Bonjour !
Il faut lire Éric Vuillard. Pour moi, je l’ai déjà écrit, un auteur que l’on aime, est un auteur dans la lecture duquel on abandonne ses réserves, formes attentistes et raisonnables de l’esprit critique.
Je l’ai découvert il y a quelques semaines, et dans une frénésie de lectures j’en suis à mon quatrième de ses livres, deux attendant d’être parcourus sur ma table.
Il a surtout écrit des récits, historiques et érudits, cinglants et détendus, comme Congo, celui de Léopold Deux, Tristesse de la terre, une histoire « à l’endroit » de Buffalo Bill, dont le vrai premier personnage sont les habitants, dits premiers justement, de l’Amérique du Nord, qu’on a appelés Indiens, La guerre des pauvres, dont il a hâté la parution (que j’ai ignorée) durant le mouvement des gilets jaunes, consacré aux révoltes paysannes en Allemagne et en Angleterre au Moyen-Âge, Müntzer germanique et têtes aristocratiques anglo-saxonnes coupées.
J’ai lu aussi Quatorze juillet, une ébouriffante histoire de la prise de la Bastille consacrée aux quasi anonymes, dont Vuillard nous sort une deux-centaine de noms, souvent avec leur prénom, mais pas toujours, qui ont survécu dans la mémoire écrite des archives parfois en trois lignes et pour un seul geste, tandis que d’autres deviendront des généraux de l’Empire napoléonien et appartiennent à l’Histoire par les Grands Hommes. Mais comme Howard Zinn et d’autres, Vuillard est du côté de l’histoire écrite et vue par les lapins, non celle des chasseurs.
S’il faut commencer par un titre, Congo ou Quatorze juillet selon les affinités me paraissent de bonnes entrées en matière.
Le premier est bref, une bonne heure de lecture, décapant, et confirme le renvoi à la mièvrerie historique de Congo. Une histoire, de David Van Reybrouck, surtout, finalement, consacré à l’amitié de l’auteur pour nos frères congolais, renvoi que déjà la première partie du Rêve du Celte, de Vargas Llosa, cent cinquante pages intitulées Congo, avait prononcé d’une façon magistrale.
Vuillard est un grand écrivain, il a du style, des images, il égrène des aperçus aigus sur la condition humaine, quelques mots rares, mais pas trop, comme pour rappeler à qui nous avons affaire, et que si nous l’emm… il est prêt à en répandre un tombereau sur la témérité de notre ignorance, et de temps en temps un mot du langage le plus quotidien, argotique ou cru : il ne se prend pas au sérieux. Mine de rien il dégage aussi un humour modeste et persifleur, en ce qui me concerne très efficace, dont je me régale. « Ainsi, par une de ces larmoyantes ferveurs qu’entretiennent les militaires, et qu’ils ont en commun avec les poètes, on avait baptisé l’un des points d’appui : Béatrice.«
Je recommande ici avec la dernière énergie (mais ça me passera, car il y aura d’autres « dernières » lectures, et c’est juste que je suis en plein dans le bouquin), la lecture d’Une sortie honorable, qui narre le début de la fin de la présence française au Vietnam, jusqu’à Diên Biên Phu et après, entre les inspecteurs du travail découvrant les tortures des travailleurs locaux chez Michelin-caoutchouc, le Palais Bourbon des députés de la Quatrième république, et le terrain militaire. Partout ce ne sont que badernes prétentieuses au bord de la poubelle de l’Histoire, avec de temps en temps une voix française porteuse de lucidité ou de vérité, comme Mendès-France qui ne sera entendu que quatre ans plus tard, le député algérien Abderrahmanne-Chérif Djemad, ou le général Foy qui avait dit tout net : « Quittez Diên Biên Phu ou vous périrez« . Ah! Il y a aussi Cabot Lodge, ambassadeur étasunien à Saigon, omniprésent dans les médias avant la chute. Et d’innombrables passages jouissifs.
Juste une parenthèse dans un passage consacré à John Foster Dulles, instigateur d’un si grand nombre de mauvais coups étasuniens entre Mossadegh en Iran (le pétrole) et Guzmán au Guatamela (United Fruit), et aux Dulles car il s’agit bien d’une généalogie, sur l’assassinat de Patrice Lumumba. Quelques pages définitives qui manquent à la Belgique (139-148 dans l’édition de poche Babelio), derrière lesquelles on subodore une large bibliothèque. La quatrième de couverture dit bien : « érudition » .
Bref, essayez Éric Vuillard !
Guy
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PS: les deux livres qui m’attendent sont Conquistadors (seul estampillé « roman », les autres étant classés « récits »), et L’Ordre du jour, prix Goncourt 2017.
La guerre des pauvres (2019) a été finaliste de l’International Booker Prize en 2021.