
Bonjour!
C’est bien triste. Condroz belge a déjà épinglé l’immense Noam Chomsky pour sa vision étriquée de la situation en Syrie, exposée et dénoncée de façon convaincante par un intellectuel et opposant syrien, Yassin al-Haj Saleh, dans Noam Chomsky et la Syrie: les oeillères et la chute d’une idole du 14 mars 2023.
Aujourd’hui, en rapport avec la guerre russe en Ukraine, le linguiste se signale, comme toute une partie des gauches et des pacifistes « historiques », par une minoration de la responsabilité du régime de Vladimir Poutine, et une attribution obsessionnelle du crime fondateur aux Etats-Unis et à leurs vassaux de l’Otan ou de l’Occident. Une attribution plus assénée que démontrée, reposant sur tous les méfaits bien connus de l’empire américain, largement exposés pour les temps présents dans L’Empire de la honte de Jean Ziegler, paru en 2007.
L’impérialisme occidental se présente sous les parures du bien, et il est vrai qu’en Occident, les libertés publiques et privées ont une relative extension, limitées toutefois à de féroces frontières, qui s’appellent Julian Assange, Guantanamo, Sainte-Soline ou Frontex, la liste s’allonge…, et sérieusement érodées par les politiques anti-covid, de maintien de l’ordre ou de judiciarisation des grèves et mouvements sociaux, dans un mouvement d’autoritarisme croissant. Nous pouvons cependant continuer à nous exprimer sans censure immédiate ni emprisonnement rapide.
Un des éléments de l’argumentation minorant la responsabilité du régime Poutine en Ukraine, repose sur des promesses verbales qui ont été faites à Gorbatchev de ne jamais étendre l’Otan vers la Russie, qui sont avérées mais n’ont jamais été écrites dans une communication officielle, et se sont trouvées démenties en actes à la demande de pays proches de leur ancien occupant, principalement les pays baltes et la Pologne, et suite aussi à la fin de la présidence Eltsine et à la montée au pouvoir de Vladimir Poutine.
Mais Condroz belge comme d’autres ne situe pas là l’interrogation principale.
Les gauches sont la patrie de ce que j’appelle les fidélités absurdes, où on ne reconnaît pas les fautes fussent-elles graves des alliés. On a vu le Venezuela bolivarien voter et coopérer avec l’Iran des ayatollahs, le remarquable ancien président de l’Uruguay Mujica absoudre de ses tares le castrisme finissant, des militants sincères trouver judicieux de se réclamer d’un Léon Trotsky certes héroïsé en martyr et au piolet par Staline, mais qui fut l’organisateur de répressions sanglantes et multiples comme celle des marins de Kronstadt, et écrivait en 1923, dans son essai Art révolutionnaire et art socialiste :
L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans.
Cela dit, ceux qui s’appellent trotskistes font preuve en général de beaucoup de raison face au présent sujet.
D’autres tendances de gauche continuent à parer la Chine de Xi de positivités attribuées à un Mao aux grandes qualités, principalement la libération du pays des puissances étrangères, mais comme souvent pour le passé, plus ou moins largement fantasmées et embellies.
Quant aux pacifistes « historiques », certains en restent aujourd’hui à l’ennemi principal lors de la guerre américaine du Vietnam. La formule adéquate est ici « l’horloge arrêtée ».
Lors de la guerre du Vietnam justement, l’opération mentale d’opposition était facile pour tout cerveau de gauche, démocrate ou pacifiste: on est contre l’intervention américaine, cette armée n’est pas là à sa place. Le livre de l’époque qui présentait un relevé précis et quasi exhaustif des exactions commises par l’État dirigé à Washington, qui valait un accablant réquisitoire, a été titré L’Empire américain et signé par Claude Julien en 1968, futur directeur du Monde diplomatique.
Il n’y avait alors qu’un seul impérialisme majeur en actes sur la planète. Aujourd’hui, nos cerveaux sont contraints de faire coexister deux impérialismes différents, de puissances et de caractéristiques distinctes, et Noam Chomsky comme d’autres ne peuvent renoncer au monopole de la malfaisance dont disposaient les États-Unis d’Amérique.
Avertissons-les: vous devrez bientôt, chers camarades, faire passer au billard à trois bandes un cerveau qui va surchauffer.
Un troisième impérialisme mondialisé s’affirme en effet: la Chine de Xi produit désormais chaque année plus de navires de guerre que n’en dispose le Royaume-Uni, et son président qui vassalise des ports, des aéroports et des pays dans le monde, et vassalise même peut-être la Russie, a formulé explicitement que la Chine « récupérerait » Taïwan par tous les moyens, « y compris militaires ». Une échéance paraît certaine pour 2049, centième anniversaire de la création de la République populaire de Chine, mais certains, comme un ancien directeur de la CIA pour l’Asie, estiment que cela se produira bien avant.
Si cette guerre se réalise, les gauches et pacifistes aux horloges arrêtées pourront-ils et elles continuer à attribuer la responsabilité en dernier ressort aux États-Unis et à l’Occident?
En attendant, ces courants d’opinion appellent à une fin sans délai de l’aide militaire à l’Ukraine, ce qui représenterait son écrasement, à une paix hors sol, immédiate, sans conditions en somme, qui fait fi de ce principe qui nous paraît premier, le droit à l’autodétermination des peuples.
Qu’il y a ait des profiteurs de guerre et des intérêts malpropres qui s’enrichissent de cette guerre, et qu’une fois la paix revenue la population ukrainienne aura affaire, s’il est toujours là, à un Zelensky de droite dure, peu sensible à la souffrance sociale et ami de l’argent, n’effacent pas les devoirs de l’heure.
Pour éclairer la critique des positions de Noam Chomsky sur la guerre en Ukraine, nous pouvons nous tourner vers Morvan Lallouet, doctorant en science politique, qui titre dans sur son blog sur Mediapart, « Guerre en Ukraine : ce qui ne peut plus durer dans la gauche française » (18 mai 2023). Nous pouvons notamment y lire :
Les occasions de s’affliger des errances et complaisances d’une partie de la gauche française quant à la guerre en Ukraine ne manquent pas. Les éditions Agone m’en ont donné de nouvelles, en produisant un discours symptomatique des complicités d’une partie de la gauche avec l’impérialisme russe, des positions de Jean-Luc Mélenchon à celles du Monde Diplomatique.
(…)
Chomsky ne nie pas que l’invasion de l’Ukraine par la Russie soit une « agression », ni n’est opposé en principe à des livraisons d’armes à l’Ukraine, sans qu’on voie malheureusement très bien lesquelles, toutes celles qu’il cite étant susceptible de mener à une funeste « escalade ». Comprenne qui pourra.
Dans tous les cas, ce que parvient très bien à nous faire comprendre Chomsky, c’est que la cause réelle du conflit est à Washington, qui ne poursuit qu’un seul but : affaiblir un « adversaire militaire ». La Russie a, point répété ad nauseam, été provoquée par les États-Unis, qui lui avaient promis de ne pas élargir l’OTAN. Je n’ai pas ici la place pour m’étendre sur ce qui me semble être une explication passablement simpliste de ce qui est en train de se passer — et du reste, le mode d’argumentation de Chomsky relève bien plus de l’assertion de pseudo « évidences » que d’une démonstration appuyée sur des preuves.
Bonne lecture !
Guy