Bonjour!
Voici un excellent documentaire: Rojava, une utopie au cœur du chaos syrien, un film de Chris Den Hond et Mireille Court (45 minutes, juillet 2017.) De nombreuses personnes engagées dans le processus sont entendues dans ce reportage. On y perçoit la densité populaire du mouvement, et le pouvoir qu’a eu ce nouveau cours de faire émerger des personnalités improbables ailleurs.
Le reportage montre une critique en actes de l’État-nation. La preuve en est faite dans cette partie du monde: il n’y a pas d’État-nation sans discrimination des minorités. Plutôt que de multiplier les ectoplasmes législatifs pour tenter de corriger cette dérive quasi intrinsèque de la nation, pourquoi ne pas fonder l’État, dès le départ, sur la reconnaissance de la diversité des populations, particulièrement forte dans cette région du monde?
Le Rojava, ou « Fédération démocratique de la Syrie du Nord », souffre d’un large désintérêt des médias. Territoire à majorité kurde du nord de la Syrie, le Rojava gouverne sur trois cantons disjoints, dont celui de Kobané, deux millions de personnes, et intéresse potentiellement une population de quatre millions.
Nulle part au monde les femmes et les minorités n’ont de tels droit de participation aux affaires publiques. (Rappelons perfidement que la Belgique est un des deux pays, sur 47, épinglés par le Conseil de l’Europe pour n’avoir pas, après des décennies, transcrit en droit national un accord minimaliste sur les minorités. La raison en est un cadeau à la politique flamande des communes autour de Bruxelles.) Pour le dire brièvement, l’organisation politique au Rojava se déploie par conseils, à partir de la base. Nous sommes donc dans une forme de démocratie assez directe. (Rappelons-nous que notre version de la démocratie est plus qu’indirecte.) Dans chaque conseil, de rue, de quartier, de commune, il y a au minimum quarante pour-cent de femmes et quarante pour-cent d’hommes, et une co-direction est obligatoirement dévolue à chaque communauté recensée localement: kurde, syriaque (ou araméenne, du peuple auquel appartenait Jésus Christ), turkmène, circassienne (originaire du Caucase, où elle existe toujours et s’appelle tcherkesse), et arabe, pour les plus notoires. Car il y en a d’autres.
Chacun de ces conseils est doublé d’un conseil composé uniquement de femmes, qui a droit de veto sur ses décisions.
Les jeunes aussi disposent de cette possibilité.
Dans le reportage, je vous laisse découvrir cet homme donnant son avis sur le statut des femmes comme signe de progrès de la société: inhabituel autant qu’évident!
Mireille Court et Chris Den Hond publient aussi un livre collectif, La Commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation chez Critica (Bruxelles) / Syllepse (Paris).
Le fédéralisme démocratique du Rojava s’inspire du théoricien du municipalisme libertaire, l’Américain Murray Bookchin, que le dirigeant kurde Abdullah Öcalan a lu dans la prison turque où il est détenu depuis 1999. (Les services secrets américains et israéliens ont collaboré à l’opération qui a permis son arrestation.)
Les sources sont nombreuses sur Internet. Pour ceux qui le connaissent, David Graeber a visité le Rojava assez tôt. Le lien renvoie ici à un article de Janet Biehl et un entretien avec David Graeber au retour d’uns séjour de neuf jours dans le canton oriental du Rojava. Ces deux textes sont remarquables. David en particulier donne nombre d’aperçus intéressants sur les critiques ou méfiances que l’on peut entendre chez les activistes révolutionnaires ou anarchistes de tous pays, et casse la patte à plus d’un canard. C’est à lire!
Voici un autre exemple de politique inspirée par les mêmes principes, celui d’un camp de réfugiés kurdes en Irak, en-dehors donc du Rojava, qui rappelons-le appartient au territoire de l’actuelle Syrie: https://reporterre.net/REP-Le-camp-de-refugies-irakien-de-Maxmur-laboratoire-de-la-revolution-sociale
Il y a encore un autre article très intéressant sur le site de Daniel Schneidermann, arretsurimages.net, qui en a publié plusieurs sur le Rojava, en général réservé aux abonnés, mais dont la seule présentation est souvent déjà bien informative. L’article que j’épingle ici est en libre accès: https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/rojava-kurdistan-un-veritable-ovni-politique-dans-la-region. Il pourrait aussi bien s’intituler « …au monde » !