Lettre ouverte au ministre des finances

SPF Finances photo news PANAMA
D’après © photo news

Cher concitoyen, ministre des finances,

C’est sans surprise que j’ai pris connaissance de l’affaire dite Panama Papers, scandale fiscal provisoirement le plus grave jamais vu dans notre courte histoire.

Si moi je sais,  depuis des années, l’ampleur de ces escroqueries de super-riches jamais satisfaits, je ne doute pas que vous la connaissiez également, cette démesure, et depuis tout aussi longtemps. Sans quoi, ce serait moi qui devrais être ministre, ce qu’à dieu ne plaise. Et vous, vous seriez un simple citoyen vivant de l’exercice d’une profession ordinaire et honnête! Cela n’aurait rien d’un drame, mais sans doute serait trop vous demander. Car vous avez la passion de vous occuper des affaires des autres: celles de vos amis, et celles des ennemis que désignent vos  amis.

Voici donc que la massivité des révélations vous contraint d’au moins faire semblant de construire une réponse à la hauteur de l’événement.

Hélas, une déformation solidement ancrée vous incline à chasser les pauvres et à vous préoccuper de les régenter et de les punir. Comme c’est étrange! Ainsi va votre monde, qui n’est pas le mien. Cela aussi, je le sais depuis longtemps, et malgré mon cerveau en excellent état de marche, je n’arrive pas à humainement le comprendre. Il paraît que c’est le cœur qui s’y oppose.

Continuez donc, concitoyen ministre, à vous acharner dans l’erreur dont on dit que persévérer est diabolique. Vous n’en avez rien à faire des fautes logiques et conceptuelles, car votre raison ne connaît pas la raison, votre raison (d’être) est de défendre les privilèges et d’y aspirer. Des universitaires mercenaires, en nombre aussi élevé qu’est aveugle leur compétence, sont avec vous. Ils prétendent prouver, ou font comme s’ils prouvaient, que l’austérité imposée aux pauvres sauvera le genre humain.

Avec mes amis chaque jour plus nombreux, je considère qu’il faut :

1.
Traquer sans concession les profiteurs panamariolesques et ceux de tous les autres paradis fiscaux. L’inspection spéciale des impôts (ISI) doit avoir pour priorité l’épluchage des comptes des 200, 300, 400 plus grosses fortunes du pays, et ainsi de suite jusqu’à épuiser la liste des fraudes dans l’ordre décroissant de nuisance.
N’est-ce pas évident ? On nettoie un escalier en commençant par le haut. Et si vous êtes prêt à supprimer la totalité du revenu d’un allocataire du CPAS qui serait dans l’erreur ou l’abus, vous devez être prêt aussi à supprimer la totalité du revenu des riches fraudeurs fiscaux, qu’ils le soient par erreur, héritage ou ambition.
Dans ce cadre, un cadastre des fortunes, et la publicité des déclarations fiscales, seraient utiles à l’efficacité de votre administration. Mais vous savez ça.

2.
Équilibrer le budget en vous attaquant à la grande fraude et à l’évasion fiscale, et non en effectuant des coupes dans la sécurité sociale, les services publics ou les CPAS.
Engagez donc quelques calculateurs indépendants, ils vous montreront la supériorité, déjà bien documentée, de cette approche. Ce sera vite calculé, et ça ne coûtera pas cher à l’État, qui en principe est autant à moi qu’à vous.

3.
Exiger le remboursement des 942 millions d’euros de cadeaux fiscaux aux multinationales, création belgo-belge répondant au doux nom d’
Excess Profit Rulings, épinglée par l’union européenne. C’est presque un détail dans le barnum ambiant.

4.
Faire de la justice fiscale le fondement de la politique des finances, sur le plan législatif autant que sur le plan répressif. Supprimer les « transactions pénales » accordées aux acteurs économiquement puissants.

5.
Enfin, consacrer votre communication à l’éducation de l’électeur à ces sains principes.

Cependant ces tâches, intellectuellement tellement simples et démocratiquement si évidentes, vous sont odieuses moralement et contraires à votre ADN politique et affinitaire.
Les gens avec qui vous dînez et prenez un verre ne veulent pas de ça. Vous non plus.
Si vous vous souciiez d’efficacité dans la justice fiscale, on ne voit pas pourquoi vous devriez attendre un scandale de plus pour vous y mettre.

Nous savons que seules les réactions de l’opinion et les rapports de force auront raison de votre entêtement.
Aussi vous prions-nous de croire, cher concitoyen ministre des finances, en notre aimable férocité à l’encontre des riches tricheurs et profiteurs dont vous êtes, jusqu’à preuve du contraire, le zélé serviteur, comme l’ont été avant vous tous les ministres des finances de ce royaume à prétention démocratique.

Désolé, très cher. (Très cher payé.)
Nous n’avons aucune illusion.
Nous savons que vous renverser avec l’eau du bain est la seule option.
Aussi, croyez bien que nous nous y emploierons.

Cordialement,

 

Guy Leboutte

11 réflexions au sujet de « Lettre ouverte au ministre des finances »

  • 11 avril 2016 à 20h52
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    Il serait intéressant de te documenter « de l’intérieur » sur la persévérance et le talent avec lesquels un certain Didier, alors « concitoyen-ministre » des Finances (avec une majuscule), a méthodiquement détricoté, désarmé et démotivé les services chargés des « grandes fortunes », dont l’ISI mais aussi d’autres moins connus. Mais il a aussi construit, innové, renforcé: les EPR et autres « intérêts notionnels » notamment.
    Mais soyons justes: il n’est pas le seul, ni en Belgique ni dans le monde « civilisé »…

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  • 9 avril 2016 à 17h43
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    Merci Guy pour ton article.

    C’est sain de démocratie et, malheureusement, cinglant de vérité. J’approuve entièrement. Entre quelques bombes ceintures et éclats de kalachnikov qui font sur Paris et Bruxelles de 200 morts à 500 blessés sur quelques mois et, sous un autre sillage, ces détournements invisibles, bon ton, bien montés et circuités qui absorbent et confisquent aux États, à leurs citoyens les moyens du développement et de la vie, des centaines, voir des milliers (et) de millions de devises, quels sont les plus grands crimes.

    Ce sont, il est vrai, ces quelques dizaines de milliards d’euros belges par an (tout de même) évaporés au travers des paradis fiscaux qui permettraient de renforcer l’État belge au lieu de le piller et de le vulnérabiliser, d’élargir les corps de police dont nous avons actuellement bien besoin, de donner davantage de devises, de moyens et de possibilités d’actions à tous nos services publics. Cet argent, ces moyens, cette justice fiscale et sociale, nous en avons trop besoin que pour ne pas nous rallier ensemble et comme tu le dis, crier notre indignation et notre colère. Montrer notre férocité face aux tricheurs et aux voleurs.

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  • 9 avril 2016 à 16h15
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    Bonjour Guy,

    Ce sont toujours de très beaux billets que vous nous donnez à lire.
    Dans ce monde d’inqualité criante, c’est souverain.

    Pas plus de huit jours ne s’étaient écoulés depuis les attentats qu’ils étaient de nouveau dans « leurs comptes ».
    En plein Panama Papers, les voilà qui annoncent des xèmes coupes pour toujours les mêmes; nous.

    Ils sont moches, ils sont sordides, rajoutez ce que vous voudrez même si c’est grossier, je plussoierai.

    Merci.

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  • 9 avril 2016 à 11h05
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    Est il vraiment nécessaire d ajouter quoi que ce soit?

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    • 25 avril 2016 à 18h10
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      Tout est bien dit pour décrire cette réalité hallucinante

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  • 8 avril 2016 à 16h06
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    Muy claro para decirle al Ministro pero como ellos viven en otro mundo con una línea imaginaria para nosotros pero excelente para ellos que pueden decir: no pasa nada, no es nada. Ellos son esencialmente corruptos de toda corrupción.
    También la justicia que es para los pobres, ( « los desclasados » en español) y las corporaciones que están por sobre los gobiernos.

    Traduction par CB: Voilà qui est dit clairement au ministre, mais comme ils vivent dans un autre monde, sur une ligne imaginaire pour nous, mais réelle pour eux, ils croient pouvoir dire: rien ne se passe, il n’y a rien. Ils sont essentiellement corrompus, de toute corruption.
    Ainsi la justice qui est pour les pauvres ( « les déclassés » en espagnol ), tandis que les compagnies sont au-dessus des lois.

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  • 7 avril 2016 à 8h04
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    Des propositions à porter et à répandre place de la République à Paris, la nuit et debout!

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