Littérature. Les bons auteurs, le premier choix, le deuxième choix…

À droite, Jeanette Winterson, d’après http://www.twoshortdays.com  –  À gauche, François Rabelais

Bonjour !

Mes courriers non sollicités se multiplient et celui-ci est un peu long, mais que voulez-vous.
Si vous le lisez jusqu’au bout, vous verrez et comprendrez que c’est ma peau.
Si non, euh… Ce n’est pas pour me vanter, mais je ne sais pas toujours ce que je dis. (Voir plus bas.)
Un de mes proches rétorque, à chaque fois que je mets mon coeur ou mes tripes dans la conversation: « Quand tu en auras fini avec tes platitudes… »
Il s’agit de cela, et du reste.


Quand un auteur me ravit, ma fonction critique est abolie, et c’est ça que j’aime. Philip Roth, La Tache. Ça prend parfois cinquante pages – c’est un maximum, La Fête au bouc, Mario Vargas Llosa, pour enclencher, mais quand ça enclenche, Laurent Gaudé, tous ses romans, quand ça déclenche, c’est définitif et ça roule comme l’océan jusqu’à la dernière page. Inapprochable Le silence de la mer de Vercors. Et
s’il y a de la métaphore, Henri Bauchau, Oedipe sur la route, elle s’impose comme des ronds dans l’eau, par associations d’idées, de sentiments, de souvenirs…, sans que j’agisse intentionnellement. L’amour au temps du choléra, Gabriel Garcia Marquez. C’est ça que j’appelle le premier choix: jamais je ne me dis que l’auteur(e) aurait pu formuler autrement, Gunther Grass, Mon siècle, ou s’y prendre autrement, Jørn Riel, La Vierge froide et autres racontars. Je me laisse emmener par le petit doigt où lui m’emmène. Lui ou elle est le chemin, moi je l’emprunte, pour aller, bien évidemment, je ne sais où, Une histoire d’amour, Régis Jauffret. Il y a des gens qui reconstruisent à ce point les histoires qu’ils lisent ou regardent au cinéma, qu’ils transforment tout navet en bon film : il n’empêche que le film est mauvais, eux ont fait le boulot, eux sont l’artiste – ils ont cessé d’être lecteur ou spectateur. S’il n’y a pas trente pages, L’homme qui plantait des arbres, Jean Giono, il y a intérêt à ce que ça déclenche vite, et heureusement, ça le fait, comme on dit aujourd’hui, dans le premier choix, dès la première ou deuxième page sans doute, en urgence quand c’est si court, L’homme assis dans le couloir, Marguerite Duras. Il y a plusieurs catégories, il y a plusieurs genres, bien sûr, dans le premier choix. Giono cohabite avec Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales, et Duras est une catégorie et un genre à elle toute seule. Le ravissement de Lol V. Stein.
L’homme qui était mort, David Herbert Lawrence. Michael K, sa vie, son temps, John Maxwell Coetzee. La Modification, Michel Butor – une des preuves de l’intelligence humaine. Alcofribas Nasier tout entier, pseudonyme et anagramme aujourd’hui abandonnés de François Rabelais.
Il y a par bonheur de nombreux livres et auteurs de premier choix.  AOC, Artiste ou Oeuvre de premier Choix.

Ceux que j’appelle les seconds couteaux sont estimables et parfois dotés de hautes qualités à un degré très élevé, Le dernier Crâne de Monsieur de Sade, Jacques Chessex, mais ils ne m’emportent pas, et donc c’est raté finalement. Non, c’est raté, point. Les Rendez-vous, Christian Oster. J’ai un goût de trop peu, j’ai perdu mon temps. Sa femme, Emmanuèle Bernheim. J’aurais préféré regarder mon plafond, ou le ciel, que lire un second choix. La salle de  bain, Philippe T oussaint. Si à la page cinquante d’un livre, ou plus loin, je me dis que l’auteur aurait pu, ou aurait dû, mettre un autre adjectif, supprimer une incidente, si l’estime ne cède pas la place à l’abandon, le livre est raté – s’agissant de ce que je cherche dans la littérature et de ce que la littérature cherche en moi. Mais il y a ce tropisme ou l’espoir, ou le respect ou l’enfance, il y a je ne sais quoi, ça me fait lire les livres en entier. J’arrête très rarement avant la fin.
Aussi suis-je d’accord avec la formulation de la mère de Jeanette Winterson, quoique dans un autre esprit, dans le very, very first vintage choice et meilleur titre des mille dernières années jusqu’à demain matin, Pourquoi être heureux quand on peut être normal? :
« Un livre c’est dangereux, car lorsque l’on sait qu’il est mauvais, il est trop tard » : on est déjà en train de le lire, et parfois fort avancé.

Mais il y a un troisième choix. Ceux dont on découvre très tôt qu’ils sont mauvais.
Peut-être que je les termine, ce n’est pas sûr, ou ça arrive, mais un jour ou l’autre je ne lis plus l’auteur. C’est le cas pour Amélie Nothomb, dont Frédéric Beigbeder assure charitablement, dans Premier bilan après l’apocalypse, que son seul livre réussi est le premier qu’elle a publié. Mon ami M. L., qui sera bientôt un auteur édité et reconnu, affirme qu’elle a le mérite de donner l’impression à ses lecteurs qu’ils lisent de la littérature. En tous les cas, je peux vous dire, pour l’avoir observé personnellement, qu’il y a dans la région du Sud-Luxembourg belge, où la famille d’Amélie exerce depuis la création du pays des talents héréditaires et successoraux en politique chrétienne et conservatrice, je peux vous dire que dans cette région les hypermarchés présentent aux caisses des piles métriques de ses livres, en tous formats et en toute saison. C’est un gisement, une veine, un filon ! Une mine, un trésor! Je lui reconnais certes un style dégraissé exemplaire, et les vingt premières lignes de Métaphysique des tubes sont pour moi un joyau de grande valeur. Malheureusement, à rebours de mes coups de coeur, après quinze pages cet opus redevient de l’Amélie Nothomb. Éric-Emmanuel Schmitt, chez le même éditeur – à l’exception d’Oscar et la dame rose.
C’est la catégorie dont je dis du mal comme un amant déçu, car je les ai aimés. J’étais jeune et pour un temps ils m’ont fait illusion.

Le quatrième choix et fond du panier, ce sont les livres qu’on sait mauvais sans les lire. Mais on se trompe parfois ! Je croyais Romain Gary aussi fatigant que Paul Morand, New York, vu que tous deux avaient en commun une carrière de diplomate – argument certes un peu court, « mais que savez-vous de la vanité des choses de la vie? » (Camilo José Cela, La Famille de Pascal Duarte, AOC). Donc je ne lisais pas Gary, tout en lui accordant qu’il avait su échapper à son piège personnel en signant Émile Ajar, dont je raffole sauf le premier, Gros-Câlin, pas encore vraiment Ajar selon mon test personnel de résonance neuronale. L’analogie avec Morand était fausse, et heureusement que mon fils ce héros m’a fait lire Chien blanc, qui est formidable.

Il y a d’autres catégories de livres. Ainsi, ceux qu’on cite sans les avoir lus.
J’ai cité Le Dictionnaire du diable d’Ambrose Bierce pendant vingt ans, et je continue, depuis qu’une de ses définitions s’est gravée dans ma mémoire à la lecture d’un article de Libération.
Oui.
Rendre service: poser les fondations d’une relation de dépendance.
Quand Librio a publié un petit dixième des entrées du livre final, qui a eu du vivant de l’auteur plusieurs éditions, je l’ai lu. Mais Rendre service n’y figure pas.
Un certain Pierre Bayard a signé Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, qui est paraît-il fort agréable et très fin, beaucoup plus sensé qu’on ne pourrait le croire à s’en tenir au titre. Il est juste que je vous en parle ici, sans en avoir jamais eu la moindre ligne sous les yeux.

Et les livres universellement reconnus comme des chefs-d’oeuvre, que l’on n’a pas lus, dont on connaît les mérites, que l’on a achetés ou reçus en cadeau et qui sont sur l’étagère, à deux mètres de l’endroit où je vous écris ?
J’ai tout Proust en un volume, ce qui n’est pas des plus maniables, mais pratique pour la valise du jour où je partirai pour deux mois à l’hôpital – ma santé jusqu’ici a dit non. J’ai acquis Finnegans Wake de Joyce, ce qui est une erreur car je sais que je ne le lirai jamais: j’y vois une folie nombriliste à laquelle je ne peux souscrire, et Ulysse du même m’attend, et qu’est-ce que j’attends? J’ai cité Ulysse dans la langue originale et dans mon français de tous les jours, incessamment pendant des années. À tout propos je disais « Yes! » , qui est le mythique dernier mot d’Ulysse – que Gallimard pour cette raison va paraît-il rebaptiser Ulyess.
En attendant, j’ai lu la passionnante biographie de Joyce par Richard Ellmann. De même j’ai, toujours en attendant – oui, j’ai lu le délicieux et britannique Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie, le livre parfait pour ceux qui n’osent pas lire Proust. J’attends pour ça une panne système qui m’isolera du monde comme la peste le fit des personnages du Décameron de Boccace, sans doute, mais oui, mais c’est bien sûr.

Et.
Le rouleau original, Sur la Route, Jack Kerouac. Roberto Bolaño, Les détectives sauvages. Juan Rulfo, Pedro Páramo, chaînon manquant mexicain entre la littérature du XIXème siècle et le réalisme magique sud-américain. Murakami, les deux, car il y a deux Murakami, Ryū qui aurait pu écrire Japanese Psycho, et Haruki à la gloire universelle, dont j’ai juste lu Kafka sur le rivage, à l’inoubliable « Ce n’est pas pour me vanter, mais je ne suis pas très malin. » Rien lu de Tolstoï. Rien d’Henri Michaux.

J’ai lu des Russes – Isaac Bebel, Mikhaïl Boulgakov, Anatoli Rybakov, Le quartier de l’Arbat,  qui fut le premier à faire de Staline un personnage de roman, et qui sur le mur face à sa table de travail avait mis une affichette avec ces mots: « Pour écrire, il faut écrire. » Anton Tchékhov, pour ses nouvelles, oh ciel, les nouvelles de Tchékhov.
Vladimir Maiakovsky, La Punaise. L’Idiot, Fédor Dostoïevsky.
Nicolas Gogol, Les âmes mortes, surpasse un traité de science politique sur le communisme soviétique. Il y a trop de Russes pour les citer ici. C’est moi qui souligne, Nina Berberova.
Il y a les Japonais, dont j’oublie les noms. Inoué. Les Japonaises. Chiyo Uno, Confession amoureuse.
…Nous pouvons donc ouvrir des catégories d’écrivain par nationalités.
Ainsi les Américains (des États-Unis): faire différents métiers pendant les années de jeunesse, au moins barman, chauffeur de taxi et journaliste d’une feuille locale, aussi hobo, vagabond, éventuellement se droguer un peu, ou beaucoup, puis devenir écrivain. Sauf Paul Auster qui écrit aux heures de bureau.

Yes.
Il y a les livres qu’on possède, matériellement.
Un exemplaire est à la maison, nous l’avons acheté, volé, reçu, trouvé. Ou sauvé de la voirie à la fin des puces, comme Mémoires d’un Européen de Stefan Zweig ou Max Havelaar d’Eduard Douwes Dekker, dit Multatuli, le roman hollandais qui manque à l’histoire belge.
Il y a les livres qu’on ne possède pas, quoiqu’on les ait lus.
C’est le cas d’au moins la moitié des miens, et je n’en ai aucun regret. Une fois de plus mon intuition se conforte dans la lecture d’un bon auteur. « Le nomadisme répond à un rapport que la possession ne satisfait pas » , Maurice Blanchot. Eh oui.  Dire que nomade est le slogan en novlangue communicante – ça rime avec urticante -, des machines perpétuellement et profitablement connectées.

Putain!
Je commençais à vivre à mon compte, dans la douleur et dans ma famille catholique coincée et courageuse, j’avais seize ans, à peine dix-sept, et je découvrais qu’un prix Nobel de littérature nommé André Gide avait écrit dans ma langue « Familles, je vous hais » . J’ai su que je n’étais pas seul, j’ai su qu’un avenir était permis.
La route serait longue, car pour moi aussi la première phrase de Paul Nizan, Aden-Arabie, « J’avais vingt ans et je ne permettrai à personne de dire que c’est le plus bel âge de la vie » sera vraie à jamais et c’était trois lentes années plus tard.
Je volais les livres que mon père avait achetés au marché noir dans l’Allemagne détruite d’après guerre, je volais leur suc et leur musique, leurs carcasses ne quittant les coffres au grenier que pour un court moment. Lui ne les lirait jamais. Il y avait des gens qui s’appelaient Sartre, Les Chemins de la liberté, Casanova, Mémoires, Brantôme, Les Vies des dames galantes, Gide déjà cité, tout Rabelais, tous à l’ « index » de la religion catholique romaine et de son pape infaillible, interdits de lecture sous peine de damnation éternelle. Puis Pascal, Corneille, Racine, Flaubert, Balzac, Maupassant, Daudet, Mérimée, je ne lisais pas Bernanos, il y avait du monde.

Les écrivains m’ont sauvé la vie, comme le rock a sauvé celle de Wim Wenders.
La vie est un roman.
Je suis un personnage.

Bon. Je devrais me relire, mais on sonne à la porte. C’est peut-être vous.

À tout de suite !

Guy

4 réflexions au sujet de « Littérature. Les bons auteurs, le premier choix, le deuxième choix… »

  • 17 juin 2013 à 21h16
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    Au cas où l’article de Wim Wenders, « Le rock’n’roll m’a-t-il sauvé la vie ? », paru en français dans Le Monde, disparaîtrait d’Internet (où il est peu visible), j’en donne ici une copie:

    ———————————–

    POINT DE VUE

    Le rock’n’roll m’a-t-il sauvé la vie ?, par Wim Wenders

    LE MONDE | 17.04.04
     
    De façon tout à fait hypothétique, j’ai essayé d’imaginer ce qu’aurait été ma vie si je n’avais jamais entendu un seul « beat » de blues ou de rock’n’roll. Que serait-il advenu de moi ?
     
    De toute façon, j’exerce un grand nombre de métiers. En tant que réalisateur de films, on est psychiatre, organisateur, comptable, avocat, agent de voyages, promoteur, architecte, coordinateur musical, manipulateur, photographe, conteur, représentant de commerce, auteur, négrier, et quelques autres petites choses qui pourraient ne sembler ni séduisantes ni créatrices. Honnêtement, pour moi, le mystère reste entier quand je vois que cela finit par devenir un métier.
     
    Mais, derrière, il y a deux véritables « vocations »: je ressens profondément que je suis à la fois un voyageur et un rêveur. Les deux choses sont inséparables. Les films sont toujours des voyages, intérieurs et extérieurs. Mais on ne commence pas un voyage vers un endroit quelconque sans l’avoir d’abord rêvé. Et vice versa, sans voyage on est à court de rêves, ou l’on s’accroche toujours au même rêve.
     
    Cependant, ces deux principales activités ont une source commune, d’où elles tirent en permanence inspiration et énergie. C’est la musique. Sans musique, je ne serais pas devenu voyageur ni rêveur, encore moins réalisateur de films.
     
    Sans Chuck Berry, Gene Vincent, Elvis Presley, The Everly Brothers ou Eddie Cochran, je n’aurais jamais connu cet extraordinaire désir de grandir, d’être assez âgé pour alimenter moi-même le juke-box.
     
    Sans ces premiers rock’n’rollers, je n’aurais pas passé ma jeunesse chez le marchand de glaces ou à la fête foraine, et je n’aurais pas écouté Radio Luxembourg à longueur de nuits, sur un transistor minable caché sous mon oreiller. Le rock’n’roll m’a permis de survivre à l’âge douloureux de la puberté. Il a donné un point central à mes désirs sans but.
     
    Sans le Golden Gate Quartet et, tout de suite après, sans John Lee Hooker, je n’aurais connu ni l’aspect spirituel ni l’aspect profane du blues. Et sans Skip James, Blind Willie Johnson, Son House et Mississippi Fred McDowell, pour ne citer que quelques artistes du blues que j’admirais, un aspect très important et très différent de l’Amérique m’aurait échappé, peut-être pas aussi glorieux, mais assurément plus vrai que tous les autres messages que j’ai reçus de la Terre promise quand je suis devenu adulte. « La vie est dure ici et, où qu’on aille, la vie est plus dure qu’elle ne l’a jamais été. Et les gens traînent de porte à porte sans trouver le paradis, peu m’importe où ils vont… »
     
    Sans les Kinks, les Troggs, les Pretty Things, les Stones, les Beatles, Van Morrison et, plus que n’importe qui d’autre, sans Bob Dylan, je n’aurais jamais osé abandonner mes études de médecine, de philosophie et d’histoire de l’art pour construire mon avenir sur un territoire aussi vague que « ma créativité ». Leur musique était contagieuse. Mais pas au sens : « Eh, je peux en faire autant ! », mais plutôt : « Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais. »
     
    Sans Jacques Brel, Françoise Hardy, Serge Gainsbourg et Jacques Dutronc, je n’aurais jamais éprouvé le désir de parler français et d’aller à Paris. (À l’origine, pour devenir peintre, mais la Cinémathèque a réduit ce projet en miettes et m’a rempli les yeux et le cerveau du désir de faire des films.)
     
    Sans John Mayall et ses Bluesbreakers, je n’aurais jamais connu celui qui reste mon chanteur préféré, J. B. Lenoir. « Une voiture a tué un ami à Chicago, à des milliers de kilomètres d’ici. Quand j’ai lu la nouvelle, la nuit est tombée avant l’heure. J. B. Lenoir est mort, et cela m’a fait l’effet d’un coup de massue… »
     
    Sans le rock’n’roll en général, mais en particulier sans le groupe allemand pré-punk Ton Steine Scherben, leur merveilleux chanteur Rio Reiser et l’album Macht kaput was euch kapput macht (« Tu dois détruire ce qui te détruit ! »), je n’aurais peut-être pas pris cette décision capitale de ne pas appartenir au système qui détruisait. En Mai 68, j’ai fini en prison, mais avec le recul je pense que c’est là qu’il fallait être.
     
    Mon premier film important était intitulé Un été dans la ville. Ce titre était repris des Lovin’ Spoonfull. Nous avons tout tourné en hiver, mais ça n’avait pas d’importance. J’ai dédié ce film aux Kinks. On y voyait leur merveilleuse chanson Days filmée sur un écran de télé. Vingt ans plus tard, Elvis Costello l’a reprise pour Until the End of the World (Jusqu’à la fin du monde). « Merci pour ces jours, ces jours sans fin, ces jours sacrés que tu m’as donnés… »
     
    Sans les Beach Boys, les Byrds, Harvey Mandel ou Jefferson Airplane, la Côte ouest des Etats-Unis ne me serait jamais apparue comme le paradis. (Et je n’y aurais pas vécu pendant de nombreuses années.)
     
    Sans la guitare bottleneck de Ry Cooder, mon voyage dans l’Ouest américain serait resté sans fondations et Paris n’aurait pas trouvé une telle unité symbiotique avec le Texas.
     
    Sans Creedence Clearwater Revival, certains moments de dépression auraient duré beaucoup plus longtemps. (Cela vaut pour le rock’n’roll en général, bien sûr, mais en particulier pour CCR !)
     
    Au milieu des années 1980, grâce à Crime and the City Solution de Nick Cave and the Bad Seeds, j’ai considéré Berlin comme le centre du monde. La musique de ces Australiens, échouée sous le ciel de ma ville coupée en deux, définissait cette époque beaucoup mieux que n’importe quoi.
     
    Si Bob Dylan, Van Morrison, Johnny Cash ou Bono n’avaient pas affirmé ce qu’ils croyaient de façon aussi ouverte et sans concession, cela m’aurait été beaucoup plus difficile de le faire. Mais ils ont été de grands exemples.
     
    Sans Lou Reed et The Velvet Underground, New York ne me serait jamais apparue comme la ville définitive, la ville en soi. (« Le rock’n’roll m’a sauvé la vie » est une citation d’une chanson de Lou.)
     
    Sans les chansons de Bob Dylan, je n’aurais jamais trouvé le courage (ou mieux l' »hubris« ) de vouloir faire des films. « Alors tu devrais te mettre à nager, sinon tu vas couler comme une pierre, for The Times They Are A-Changin’. »
     
    Sans Roy Orbison (les mots me manquent pour dire cette perte)… Sans Gene Clark ! Sans Van Morrison ! Et par-dessus tout : sans Bono !
     
    Bref, sans rock’n’roll, pas de rêves. Sans rêves, pas de courage. Sans courage, pas d’actes.
     

    Wim Wenders est réalisateur, acteur, producteur, scénariste. Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau. ©Wim Wenders/La Repubblica

    • ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.04.04

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  • 4 décembre 2012 à 16h31
    Permalink

    Belle grande excursion où tu nous emmènes, Guy. A noter quand même, à peu près la moitié des titres que tu cites, tu les lis, je suppose, grâce à un traducteur.

    Répondre
    • 5 décembre 2012 à 0h29
      Permalink

      Tout à fait, Christine, et heureusement! Le monde serait triste et petit sans les traducteurs !

      Répondre

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