
(Avertissement à une amie inconnue, lectrice d’Angoulême, à qui je pense à chaque fois que j’écris un billet, et à toustes : des liens ou pas de liens?
Ici, les liens ne sont qu’une facilité offerte à celles ou ceux que cela intéresserait, les « liens » n’ont rien d’indispensable ni de démonstration, sans Internet ils n’existeraient pas.)
Bonjour!
Ça m’arrive de temps en temps.
Chez moi, en voiture, dans l’escalier ou à la salle de bains, je rêvasse à une histoire dont j’écris mentalement une partie ou le début.
Ce serait le début d’un livre bien entendu. Tant qu’à rêver, autant rêver grand.
En voiture vers l’école où j’enseignais, j’ai écrit mentalement nombre de paragraphes d’un livre sur l’enseignement, dont exceptionnellement je mettais quelques mots sur mon ordinateur, les envoyais à un journal (deux parutions contre une ministre de l’enseignement en français-Belgique, deux parutions dans lalibre.be, 2007 et 2021), ou que sais-je.
Cela me fait tout de même si j’ai bien vu, entre 50 et 70 pages A4 disparates quelque part dans mes dossiers. Et comme le savent tous ceux qui connaissent mon nom et tous les libraires, je n’ai jamais écrit de livre ni sur l’enseignement ni sur rien, ce qui est une des raisons (pas qu’ils le sachent, mais que je n’aie rien publié) pour lesquelles j’ai créé mon blog : écrire pour écrire, pour m’exercer en prévision du jour où j’aurais vraiment de quoi faire – un livre, un vrai.
L’auteur russe Anatoly Rybakov, dont j’ai lu le formidable Les enfants de l’Arbat, travaillait dans son bureau devant une grande feuille punaisée au mur, où il avait mis : Pour écrire, il faut écrire. Je ne sais pas comment vous le comprenez, mais pour moi, c’est évident. Si tu veux écrire, chaque jour, même si tu n’as rien à dire, écris.
Alors, en post-scriptum ce soir, voici le très court début d’un livre inexistant sur Dollar MontagneDeSucre, dit MDS, c’est à dire Mark Zuckerberg, un de mes ennemis intimes.
Ce petit texte appartiendrait à l’introduction, un historique de MDS, encore très incomplet, qui précéderait un dialogue.
J’aime bien les dialogues, c’est facile, il y en a quelques-uns sur ce site. En fait les miens ne posent que deux interlocuteurs qui n’en font qu’un, autrement dit: moi et moi, comme Don Juan et son valet Leporello dit Sganarelle chez Molière – voir Ottto Rank, Don Juan et le double, qui m’a éclaté quelques neurones, j’étais jeune. Ou comme Don Quichotte et Sancho Panza: un seul personnage.
Ça, c’est pour moi qui ne suis pas écrivain: les grands et vrais écrivains, ils écrivent des dialogues où chacun des interlocuteurs défend sa thèse contraire à celle de l’autre, en plusieurs pages, comme Thomas Mann dans La Montagne magique. D’autres, comme dans La fête au bouc ou Le rêve du Celte de Vargas Llosa qui est un réactionnaire patenté, sont capables de proposer une oeuvre tellement riche que les lecteurs et lectrices peuvent se faire une opinion suffisamment diverse et même tout à fait contraire à la position de fond de l’auteur. (Vous en dites quoi, frères et soeurs militantes aux discours totalisants ?!)
Bien sûr, il y a beaucoup d’autres façons d’être un grand écrivain. Les façons d’Eric Vuillard, de Laurent Gaudé, de Günter Grass qui a quasiment une posture de fossile dans ce monde de l’instantanéité, de J. M. Coetzee, au secours il y en a tellement, souvenirs de tous mes âges. J’arrête avec la formule de mes confessions forcées dans une enfance catholique: « Et tous ceux que j’ai oubliés ». C’était mon truc pour me faire pardonner ce que je n’osais avouer, et honnêtement, je n’y étais pour rien dans cet air suffoquant, il suffisait de respirer, tous mes petits camarades en disaient autant. Il y a un livre à écrire sur les curés d’avant mai 68, ceux qui s’étranglaient, et ceux qui se réjouissaient, à entendre la résistance des jeunes générations.
Bon.
Depuis des mois, c’est comme ça: j’ai honte d’avoir une vie qui ressemble à une vie, en pensant à Gaza qui ne me lâche pas.
La vie?
Dans la littérature dite mondiale ici pour ce que j’en connais, littérature humaine donc, tronquée et vue de l’Occident, francophone qui pis est, au mieux mâtinée d’un peu d’européen, je veux dire: plus étroite qu’humaine, nous commençons par Merdre!, premier mot d’Ubu roi, et nous finissons par Yes, dernier mot de l’Ulysse de James Joyce. C’est mieux qu’inversement.
Yesse !
* * *
PS
Le texte d’aujourd’hui:
Dollar MontagneDeSucre
Dollar MontagneDeSucre, dit aussi MDS, est un clone parfait de l’appellation non contrôlée homo sapiens. Il est parfait en ce sens qu’il a été créé et procréé par les voies naturelles éprouvées, sans aucune intervention de techniques récentes à l’avenir incertain. Il est né d’une mère et d’un père de ladite espèce, des parents que l’on est obligé d’appeler aujourd’hui « biologiques », produit par une combinaison ordinaire des hasards de la génétique, de la naissance, de l’éducation et des rencontres, comme tout membre de son espèce non encore augmenté.
Si son nom est celui de son père, agrémenté des majuscules qu’il a tenu, adulte, d’y faire inscrire auprès du ministère de la justice et de l’état-civil, ce fils n’est pas davantage l’auteur de son prénom, que l’histoire pourra faire paraître comme prémonitoire, mais on ne sait si ses géniteurs l’ont fait intentionnellement ou pas : dollar est aussi le nom d’une monnaie, quoique prénom en usage dans sa langue. Un merveilleux pianiste de jazz à la peau noire par exemple, s’appelait Dollar Brand, qui a tenu un jour à se faire nommer Abdullah Ibrahim, ce qui pose un doute sur le confort du patronyme pour un humain estimable.
Quoi qu’il en soit, le jeune Dollar d’une intelligence moyenne appartenait à une famille assez riche pour se faire inscrire dans une université renommée, où seuls les enfants les plus brillants de famille modeste pouvaient parvenir, grâce à un système de bourses en charge de sélectionner les cerveaux utiles à la reproduction sociale. Chance ou talent, Dollar qui étudiait l’informatique naissante tout en ayant du mal à séduire les filles de son âge, a été porté par la nécessité à répondre à cette difficulté selon ses moyens.
Cette réponse exigeait certes de la ténacité, mais on ne compte pas quand on est dans le besoin.
Il a mis en place le carnet de bal qui lui manquait, non sur un carnet d’antan mais dans un programme informatique dont les lignes se parcourent dans la solitude devant un écran. En résumé, chacun et chacune, chacune surtout, était invité ou invitée à se présenter sur des fiches, la consultation sur inscription permettant de parcourir les unes et les autres en attendant une connaissance plus charnelle. Et de déposer sur les pages de petits signes graphiques minimalistes – j’aime, je n’aime pas, rire, triste, heureux, rouge de colère, applaudissements, la liste est devenue infinie en un nombre fini d’années – , ou de petits textes en général indigents, parfois moins, quand on était sûr de soi en paroles et de loin.
J’aime bien quand le Mérovingien – pardon, le Condruzien belge! Mais où ai-je donc la tête aujourd’hui ? – écrit un texte de 679 mots (3977 caractères, presque 4000, en comptant les espaces) en parlant de lui. Parce que, ce que j’aime bien chez le Condruzien, c’est le Condruzien. C’est sûr que Gaza me travaille aussi, comme il travaille la presse que je lis… mais si le Condruzien se met à parler de lui-même, je reviendrai plus souvent!