui ne vivent pas et ne vivront jamais en Israël », comme disait, à propos de Bernard-Henry Lévy, le remarquable historien israélien Shlomo Sand, auteur de L’invention du peuple juif. ( – Shlomo et pas Schlomo, qui existe aussi.)

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      • 17 mars 2023 à 17h38
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        Bonjour,
        Je me dois avant tout de vous remercier pour ce partage et ces informations d’une richesse inouïe. Oui, cet article épinglé par vos soins a bien rempli sa fonction d’information. D’autres articles ou événements que vous avez bien voulu mettre en avant m’ont aussi rendu ce service par le passé ( Je pense notamment à « Chouard démasqué?! »).
        J’ai simplement regretté que Yassin al-Haj Saleh consacre près d’un quart de ses lignes à l’explication de sa désillusion sur Chomsky, à son ambition à accéder à l’autorité intellectuelle au moins dans UN domaine aussi. Le procès intenté à Chomsky doit s’adresser à ceux qui s’interdiraient d’autres prismes d’analyse que les siens. Je ne pense pas que les gens qui vous lisent soient de ceux-là.
        Tout à fait d’accord avec vous pour Shlomo Sand, ses livres, ses interview. et son statut de dissident s’exprimant.
        Je m’en vais faire un tour du côté de chez Madame G. C. Spivak.
        Sachez que je reviendrai vous voir bien vite (je parle du blog) et vous réitère, une dernière fois, au risque de paraitre obséquieux, mes vifs remerciements.
        Cordialement

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