GR – 5 ! Juncker, Sakellaridis, Stiglitz, Krugman

A protester holds a sign reading "No" in Greek and French during a rally in support of Greece in Paris on June 28, 2015. Greece weighed drastic banking restrictions to stave off a financial collapse as anxious Greeks emptied cash machines amid fears that banks will be closed this week. AFP PHOTO / LOIC VENANCE
Paris, 28 juin 2015. AFP PHOTO / LOIC VENANCE

Bonjour!

Nous sommes dans une semaine grecque, à n’en pas douter, et un moment historique.

1. Juncker

Le Nouvel Obs écrit que Jean-Claude Juncker « peine à masquer sa désillusion » .
C’est bizarre, moi je suppose de la comédie.
Que notre commissaire en chef marque le coup, c’est sûr, et qu’il « peine à masquer », d’accord, mais il veut masquer quoi?
J’entends du paternalisme.
Des notions de morale sont énoncées.
Le grand mot d’Angela Merkel est brandi, le « travail ». (Ailleurs dans de nombreuses interviews, il parle de « jeu », comme Donald Tusk et d’autres.) « Ayant beaucoup travaillé », Juncker dit se sentir « trahi ».
Il le dit.

Il énonçait il y a quelques semaines qu’ « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Il l’a dit. Et ça n’est pas près de quitter sa biographie. Une des phrases qui précédaient cet aveu historique, c’était: « Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. »

Ici, en son for intérieur, il fait de son mieux pour « communiquer » un texte soigneusement revu par ses assistants aux dents longues et aux lourds diplômes.
Mais là n’est pas le problème.
Le problème, c’est que ce type est au service de l’Allemagne de Merkel et des banques de partout, et que comme premier ministre il a organisé une évasion fiscale au détriment des pays voisins, au profit de son grand-duché natal et des multinationales impériales. Les gouvernants des pays spoliés, dont le mien, ne lui en veulent pas, et laissent courir.
Je n’appellerais pas ça une union européenne.
Lui, et eux, si.

En foi de quoi, et de bien d’autres choses passées, je ne crois pas à sa désillusion, et je m’interroge sur la valeur journalistique du Nouvel Obs. (C’est une façon de parler, car il y a longtemps que je ne tiens pas le Nouvel Obs pour un bon journal.)

Jean-Claude Juncker peine à masquer sa désillusion face à l’ampleur de la crise grecque. Le président de la Commission européenne se dit « affligé » et « trahi » par l’échec des négociations entre la Grèce et ses créanciers.
« Je suis profondément affligé par le spectacle qu’a donné l’Europe samedi dernier […] Après tous les efforts que j’ai déployés je me sens trahi car mes efforts ont été insuffisamment pris en compte », déclare Jean-Claude Juncker devant la presse.
Avant de s’en prendre directement aux autorités grecques :
« Jouer une démocratie contre 18 n’est pas une attitude qui convient à la Grèce », poursuit-il. « En Europe aucune démocratie ne vaut plus qu’une autre et dans la zone euro il y a 19 démocraties, non une contre 18 et non 18 contre une », insiste-t-il.

( http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/4465-grece-claude-juncker-afflige-trahi-echec-negociations.html )

Avons-nous bien compris? Une démocratie ne peut pas respecter sa population et s’opposer à dix-huit autres, mais ces dernières peuvent le faire, c’est à dire leurs gouvernants, et en particulier en-dehors de toute consultation électorale. Le mot de démocratie est ici très flou et à géométrie plus que variable. Pour être exact, il est manipulé.

Voici les derniers mots de Juncker dans cette déclaration, au sortir des réunions de l’annonce du référendum grec: « Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort. »
Ça veut dire quoi? … « Vous allez mourir, et ce sera de votre faute« ?

Ah, j’oubliais! Le commissaire en chef n’hésite pas à appeler les Grecs à voter « oui ». Angela Merkel, qui s’était invitée dans la campagne précédente en faveur de Samaras, cette fois ne fait, pour le moment, aucune recommandation.

2. Réponse grecque, par Gabriel Sakellaridis

Gabriel Sakellaridis, porte-parole du gouvernement grec, a répondu laconiquement:

« La preuve nécessaire de bonne foi et de crédibilité dans une négociation est la sincérité. »

*

Et maintenant, Mesdames et Messieurs, voici, en direct de New York, le duo des Nobel en économie Stiglitz et Krugman s’exprimant sur le sujet.

(Petit rappel: leur  prix n’est pas décerné par la fondation Nobel, mais par la banque nationale suédoise. Le titre exact est « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. » )

3. Joseph Stiglitz

« L’attaque de l’Europe contre la démocratie grecque »

(…)
En fait, les dirigeants européens commencent enfin à révéler la vraie nature du conflit au sujet de la dette, et la réponse n’est pas agréable: il est question du pouvoir et de la démocratie beaucoup plus que de l’argent et de l’économie. (…)
En janvier, les citoyens grecs ont voté pour un gouvernement s’engageant à mettre fin à l’austérité. (…)
Ce souci de légitimité populaire est incompatible avec la politique de la zone euro, qui n’a jamais été un projet très démocratique. (…)
Le modèle économique sous-jacent à la zone euro a été fondé sur des relations de pouvoir qui désavantageaient les travailleurs.
Et, bien sûr, ce que nous voyons maintenant, 16 ans après que la zone euro ait institutionnalisé ce rapport de force, est l’antithèse de la démocratie: beaucoup de dirigeants européens veulent voir la fin du gouvernement de gauche du premier ministre Alexis Tsipras. (…)

Il est difficile de conseiller aux Grecs comment voter le 5 juillet. Aucune de ces solutions – l’approbation ou le rejet du mandat de la troïka – ne sera facile, et les deux portent des risques énormes. Un vote « oui » signifierait la dépression presque sans fin. (…)

En revanche, un vote « non » ouvrirait la possibilité à la Grèce, avec sa forte tradition démocratique [personne n’est parfait, hein, Joseph], de reprendre en main son destin. Les Grecs auraient la possibilité de se façonner un avenir qui, quoique peut-être pas aussi prospère que la situation passée, sera néanmoins beaucoup plus prometteur que l’actuelle situation de torture inadmissible.

Moi, je sais comment je voterais.

Le texte complet est sur Project Syndicate, en anglais pour le moment, et en français et autres langues vraisemblablement dans quelques jours.

« Aux créanciers européens: Abandonnez l’austérité ou affrontez une faillite globale »
Dans le Time de ce dimanche, Stiglitz s’adresse aux créanciers européens, c’est à dire le FMI, et les Etats et la BCE qui ont repris l’essentiel des positions privées. Il parle de leur responsabilité criminelle.

Les créanciers devraient admettre que les politiques qu’ils ont mises en avant au cours des cinq dernières années sont imparfaites. Ce qu’ils ont demandé a causé une dépression profonde aux effets durables, et je ne pense pas qu’en aucune façon l’Europe et l’Allemagne aient ici les mains propres. Mon point de vue est qu’ils doivent reconnaître leur complicité et dire: « Bon, le passé est le passé. Nous avons fait des erreurs. Comment faisons-nous à partir d’aujourd’hui? »

La solution la plus raisonnable est une annulation de la dette de la Grèce, ou au moins un accord qui ne nécessitera pas de paiements pour les dix ou quinze prochaines années. Durant ce temps, la Grèce devrait se voir accorder une aide supplémentaire pour relancer son économie et retrouver la croissance. Mais la première étape serait pour la troïka de faire un aveu douloureux quoique évident: « L’austérité n’a pas fonctionné« .

4. Paul Krugman

Paul Krugman, lui, met clairement en point de mire, d’abord la victoire du « non », et ensuite, la sortie de l’euro. Il commence sa chronique du New York Times (dans quelques jours en français sur le site de la Rtbf) par, oui, cette évidence:

Il est évident depuis un certain temps que la création de l’euro était une terrible erreur. L’Europe n’a jamais eu les conditions préalables à une monnaie unique pouvant réussir surtout, le genre d’union fiscale et bancaire qui, par exemple, assure que quand une bulle immobilière en Floride éclate, Washington protège automatiquement les personnes âgées contre toute atteinte à leurs soins médicaux ou à leurs dépôts en banque.

Et il le termine comme suit:

[Les électeurs grecs] « ne devraient pas [dire « oui » au référendum], pour trois raisons. Tout d’abord, nous savons maintenant que l’austérité toujours plus sévère est une impasse: après cinq années, la Grèce est dans un état pire que jamais.

Deuxièmement, une grand part, et peut-être la plus grande part, du chaos à redouter du Grexit s’est déjà produit. Avec les banques fermées et le contrôle des capitaux, il n’y a plus beaucoup de dégâts à faire.

Enfin, l’adhésion à l’ultimatum de la troïka représenterait l’abandon définitif de toute prétention à l’indépendance grecque. Ne donnez pas crédit aux affirmations selon lesquelles les officiels de la troïka sont juste des technocrates expliquant aux Grecs ignorants ce qui doit être fait. Ces technocrates supposés sont en fait des fantaisistes qui ont ignoré tout ce que nous savons sur la macroéconomie, et ont eu tort à chaque étape du chemin. Il ne s’agit pas d’analyse, il s’agit de pouvoir – le pouvoir des créanciers de dévaster l’économie grecque, qui persiste tant que sortir de l’euro est considéré comme impensable.

Donc, il est temps de mettre un terme à cet impensable. Sinon la Grèce fera face à l’austérité sans fin, et à une dépression sans l’ombre d’une fin.


Fin du message.

*

Bien à vous tous, la semaine va être haute en couleurs, et les coups fourrés ne vont pas manquer !

Guy

PS: le Prix de la banque de Suède en science économique Jean Tirole n’a rien à dire. Si d’aventure il s’exprimait, ce ne sera pas la peine de l’écouter, nous pourrons zapper sans rien manquer.

Une réflexion au sujet de « GR – 5 ! Juncker, Sakellaridis, Stiglitz, Krugman »

  • 30 juin 2015 à 14h16
    Permalink

    Merci pour toutes ces importantes infos.
    Ne croyez vous qu’il faudrait devenir un peu sérieux et s’atteler à résoudre les vrais problèmes comme le suggère Jean Marc Jancovici dans http://www.manicore.com/documentation/articles/echos_oct2014_europe_finie.html?
    Comment peut-on un instant espérer payer les dettes avec une perte de 7% d’approvisionnement énergétique? Tant qu’on ne répond pas à cette question, on nage en plein délire et toute discussion est inutile et temps perdu.
    Il faut un défaut généralisé en Europe, la question est de savoir ce qu’on y met après et cela se prépare, alors discutons de cela sans a priori.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.