Pourquoi la crise de l’Euro ne sera pas résolue

Photo Reuters – John KOLESIDIS (Le Monde)

…ni celle de la dette, ni celle de la finance.
(Ni celles de la faim dans le monde, de l’environnement, du climat, de la santé publique…?)

La raison en est donnée dans les deux  premières minutes de cette vidéo de Paul Jorion, parue aujourd’hui sur son blog, au titre d’une apparente grandiloquence dans laquelle il ne faut voir qu’un trait de son humour favori:  « Le grand mystère des choses enfin révélé. »

Le reste, ce sont les détails, certes intéressants, voire passionnants, peut-être vitaux, mais attachons-nous ici à la cause de nos embêtements financiers, qui sont loin d’être théoriques, ainsi que nous pouvons l’observer en Grèce. Cette cause peut être décrite en trois mots: la concentration des richesses.

Il s’ensuit une grille d’analyse pratique très simple: tant que les plans gouvernementaux ne s’adressent pas à cette cause, ils n’auront aucun effet curatif.
Au prix d’une minute d’attention par jour, vous pourrez désormais vous faire une idée pertinente de l’actualité Sarko, Merkel, UE, FMI et consorts, libérer votre temps pour d’autres activités et choisir votre prochain  bulletin de vote ou de non-vote.

Cela dit, chacun se pose ou s’est posé la question: qu’est-ce qui empêche des professionnels instruits  de repérer une cause aussi voyante et massive, et d’y remédier?
La réponse tient en deux choses toutes simples et intimement liées: l’intérêt personnel et l’idéologie.
Oui, nos gouvernements, leurs conseillers, les économistes d’université (pour la plupart), sont la proie d’un biais idéologique absolu. (Les financiers, banquiers et affidés aussi, mais chez eux c’est normal et professionnel – il faudrait juste s’en souvenir et cesser de les inviter aux débats sur l’emploi ou l’enseignement par exemple.)
Encore une fois, voyez la Grèce: le remède imposé par la troïka, dont les émissaires en costume trois pièces  dînent avec le gouvernement grec à 300 euros le couvert, accroît le mal au lieu de le soulager. Mais ces gens-là, Monsieur, ces gens-là, ne peuvent envisager d’autre action que d’alourdir la potion qui tue.

Si vous avez lu ce courrier jusqu’ici, et si vous avez un peu de temps ou de curiosité, la suite de la vidéo de Paul Jorion pourrait vous intéresser. Elle présente la réflexion d’un homme qui, depuis des années, réfléchit , débat et écrit en liberté sur ces questions.
Vous ne courrez qu’un risque: sentir la confusion reculer et votre intelligence stimulée.

Bonne fin de journée !

Guy

PS: pour ceux qui ne me connaissent pas ou ne sont pas sûrs de me remettre, et tant que j’y suis à répandre des vidéos, en voici une autre où  l’on peut me voir à la minute 1’10. Il s’agit du Prix Première (2012) de la RTBF, pour lequel j’ai été retenu comme membre du jury.

 

Jacques SAPIR: « La dette de la Grèce est au jourd’hui absolument impossible à rembourser »

Photo Reuters de Lucy NICHOLSON, dans Le Monde

 Bonjour!

 

Voici le texte intégral d’un « chat » sur le site du journal Le Monde, avec l’économiste Jacques Sapir.

Il est parfois un peu technique, mais dans l’ensemble, c’est clair et net. Il suffit de passer les paragraphes difficiles… Les courageux de mon pays seront récompensés, car il y a une citation de la Belgique, malheureusement un peu  pessimiste.

Voilà qui tranche avec les zones de silence tonitruant des gouvernants, de la plupart des économistes de plateau, ainsi que des journalistes qui leur tendent les micros.

Dernière phrase: « On sait que gouverner, c’est prévoir ; la classe politique française, en se refusant à prévoir l’hypothèse d’une crise de la zone euro, a ainsi perdu le droit de gouverner. »

Bonne lecture!

Guy

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LEMONDE.FR | 19.09.11 | 12h24  •  Mis à jour le 19.09.11 | 13h58   http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/09/19/1574186.htm

« La dette de la Grèce est aujourd’hui absolument impossible à rembourser », estime Jacques Sapir dans un chat au Monde.fr.

La Grèce est surendettée : quoi qu’il arrive, cette dette passera par pertes et profits et les créanciers n’en mourront pas. Qu’en pensez-vous ?

Jacques Sapir : Oui, la dette de la Grèce est aujourd’hui absolument impossible à rembourser, oui, la Grèce va faire défaut sur tout ou partie de sa dette. Le problème qu’il faut poser, c’est comment la Grèce va-t-elle survivre après le défaut, et pour cela on conçoit qu’elle sera obligée de dévaluer. Autrement dit, elle devra quitter la zone euro, retrouver sa monnaie et la dévaluer de 40 à 50 % par rapport à l’euro.

Quel serait l’intérêt d’un retour à la drachme pour la Grèce ?

Jacques Sapir : Le problème pour la Grèce, mais aussi pour d’autres pays, est celui de sa compétitivité par rapport à l’Allemagne. Il y a deux manières de chercher à restaurer la compétitivité d’un pays : soit en faisant des investissements massifs dans ce pays, et l’on pourrait concevoir que l’Allemagne, peut-être la France, investissent massivement en Grèce, au Portugal et en Espagne.

Mais on conçoit aussi que l’ampleur de ces investissements dépasserait de très loin ce qu’il nous faudrait payer par ailleurs pour maintenir ces pays à flot dans la crise de la dette. Donc nous sommes renvoyés à la deuxième possibilité : ces pays doivent dévaluer, et pour cela ils doivent sortir de l’euro. Cela nous rappelle qu’une monnaie unique impose un carcan de fer aux économies qui la composent, et que la seule solution qui permette d’assouplir un peu ce carcan, ce sont des transferts financiers massifs depuis les pays à forte compétitivité vers les pays dont la compétitivité est plus faible.

Dans la mesure où ces transferts ont été exclus, que ce soit dans le traité de Maastricht ou encore, plus récemment, dans le traité de Lisbonne, la zone euro était malheureusement condamnée.

Si la Grèce sort de la zone euro, n’ouvre-t-elle pas la voie à l’implosion de celle-ci, sachant que d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie sont aussi en difficulté ?

Jacques Sapir : Effectivement, une sortie de la zone euro par la Grèce, et même simplement l’annonce d’un défaut, ne serait-ce que partiel, déclenchera un processus de contagion qui touchera tout d’abord le Portugal, puis, très rapidement, l’Espagne, et enfin, l’Italie, la Belgique, et finalement la France.

Ce processus d’implosion de la zone euro, par ailleurs, n’est pas seulement lié à la contagion que provoquerait la sortie de la Grèce, il faut savoir qu’un pays comme l’Espagne devra faire face à une situation sociale et économique très difficile en 2012. En effet, les allocations chômage en Espagne ne durent que deux ans. Et l’on voit à ce moment que plus de la moitié des chômeurs, qui représentent aujourd’hui 21 % de la population active, se retrouveront sans aucune ressource. Cela imposera soit des dépenses importantes pour les solvabiliser, soit des dépenses tout aussi importantes pour solvabiliser les banques, qui seront confrontées à des prêts non remboursés de manière massive. La crise de la zone euro apparaît aujourd’hui comme inéluctable.

Y a-t-il un risque, si la Grèce ne sort pas de la zone euro, de voir des pays « forts », comme l’Allemagne, quitter cette dernière ?

Jacques Sapir : C’est effectivement une possibilité. Par exemple, si l’Allemagne était isolée sur la question des eurobonds, ou de la monétisation directe de la dette – soit le rachat par la  Banque centrale européenne, directement aux Trésors publics, d’une partie de leur dette. On sait que ces deux solutions ont été évoquées. Or, elles sont en réalité inconstitutionnelles du point de vue de l’Allemagne.

Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a rappelé la semaine dernière que le gouvernement allemand ne devait pas donner son accord à une mutualisation de la dette, excluant ainsi la possibilité des eurobonds, et il a rappelé que l’euro n’était acceptable pour l’Allemagne qu’à la condition qu’il garantisse aussi la stabilité monétaire, comme le faisait le mark. On voit donc que la cour constitutionnelle a fermé la porte à ces deux solutions.

Si l’Allemagne sortait de la zone euro, ce ne serait d’ailleurs pas une catastrophe. Le deutsche mark retrouvé se réévaluerait fortement par rapport à l’euro maintenu. Les pays de la zone euro pourraient ainsi rééquilibrer leur commerce extérieur avec l’Allemagne. Mais politiquement, c’est une solution qui apparaît très peu probable. Il est à craindre que nos gouvernements s’obstinent dans des perspectives de sauvetage de la zone euro et qu’ils soient acculés d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine à la perspective d’un éclatement général de cette zone.

Pensez-vous comme Jacques Delors que c’est le manque de réaction de la zone euro qui plombe la Grèce ?  L’UE ne semble pas avoir les moyens de sauver la Grèce alors que ce pays représente le PIB des Hauts-de-Seine. La crise grecque n’illustre-t-elle pas la faillite de l’UE et de ses institutions inadaptées ainsi que la mise en avant des égoïsmes nationaux ?

Jacques Sapir : La réaction de Jacques Delors est juste, mais bien tardive. Comment pouvons-nous prendre au sérieux un homme qui a conçu un système dont l’aboutissement logique est la crise actuelle, et qui vient maintenant déplorer celle-ci ? Il faut rappeler le rôle extrêmement néfaste qu’ont eu un certain nombre d’hommes politiques français, ainsi que des hauts fonctionnaires, qu’il s’agisse de Jacques Delors, de Pascal Lamy ou d’autres, dans la déréglementation financière généralisée que nous avons connue en Europe à partir de 1985-1986. Sur le fond, on a voulu faire avancer la solution d’une Europe fédérale sans le dire aux populations.

La construction européenne a été faite de telle manière qu’elle incluait des déséquilibres structurels dont les pères de l’Europe espéraient que les solutions iraient chaque fois un peu plus en direction du fédéralisme.
Ce fédéralisme furtif, ou clandestin, comme l’on veut, ne tenait pas compte des réactions des peuples, et ne tenait pas compte de l’enracinement extrêmement profond des nations qui constituent l’Europe. On peut toujours aujourd’hui reprocher aux différents pays leurs égoïsmes, on peut toujours
aujourd’hui reprocher aux classes politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, leur manque d’initiative et leur aveuglement face à la crise de l’euro, qui était une perspective inévitable depuis 2009.

Mais sur le fond toutes ces incompétences renvoient en réalité à un projet politique. Ce projet qui avait été refusé lors du référendum de 2005, que ce soit en France ou aux Pays-Bas, et que l’on a cherché à imposer malgré tout via la notion de contrainte économique. Mais les faits sont têtus, et quand on les méprise, ils se vengent.

On nous parle de l’exposition des banques (françaises ou pas) à cette dette grecque. Mais les prêts octroyés aux banques après la « crise des subprimes » ont été rapidement remboursés. Ne vaudrait-il mieux pas injecter de l’argent dans les banques trop exposées, plutôt que de prêter à une Grèce qui n’aura jamais la possibilité de rembourser ?

Jacques Sapir : Le problème des banques est bien sûr celui des dettes grecques qu’elles détiennent, et au-delà celui des dettes portugaises, espagnoles et italiennes. Bien entendu, on peut toujours injecter de l’argent dans les banques, et d’une certaine manière ce serait certainement plus efficace que de chercher à tout prix à sauver la zone euro. Mais il faut savoir
qu’aujourd’hui l’opinion, dans différents pays européens, est très hostile aux banques. Alors un scénario possible consisterait à nationaliser les banques, à se servir de cette nationalisation pour faire accepter la recapitalisation des
banques, mais en utilisant aussi cette nationalisation pour mettre de l’ordre dans les systèmes bancaires, et en particulier rétablir la distinction impérative entre banques de dépôts et banques d’affaires, et très sérieusement limiter le nombre d’opérations que les banques ont le droit de faire.

D’une certaine manière, toute crise correspond à un risque et à une opportunité. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de nous saisir de cette crise pour réformer en profondeur nos systèmes bancaires, pour mettre fin à la financiarisation qui dicte sa loi depuis la fin des années 1980, et pour recréer les conditions de stabilité d’un grand pôle de crédit alimentant à la fois les entreprises et la population. De ce point de vue, la crise peut être utile.

Pensez-vous qu’aujourd’hui il y a un moyen de « sauver » la zone euro ? Si oui, quel est-il ?

Jacques Sapir : On pourrait sauver, au moins temporairement, la zone euro soit par la mutualisation de la dette ou par l’émission massive par la Banque centrale européenne de crédits au profit des Etats membres. Ce que l’on appelle la monétisation de la dette. Mais comme je l’ai dit, ces deux options sont exclues, à la fois pour des raisons politiques, mais surtout juridiques, par l’Allemagne. Je rappelle ici que la cour de Karlsruhe, dans son arrêt rendu il y a une semaine, a tué dans l’œuf toute possibilité de rebond.

Et si la Banque centrale européenne décidait de prêter directement aux Etats, au lieu de prêter aux banques, qui elles-mêmes prêtent aux Etats, une nouvelle plainte devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe aboutirait à ce que cette dernière rende un avis d’inconstitutionnalité sur cette pratique. Cela, le gouvernement allemand le sait, et il ne pourra donc pas accepter une telle solution. Nous voyons donc qu’aujourd’hui les deux solutions pour sauver, ne serait-ce que temporairement, la zone euro sont de fait exclues.

D’un point de vue juridique, comment peut-on sortir de l’euro ?

Jacques Sapir : La zone euro ne prévoit pas de mécanisme de sortie. Mais elle ne prévoit pas non plus de mécanisme pour expulser un pays contrevenant à ses règles. Cette situation juridique tout à fait extraordinaire démontre bien que la zone euro était institutionnellement très fragile. On peut d’ailleurs imaginer que certains pays décident de réquisitionner leur banque centrale, et décident que leur banque centrale se mette à octroyer des crédits en euros à leur gouvernement. Cela provoquerait une crise politique très grave qui pourrait soit se solder par l’éclatement de la zone euro, soit par la sortie de l’Allemagne et de ses pays satellites, l’Autriche et la Finlande, de la zone euro.

La solution la plus simple et la plus judicieuse consisterait néanmoins dans une autodissolution de la zone euro, un peu sur le modèle de l’autodissolution de la zone monétaire nordique que la Suède, la Norvège et le Danemark avaient constituée dans les années 1920, et qui a été dissoute avec la crise de 1929. Cette autodissolution, se faisant de manière ordonnée, permettrait alors à chaque pays de fixer le taux de change de sa monnaie retrouvée, en concertation avec les autres pays. Cette solution aurait le grand avantage de maintenir une concertation monétaire minimale entre les pays qui composaient la zone euro, et pourrait permettre de reconstituer des mécanismes monétaires une fois que la crise serait passée.

Mais ce que l’on doit craindre aujourd’hui, c’est que les gouvernements, pris d’un entêtement infantile, renoncent à une telle solution jusqu’au moment où ils seront contraints par la réalité de l’envisager, et ceci se fera alors dans une atmosphère de crise, de très grandes récriminations entre les pays, et en particulier entre la France et l’Allemagne, et généralement dans des conditions politiques tout à fait détestables.

En 2013, le SPD arrivera sans doute au pouvoir en Allemagne, et il est très favorable à l’Europe fédérale. Ne pensez-vous pas que cela permettra d’aller vers des solutions comme la monétisation de la dette (quitte à ce que la Constitution soit modifiée en Allemagne) ?

Jacques Sapir :
L’hypothèse d’un changement constitutionnel en Allemagne ne saurait être à l’ordre du jour avant plusieurs années. Le destin de la zone euro se jouera dans les semaines ou les mois qui viennent. Il n’est simplement plus temps de rêver à de telles solutions.

Vous dites que la sortie de la Grèce de la zone euro permettrait une dévaluation. Il me semble que cela augmente l’inflation. Est-ce envisageable dans un climat social déjà agité en Grèce ?

Jacques Sapir : Il est inévitable qu’une dévaluation de très grande ampleur, et celle-ci ne devrait pas être inférieure à 40 % pour la Grèce, entraîne par la suite une poussée d’inflation. De ce point de vue, c’est le taux de change réel, autrement dit le taux de change corrigé des taux d’inflation, qui doit nous servir d’indicateur. Mais en même temps, aujourd’hui, les tensions inflationnistes dans la zone euro sont relativement faibles.
Elles ne sont pas les mêmes entre pays, ce qui est d’ailleurs un problème, mais elles sont relativement faibles. Dès lors, l’inflation doit être acceptée comme un mal nécessaire pour qu’un pays puisse bénéficier des avantages de la dévaluation.

Le véritable problème n’est pas tant l’inflation que la spéculation possible sur les taux de change des différentes monnaies une fois que ces dernières auront été recréées. Mais il faut signaler ici qu’il y a une monnaie sur laquelle on ne parle pas de spéculation, et cette monnaie, c’est le yuan chinois. La raison en est simple : il y a des contrôles de capitaux extrêmement sévères qui encadrent le cours du yuan. Il faudrait donc que les pays européens acceptent de mettre en place, si possible de manière concertée, des systèmes de contrôle de capitaux permettant aux marchés des changes de fonctionner sans risques de spéculation. Les méthodes en sont connues, elles sont déjà appliquées hors d’Europe par un certain nombre de pays et, ce qui est assez extraordinaire, elles sont même recommandées par le Fonds monétaire international pour les pays émergents.

Le point de vue des spécialistes sur les contrôles des capitaux a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années, en particulier parce que l’on a vu, lors de la grande crise de 1997 à 1999, que ces contrôles étaient efficaces, en particulier dans le cas de la Malaisie, du Chili et de la Russie. Il reste aujourd’hui aux gouvernants européens à tirer tardivement les leçons de ces expériences et de se mettre d’accord pour des systèmes analogues en Europe ou, au pire, pour que de tels systèmes soient introduits individuellement dans un certain nombre de pays.

Ne trouvez-vous pas étonnant que la dette grecque et la sortie de l’euro ne soient pas au cœur du débat politique en France ?

Jacques Sapir : Oui, c’est effectivement assez surprenant, surtout quand on sait que ce débat a lieu aujourd’hui en Allemagne. Je pense que la classe politique française s’est enfermée dans un déni de réalité massif. Non seulement ce dernier l’empêche de comprendre la situation, mais il l’empêche aussi de préparer des solutions de rechange. Ce déni de réalité est en train de se fissurer, mais quand la crise de l’euro va éclater, ce qu’elle fera de manière inévitable d’ici quelques mois au plus, elle se doublera d’une crise politique majeure dans notre pays, car les électeurs et la population pourront à bon droit demander des comptes à nos gouvernants ainsi qu’à une partie de l’opposition, pour ne pas avoir su anticiper la situation. On sait que gouverner, c’est prévoir ; la classe politique française, en se refusant à prévoir l’hypothèse d’une crise de la zone euro, a ainsi perdu le droit de gouverner.

Le journalisme de révérence dans « Le Soir », et les dinosaures

(Première mise en ligne sur http://bxl.indymedia.org/articles/2184 )

Les dinosaures ont vécu cent cinquante millions d’années. Comment envisagez-vous une gouvernance économique de cent cinquante millions d’années?

 

Bonjour!

 

J’ai soigneusement étudié à l’époque, sur papier, la double page consacrée par Le Soir à la ratification du traité de Lisbonne. Elle était coordonnée par Maroun Labaki, alors envoyé dans la capitale portugaise au titre de, si je ne me trompe, rédacteur plus ou moins en chef plus ou moins adjoint.
C’était en tout point absolument creux et anecdotique, dans la veine « Le congrès s’amuse », mais sans le talent d’un film qui savait divertir et prendre des distances avec son sujet.

Le même signe aujourd’hui la mâle apostrophe ci-dessous [texte au bas de ce billet], tout empreinte des recommandations du gratin financier et eurocrate, et d’une morgue de donneur de leçon.
Où l’on voit que la presse peut être loin du « contrepouvoir » ou  du « quatrième pouvoir » que les optimistes  aimeraient qu’elle soit.

La démocratie représentative est une démocratie sévèrement limitée par le triomphe de l’oligarchie, c’est ce qu’affirme au moins un rédacteur en chef adjoint au monde, Hervé Kempf, du …Monde. (Voir son livre L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie)

Comme certains syndicalistes, Labaki ramène à lui la couverture labélisée des Indignés, alors que ceux-ci affirment avec force que les élus ne les représentent pas, que les syndicats ne les représentent pas.
Il recommande de « s’indigner » pour enfin « terminer le chantier de la gouvernance économique » Goldman Sachs-compatible…
Le propre de la récupération, et son impératif catégorique, c’est d’oser le plus grand contresens, et le plus vite!

Les chiffres et l’obsession économique sont en fait le vrai sujet de l’article.
Pour qui roule Maroun Labaki?

Eh bien… Le discours économique est la formulation de la nécessité telle qu’il est efficace aujourd’hui, pour  le maintien des privilèges, de la répandre dans l’opinion.

Si les gouvernants évoquaient jadis la religion ou la patrie, aujourd’hui la religion d’État s’exprime en jargon économique, lequel est une mise en abime d’une superposition de silences et de mystifications sémantiques. Ainsi, quand John Kenneth Galbraith*, qui a connu en tant qu’économiste tous les honneurs, rédige à plus de nonante ans son testament intellectuel, il le nomme Les Mensonges de l’économie. C’est,  pour 10 euros, une heure de vivifiante remise en place des fondamentaux du mensonge des haut-parleurs.

Ben oui… « l’économie n’est pas une activité née de la prégnance du règne des besoins et de la nécessité de la lutte pour la survie. Si c’était vrai, sa place serait décisive dans les sociétés primitives, et secondaire dans les sociétés matériellement développées. Or, c’est le contraire qui s’est produit » , ainsi que l’écrit Patrick Viveret dans Transversales en avril 2001.

Ce qui rend optimiste dans cette écœurante sujétion du prétendu « destin commun » aux « chiffres » (citations empruntées à l’avant-dernier paragraphe), c’est qu’avec des pilotes ou des cerveaux comme celui-là, l’Europe de la gouvernance économique sera, le jour venu, aussi aveugle à sa fin imminente que Louis XVI, écrivant dans son journal le 14 juillet 1789: « Aujourd’hui, rien » , que le communisme de Berlin-Est la veille de la chute du mur, que la Tunisie de Ben Ali le jour où un jeune marchand de quatre saisons s’est immolé par le feu…
À suivre!

…Les dinosaures ont vécu cent cinquante millions d’années. Comment envisagez-vous une croissance équilibrée de cent cinquante millions d’années?, raillait l’écrivain suisse Friedrich Dürrenmatt. « Croissance équilibrée » n’est bien sûr ici qu’un avatar transitoire, périssable, à remplacer par la sornette idéologique du moment.

Bonne lecture!

Guy

* J.K. Galbraith est aussi l’auteur d’un article indispensable, « L’art d’ignorer les pauvres ».

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(sur le site du journal Le Soir: ici)

Indignons-nous et débloquons l’Europe !
MAROUN LABAKI

samedi 18 juin 2011, 11:30

 Crise de l’euro, divisions sur le Printemps arabe, retour des contrôles à certaines frontières intérieures, montée de l’euroscepticisme : l’Europe fait grise mine ces derniers temps, alors que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, fin 2009, devait la rendre plus efficace et plus séduisante.

De toutes parts, des voix inquiètes s’élèvent. Mercredi dernier, Jan Tombinski, le représentant permanent de la Pologne auprès de l’UE, déclarait : « La crise des finances publiques a un impact sur tout, y compris sur la confiance entre les partenaires dans l’Union. » En tant qu’ambassadeur du pays appelé à assumer la prochaine présidence tournante, il s’exprimait lors d’un colloque organisé à Bruxelles par Notre Europe et quinze autres think tanks – qui prévenaient : « L’Europe en tant que telle subit des niveaux jamais égalés de division et de contrainte, qui amènent à s’interroger sur la détermination des Européens à rester unis. » Le lendemain, un de ces think tanks, le European Policy Centre, se montrait presque alarmiste : « L’UE paraît fragile et fatiguée, et certains dirigeants semblent ignorer que l’intégration peut encore échouer par manque de confiance et par négligence. »

 Voilà donc l’Europe au milieu du gué ! Et chacun, dans les capitales, de sortir son boulier compteur, comme si les effets de la construction européenne étaient tous quantifiables !

A ces états d’âme, une seule réponse s’impose : aller de l’avant, avec la certitude que le point de non-retour est depuis longtemps franchi.

 Il ne s’agit pas que de belles formules. Toute monnaie est accoudée à une politique économique. Sauf l’euro ! Depuis les débuts de la monnaie unique, les plus lucides répètent inlassablement qu’il convient de corriger cette lacune.

 Il a fallu la secousse de Lehman Brothers et toutes ses répliques pour qu’enfin le chantier de la gouvernance économique européenne soit réellement lancé. Indignons-nous et terminons-le !

 Bien sûr, comme pour le financement futur de l’Union, il est question de chiffres, mais davantage encore de politique, de dessein historique, de transferts de souveraineté, de confiance, de destin commun. Libre à ceux qui n’en veulent pas de faire demi-tour…

Les prix qui tuent, dans un monde assez grand pour les uns, trop petit pour les autres

Photo: Le Monde


L’actualité du Japon a quasiment chassé, de la une des médias, une question lybienne qui avait précédemment pris toute la place. Cette logique pyramidale, à l’oeuvre dans le traitement de l’information, n’est pas sans pousser nos consciences à une forme de monomanie.
Cependant, bien sûr, d’autres crises anciennes ou permanentes subsistent. Aucun tsunami ne les tempère, aucun silence n’allège leur charge parfois mortelle.

Voici que le site du journal Le Monde présente un « récit multimédia », intitulé « Le prix du riz : question de vie ou de mort. » Ce prix a doublé au Bangla-Desh en deux ans.

Rappelons ce que l’ancien commissaire de l’Onu pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, dont L’empire de la honte vient de paraître en édition de poche (6,50 euros), répète avec force dans ses livres, articles et conférences: « Dans les conditions actuelles, tout enfant mort de faim est assassiné. » Une affirmation qu’il démontre à satiété. Or un enfant de moins de dix ans meurt des suites de la faim toutes les 22 secondes sur cette planète.

Rappelons aussi que même la commission européenne a fini par reconnaître que la finance était responsable d’une part de la hausse mondiale des prix alimentaires, dans une proportion qui irait jusqu’à 75% selon certaines sources. « Le monde est assez grand pour répondre aux besoins de tous mais il sera toujours trop petit pour répondre à la cupidité de quelques-uns », disait Gandhi, aujourd’hui cité par l’économiste Jeffrey Sachs.

Si nous croisons les deux paragraphes qui précèdent, il est facile de comprendre qu’ « investir » – mot inexact, notre « épargne » – mot douteux, en banque, ou dans une société d’assurance, nous met dans un rapport de causalité immédiat avec des tragédies planétaires majeures.
Il est donc facile de savoir ce qu’il ne faut plus faire de son argent.
C’est « Une vérité qui dérange », sans doute, dont il me semble que chacun a l’intuition.

*

Revenons-en au récit du Monde qui suscite ces réflexions. Il reprend cinq courtes vidéos, d’à peu près une minute, dont voici quelques extraits:

« On n’a plus aucun rêve. On n’a pas le temps de rêver. On passe notre temps à travailler, pour manger. (…) On arrive encore à acheter des lentilles, pour accompagner le riz. »
Sahida, 25 ans, femme de ménage, 14 heures de travail par jour

« On achète même de la viande et des légumes, une ou deux fois par mois. Mais si les prix continuent d’augmenter, on ne mangera plus que du riz et des lentilles. »
Amila, 32 ans, couturière

« Maintenant, je travaille 12 heures par jour. Et même comme ça, nous ne mangeons plus à notre faim. »
Abdu, 29 ans, vélotaxi

« On ne mange plus qu’une fois par jour. Les mauvais jours, on ne prend aucun repas. »
Munni, 30 ans, mendiante

« Un ami a carrément arrêté l’université parce qu’il n’arrivait pas à se nourrir. Il était passé à un repas par jour. »
Mohammed, 23 ans, étudiant.

…Bonne fin de journée.