Arizona et le chômage : un gouvernement fédéral qui fédère quoi ?

(Texte écrit pour le blog d’Attac Liège)

Bonjour!

Titres
Effets de la réforme
Les buts avoués et non avoués de cette réforme
Le taux d’emploi
Le taux d’activité – et l’IWEPS
Le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion
La « fin de l’assistanat » est le prétendu guide de la décision politique (Christine Mahy)
Les aides publiques versées aux entreprises lucratives en Belgique
Les emplois vacants en Wallonie
En guise de conclusion

Bonjour !

Le gouvernement Arizona a décidé de réduire la durée des allocations de chômage à deux ans maximum. La violence sociale contre les personnes impactées est considérable, sauf si l’on pense qu’il suffit de désirer un emploi pour qu’il apparaisse, ce que certains discours ne manquent pas de sous-entendre : que leurs porteurs recommandent donc de résoudre le chômage par la mobilisation de cohortes de psychologues ! On connaît les drames individuels et les aberrations administratives qu’entraînent ce qu’on appelle dans les pays voisins les situations de « fin de droits », dont le nombre se trouve même déduit, partiellement ou totalement, de la statistique officielle du chômage national. Le point sera évoqué plus loin, nous nous bornons ici pour l’essentiel aux aspects politiques généraux.
Les personnes exclues se retrouveront, à défaut d’avoir trouvé un emploi et si elles ne sont pas dans une situation de cohabitation rédhibitoire, à charge des CPAS, autrement dit des communes, ce qui a suscité de multiples alarmes, nombre de finances communales étant déjà dans le rouge. (Le gouvernement vient d’octroyer un bol d’air de 234 millions aux CPAS – à suivre.)

Le fédéralisme à la Belge est un fédéralisme « à l’envers », où un État fragmente les territoires au lieu que dans le modèle habituel (États-Unis, Mexique – Allemagne par construction), des entités séparées se constituent en fédération. Notre fédéralisme isole ainsi les Régions et Communautés les unes des autres pour une série de matières, dans un modèle de répartition des compétences, des financements, voire de la représentation (Bruxelles), qu’il est difficile de modifier, voire de penser modifier. Ce modèle permet de limiter les moyens d’action du politique et des mouvements sociaux dans les périmètres des territoires fédéralisés, en quoi il n’est pas difficile de considérer que le gouvernement dit fédéral se déresponsabilise de situations régionales et communautaires, dites fédérées, voire qu’il a les moyens de leur externaliser des difficultés budgétaires ou autres, un mouvement qui va jusqu’aux communes. Nous avons ainsi de longue date une guerre des budgets entre le fédéral en charge des allocations de chômage, et les CPAS communaux en charge du « revenu d’intégration sociale » (les guillemets s’imposent!) alloué aux personnes exclues du chômage ou n’y ayant pas encore droit (d’où les contrats « article 60 », noués par les communes pour un temps d’emploi qui ouvrira le droit à l’allocation fédérale de chômage).

Il y a pire dans la réforme Arizona. La carte ci-dessus montre les violents effets régionaux de cette réforme : les Régions bruxelloise et wallonne, les moins riches du pays, paieront le plus cher en proportion de leurs populations.
Dit autrement, la réforme Arizona creuse les inégalités régionales.
Que fédère donc le « fédéral » ?

Effets de la réforme

D’après l’ONEM (fédéral), vont être progressivement « exclues du chômage », c’est-à-dire exclues des allocations (réduction des dépenses au budget fédéral qui finance une partie de la sécurité sociale), et de la statistique qui sera affichée ne l’oublions pas :
184.463 personnes en Belgique, dont
99.941 hommes et
84.522 femmes.

Ce qui donne par région :
Wallonie : 86.287 (face à 38 158 emplois vacants en 2024, selon l’IWECS, voir plus bas)
Flandre : 57.400
Bruxelles : 40.775.

Ces chiffres absolus ou nominaux indiquent déjà un effet régional, mais comme le montre la carte, les chiffres relatifs à la population globale sont bien plus parlants.

Les buts avoués et non avoués de cette réforme

Le but officiel de cette réforme est de s’aligner sur un mantra de la commission européenne : atteindre un taux d’emploi de 80 pour-cent. L’objectif de plein-emploi a disparu depuis longtemps.

Le taux d’emploi

Le taux d’emploi fait figure de paravent technocratique dont personne ne douterait de l’importance, et dont la pertinence ne demande pas de démonstration. Plus est importante la proportion de la population au travail, moins lourde est la charge, individuelle, familiale ou collective, de celles et ceux qui n’ont pas de revenus. Mais se limiter au taux d’emploi ignore la répartition des revenus, la démographie et sa pyramide des âges, la qualité des emplois.

Le taux d’emploi mesure le nombre de personnes effectivement au travail en rapport à la population en âge de travailler : 20-64 ans en Union européenne, toujours 15-64 ans sur le site de l’institut de statistique de la Région wallonne.

Parmi les personnes absentes du comptage, il y a d’une part celles qui ne travaillent pas mais voudraient travailler. Sont considérées comme souhaitant travailler, les chômeuses et chômeurs inscrits administrativement comme demandeurs d’emploi.
Et il y a par ailleurs des personnes qui ne souhaitent pas travailler : classiquement, les femmes ou les hommes « au foyer », les étudiants, les inactifs pour maladie ou retraite anticipée.
Les allocataires du revenu dit d’intégration aux CPAS échappent à la plupart des relevés et statistiques, alors qu’au minimum la part d’entre elles ayant perdu, ou encore jamais perçu, les allocations de chômage, devrait bien sûr appartenir à la catégorie des demandeurs d’emploi.

Cela dit, il ne faut pas confondre le taux d’emploi avec le taux d’activité :

Le taux d’activité – et l’IWEPS

L’Institut wallon de l’évaluation [?], de la prospective [!] et de la statistique, l’IWEPS, nous dit :
La population active wallonne est composée des personnes résidant en Wallonie, qui travaillent en Wallonie ou ailleurs (population active occupée) ou qui sont sans emploi et à la recherche d’un emploi (population active au chômage).
Le taux d’activité exprime ainsi « le rapport à la population d’âge actif (15 à 64 ans [sic]) de ces personnes qui se présentent effectivement sur le marché du travail, qu’elles soient occupées ou chômeuses. »

En résumé :

  • Population active = personnes au travail + personnes ne trouvant pas d’emploi (chômeurs/chômeuses inscrites comme telles, « présentes sur le marché du travail »).
  • Taux d’activité = population active, (chômeurs et chômeuses comprises), en % de la population en âge de potentiellement travailler, les 20-64 ans (ou 20-65, ou 20-67, ou…).

Petit trésor involontaire de l’administration wallonne sur la page ci-dessus : « Ce taux traduit donc un comportement par rapport au marché du travail ». Un comportement ? Ou un état ? Le comportement de qui ou de quoi est-il exprimé, quand une personne qui perd son emploi n’a pas encore travaillé pendant la durée légalement nécessaire à l’ouverture du droit aux allocations ?

Une étude relève ces chiffres pour 2021-2022 :

  • Population belge : 11,5 millions d’habitants.
  • En âge de travailler (20-64 ans) : 7 millions
  • Inactifs : 1,6 million. pour diverses raisons (études, maladie, retraite anticipée…).
  • Actifs : 5,4 millions, dont
  • 5 millions à l’emploi, et
  • 450.000 individus recherchant du travail.

Par ailleurs, « Un taux d’emploi proche de 80 % ? L’Arizona ne tiendra pas sa promesse », titre lesoir.be : Le Bureau du Plan confirme que le gouvernement fédéral ne tiendra pas ses promesses, ni en matière d’emploi, ni sur le plan budgétaire – avec, en fin de législature, un dérapage bien plus large que celui que l’Arizona laisse entendre.

La Banque nationale a de son côté confirmé l’estimation de « dérapage budgétaire » de l’Arizona.

Le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion

Yves Martens, dit aussi Yves Martens-Honoré, coordinateur du CSCE ou Collectif Solidarité Contre l’Exclusion, écrivant sur le site Ensemble.be, a publié notre carte ci-dessus. Il commente :

Lors des chasses aux chômeurs précédentes (principalement 2004 et 2012), il y avait une bataille de chiffres parce que le gouvernement et/ou le ministre “compétent” minimisait les dégâts.
Le grand changement de ce gouvernement/ministre c’est que non seulement il ne se cache pas de vouloir exclure massivement mais qu’il est même fier des chiffres. (…)
Les réformes de 2004 et 2012 avaient chacune éliminé plus de 50.000 personnes des chiffres du chômage (pas de la situation de sans-emploi, hein !).
La réforme actuelle se réjouit de virer environ 180.000 personnes entre janvier et juillet 2026 et quelque 100.000 entre juillet 2026 et juillet 2027. (…) Discours ambiant : « Ah ben oui c’est bien, fallait faire quelque chose ». Ce qui « marche » aujourd’hui, c’est donc une mesure qui n’a aucune rationalité économique ni sociale, qui ne va évidemment pas atteindre l’objectif annoncé (80% de taux d’emploi) et qui va coûter beaucoup plus cher que l’existant (et donc causer des coûts plutôt que des économies). Devant une telle bêtise abyssale, il devient difficile d’argumenter…

De son côté, Christine Mahy du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, RWLP, https://rwlp.rtaweb.be, donne son éclairage :

La « fin de l’assistanat » est le prétendu guide de la décision politique

De la NVA au MR en passant par les Engagés, la droite conservatrice en a fait son cheval de bataille : chômeurs, malades, pensionnés, migrants, travailleur·euses du non marchand. Voilà qui seraient les « assisté·es à responsabiliser ».
Sans revenir sur l’inefficacité économique, le non-sens sociologique et le caractère injuste de ces réformes largement documentées par ailleurs, le collectif Éconosphères publie une étude qui chiffre pour la première fois l’ensemble des aides publiques versées aux entreprises lucratives en Belgique.

(Christine Mahy, FB)

Voyons cette étude d’Éconosphères :

Les aides publiques versées aux entreprises lucratives en Belgique

Econospheres.be vient de produire la première étude disponible à ce jour, à affiner encore, sur l’argent public versé aux entreprises lucratives:

Dans cette note, nous estimons le soutien public global aux entreprises privées lucratives en Belgique.
(…) il atteint un niveau remarquable avec un total estimé à

  • 51,9 milliards d’euros en 2022, ce qui représente
  • 9,2% du PIB,
  • 17,6% des dépenses publiques,
  • 115,4% des dépenses de santé et
  • 1,5 fois le budget de l’enseignement. C’est aussi
  • plus de 3 fois plus que les économies imposées par la Commission européenne à la Belgique (15,7 milliards en 2029).

Ce soutien public aux entreprises privées lucratives est en constante augmentation depuis les années 1990 et illustre une trajectoire de néolibéralisation de l’État.

Tout cela avec la contribution de partis de la gauche de gouvernement, car les chiffres sont de 2022, sous le gouvernement De Croo (octobre 2020 – juin 2024), réunissant PS, MR, Ecolo, CD&V, Open VLD, SP.A, et Groen. Les journalistes n’auraient pas dû l’appeler Vivaldi, il y avait d’autres options moins harmonieuses, que nous laissons aux lectrices et lecteurs.

Les emplois vacants en Wallonie

La complainte patronale des emplois vacants tourne en boucle dans les médias. D’une part cette antienne sans autre précision répand dans le public que les chômeurs et chômeuses n’occupent pas ou ne veulent pas occuper des emplois disponibles, et d’autre part au niveau national l’on voit que deux tiers de ces emplois vacants se trouvent en Flandre, un huitième à Bruxelles et un cinquième en Wallonie. Il n’y a rien dans le plan Arizona de réduction de la durée des allocations de chômage qui puisse y remédier si ce n’est d’exercer une pression vers les travaux non qualifiés. Et nombre d’emplois non pourvus concernent des métiers à formation spécifique, dans le bâtiment, l’enseignement, l’informatique. Les magistrats aussi sont à la peine, mais aucun lobby patronal ne veille à leur condition, comme pour tout ce qui est public ou non marchand.

En guise de conclusion

Le programme d’éviction massive du chômage mis en place par la coalition Arizona peine à montrer une rigueur, voire simplement un début de rationalité technique ou économique. De l’avis de nombreux acteurs et analystes, l’objectif d’atteindre un taux d’emploi de 80 % ne sera pas atteint : il figure plus en élément de langage qu’en vérité d’une volonté politique.
Le but réel doit être cherché ailleurs, tout d’abord évidemment dans une volonté de réduire les dépenses fédérales pour équilibrer un budget, dans la vision de droite dure de plus en plus brutale qui a fait mouche aux élections. Dans ce cadre, s’en prendre aux chômeurs et chômeuses fait preuve d’un très grand courage et d’un fort souci du bien commun, cela n’échappera à personne.

En matière de législation de l’emploi et ses corollaires : précarité, salaires, sécurité sociale voire services publics, il est difficile de comprendre sans ouvrir la réflexion vers un horizon plus général. L’hégémonie culturelle est acquise aux classes dominantes, c’est un truisme. Et que nous disent les haut-parleurs chaque jour ? Que si tu es riche, c’est ton mérite, et que si tu es pauvre, c’est de ta faute. Qu’il faut « activer » les chômeuses et les chômeurs, ce qui est un terme déshumanisant car on active des mécanismes, et non des êtres humains. Que les allocataires sociaux sont des assistés, alors qu’il n’y a pas plus assistée qu’une personne très riche : formation, héritage matériel et symbolique, réseau relationnel, personnel de service, protections assurantielles privées, protections juridiques notamment du point de vue fiscal.
(« La majestueuse égalité des lois interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain », disait Anatole France : de même l’égalité des lois autorise-t-elle les pauvres comme les riches à travailler en société …d’une personne, à bénéficier d’une transaction pénale, à s’acheter l’immunité pour rapatriement de capitaux détenus à l’étranger, à engager un avocat des plus réputés.)

Aussi les critiques comme Christine Mahy et d’autres ouvrent-ils ou elles le débat.
Comment une société qui n’a jamais créé autant de richesse crée-t-elle aussi tant de pauvreté, plus que jamais depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? Qui gagne et qui perd, et qui paie ? On ne peut éviter de réfléchir à ce qu’il est convenu d’appeler la répartition des revenus, et de se demander si les gagnants contribuent à la mesure de leurs gains.
Et là, silence et inaction du côté Arizona. C’est l’audace des « briseurs de tabous ».

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