L’équipe de Blast-info.fr, ce nouveau média fondé par Denis Robert, compte décidément de remarquables jeunes journalistes femmes ! Avec Pamela Moritz qui a su séduire un ami intello et prince du scepticisme à la première écoute, avec l’incroyable Salomé Saqué, avec ici Soumaya Benaissa qui reçoit et fait parler l’écrivain François Bégaudeau.
« Le réel est du côté de la gauche » , 57 minutes.
Ce romancier, essayiste, réalisateur, comédien, … est du genre rigoureux.
Il dit beaucoup de choses, et certaines que je pense depuis longtemps.
Par exemple, que l’école n’est pas en crise, car elle remplit très bien sa fonction, affinée d’ajustements en ajustements, et qui est d’entretenir la division sociale et de pré-formater la jeunesse pour l’âge adulte dans la société telle qu’elle est. Mes trente ans d’enseignement me l’ont illustré sans appel.
Que la rationalité est essentielle, et même vitale, mais qu’elle est loin d’être tout, aussi bien dans l’humanité que donc dans la politique : il y a en effet ce vaste archipel que par tradition para-freudienne j’appelle pulsions, et que lui comme d’autres (Lordon, …) appelle affects. Il ajoute une sévère critique au moralisme devenu traditionnel à gauche, affirmant que ce ne devrait pas être son rôle, et que ce n’est pas son histoire.
Du côté de ce que je me formule clairement depuis moins longtemps, que le système électoral est en soi anti-politique, mis en place « par des conservateurs et pour la conservation » . Il est plutôt percutant. Je rappelle ici l’analyse de Tocqueville par Barbara Stiegler, déjà citée dans Condroz belge, qu’elle a résumée en deux minutes face à Thinkerview : le système représentatif vise à mettre à l’écart le « peuple souverain », cet « enfant de la rue ».
Bégaudeau renverse les idées reçues sur l’individualisme. La bourgeoisie n’aime pas l’individualité, elle place tous ses efforts à uniformiser les masses, au travail, dans leurs consommations, dans les idées fausses qu’elle leur propose à foison – et elle y réussit. La bourgeoisie est une grande productrice de mots et d’idées à l’usage des autres, les classes modestes, alors qu’elle ne connaît au vrai que ses intérêts.
L’art « crée des proximités inattendues » . Bégaudeau reconnaît qu’il y a en littérature des génies quoique salauds (Céline…). Il rompt une lance en faveur de Châteaubriand, « qui était un réactionnaire, et qui aujourd’hui serait peut-être d’extrême-droite, je pense » , et qui à l’entendre vaut le temps d’être lu. Ou en faveur de Faulkner et Bernanos, ce dernier qui a su intéresser nombre de lecteurs de gauche. Bégaudeau pense qu’à côté des choses consternantes qu’il a pu énoncer, Bernanos est au fond un anarchiste « de tempérament » .
…À écouter !
Je l’ai fait en cuisinant, et le moment fut parfait.
PS :
Et les journalistes masculins de Blast ?
Ils ne manquent pas non plus, et de talent.
Denis Robert, fondateur du site, qui n’est plus à présenter ici.
David Dufresne, journaliste et auteur, qui força les médias mainstream à reconnaître les violences policières à partir des débuts du mouvement des gilets jaunes, avec sa série « Allô, place Beauvau? C’est pour un signalement. » La place Beauvau à Paris est le lieu du siège du ministère de l’intérieur.
Serge Faubert, analyste politique et de la vie parlementaire.
Du côté de l’humour, Bruno Gaccio (voir aussi Wikipedia), transfuge du Canal+ zemmourisé par l’oligarque Vincent Bolloré.
Je signale aussi l’essayiste et vidéaste Pacôme Thiellement (notice Wikipedia), un ovni du commentaire, dont la rubrique rare, mensuelle, titrée Infernet, met sa large culture au service d’une réflexion sur l’inculture mortifère des conversations, amitiés et amours désincarnées, virtuelles, de la planète Internet, et d’autres de ses dérives. Par exemple, «Tu attends quoi pour te suicider ?», mai 2022.
…Et comme je ne manquais pas de terminer, lors de mes contritions forcées au confessionnal de mon enfance : « que je sois pardonné pour mes oublis » !