Une Allemagne s’il-vous-plaît, et sans modèle

 

 

François Mauriac, dont la rumeur disait qu’il n’aimait pas l’Allemagne, s’en défendait perfidement en affirmant, peu après la seconde guerre mondiale : « Mais si, j’aime l’Allemagne ! La preuve, c’est que je suis très heureux qu’il y en ait deux ! »

 

ENVOI

Disons une chose brutalement : le « modèle allemand » est celui d’un pays où la droite chrétienne est au pouvoir, et où malheureusement les pires réformes du marché du travail d’Europe, les lois Hartz, ont été le fait des sociaux-démocrates, qui sont ainsi un des partis de droite les plus cohérents d’Europe, avec le parti travailliste de Tony Blair. Le monde est devenu fou, je l’ai entendu hier dans la bouche d’un policier.

En soi, la notion de modèle est un argument à la logique douteuse, pour tout dire c’est une  notion logiquement intransposable, le modèle disparaissant quand il devient la norme.
Il n’y a ici, pas de souci désincarné ou désintéressé du progrès de l’espèce ou de la civilisation. En général, dans le tintamarre médiatique, la notion de modèle est une machine à faire suer la bête humaine.

Il y a donc d’emblée un problème sémantique. Modèle est inapproprié ! C’est le mot « régime » qui peuple la presse.
Puisqu’il y a « régime chinois », « régime russe » et « régime tchadien », pourquoi se priver de « régime allemand » ou de « régime français » ? Il y a même un régime belge.

Quelles seraient les vertus du régime allemand ?

L’Allemagne est riche et prospère.
L’Allemagne est nombreuse, avec des  riches très riches et des pauvres muets.
Ses voitures font rêver les acheteurs de voitures autant que les voleurs. Les mafieux du monde entier et les ministres de tous les pays qui ne produisent pas d’automobiles, roulent dans de coûteuses voitures allemandes.
Ses machines sont sur tous les chantiers et dans toutes les usines de la terre.

L’Allemagne est un pays propre et organisé, la paix sociale y règne. On n’y voit pas les jeunes manifester, on est loin du spectacle de la rue française ou canadienne. L’Allemagne est un pays où la jeunesse n’a pas d’histoire et ne fait pas d’histoires.

Il y a peu de grèves allemandes, en tout cas dans les médias. Les syndicats allemands ont un taux d’affiliation formidable, ils sont riches, possèdent des journaux, des bureaux juridiques et d’études, des radios, des agences de voyage et des banques.

Il n’est pas jusqu’au climat et aux tremblements de terre qui ne soient discrets en Allemagne.

L’Allemagne est la patrie de Karl Marx, né à Trèves, ville autour de laquelle la campagne est d’une propreté telle, aujourd’hui encore, qu’elle enseigne au voyageur de passage l’humanité profonde du désir de, excusez-moi, je cite un routard : l’envie de foutre la merde.

L’Allemagne a un grand passé. Elle a eu des grands savants, des grands philosophes et des grands musiciens, et quelques grands écrivains, dont pas un seul comique.

La gastronomie allemande est inexistante. Cependant, il y a une vraie culture de la vigne et  du vin en Allemagne, et des grands crus. Dans les bistrots spécialisés où on le boit debout, le café allemand répand un parfum à nul autre pareil.
La bière pils, inventée en Bohême, nom de la Tchéquie quand elle était allemande, ainsi que le cochon, qui représente l’absolu alimentaire de la chrétienté, n’ont pas de secrets pour les Allemands. La saucisse de Francfort peut s’appeler viennoise à Frankfurt am Main, et la meilleure francfort à mon goût est servie avec un petit pain et une moutarde, pas terrible, comme toujours, sur une assiette en carton, mais non verni, de sorte que son goût, oui, le goût du carton, contribue au résultat final.

L’Allemagne est peuplée de frères et sœurs humains, dont quelques allochtones et des Turcs, ces derniers faisant exploser de mille étoiles le cinéma et la littérature allemands. Les Rhénans ont un patois accumulant les racines latines dont on se moque à Hambourg ou Munich. Les Allemands sont honnêtes et joviaux, en tout cas les catholiques – les Allemands protestants sont nombreux aussi.

Dans toute l’Allemagne, les gens instruits adorent placer « à propos » en français dans leur conversation, mais seuls les habitants d’Aix-la-Chapelle, et ils en sont fiers, disent « merci » en français dans leur langue.

Les Allemandes, souvent grandes, sont souvent blondes.

Il y a plein d’autres choses à dire sur l’Allemagne.
En un mot comme en cent, l’Allemagne est formidable.
J’aime l’Allemagne, et d’ailleurs – ou parce que – j’y suis né, non, pas né, quasi né – ce qui est une autre histoire.

 *

 Retour au réel, nous sommes le 30 mai 2012.

Angela Merkel n’est pas l’Allemagne.

Angela Merkel est, provisoirement, la chancelière de droite de la République Fédérale Allemande.

 *

Haro sur le modèle allemand !

Premièrement, un « modèle » national est par essence inexportable, même pour une nation championne du commerce international comme l’Allemagne, car un régime socio-économique, de quelque pays qu’il soit, est largement tributaire de déterminations historiques et géostratégiques elles-mêmes intransposables.
La discipline des travailleurs pauvres et précaires en Allemagne, qui représentent un emploi sur trois, la discipline des salariés allemands en général, la discipline des chômeurs allemands relevant de l’assurance-chômage, et la discipline des chômeurs allemands virés de l’assurance-chômage, cette inexorable discipline allemande est inexportable en France et dans quelques autres pays, et c’est très bien ainsi.

Ensuite, il ne nous a pas échappé que dans l’Europe des marchands, comme dans le monde libéral en général, on ne tire argument du « modèle » des pays concurrents ou partenaires que dans le sens du moins-disant social, jamais dans l’autre sens.
C’est un processus qui, en soi, n’a pas de fin, mettant en péril toute notion de contrat social ou de démocratie, on le voit un peu partout, et jusqu’à l’absurde et à la cruauté dans l’exemple grec. C’est un processus qui n’aura de fin qu’imposée de l’extérieur, par un gouvernement réformateur lui-même en général poussé dans le dos par un mouvement social.
S’agissant du marché du travail, son « autorégulation », maître mot de la propagande et obsession des maîtres de la propagande, est une telle impossibilité ontologique, qu’aucun idéologue n’a encore osé s’en prévaloir (un peu de patience, ils oseront tout jusqu’au suicide.) Il n’empêche que sur ce marché comme sur les autres, l’idéal libéral reste bien sûr la dérégulation débridée ou « décomplexée ». En Allemagne, la réforme du marché du travail opérée par les sociaux‑démocrates avec l’appui de la droite chrétienne, principalement les lois Hartz, a pour argument officiel de « renforcer la lutte contre le chômage volontaire et améliorer le retour en activité des bénéficiaires d’allocations ». Car plus il y a crise, plus est grand le nombre de gens souhaitant chômer volontairement, n’est-ce pas? Moins il y a d’argent et de travail, plus les pauvres veulent chômer. C’est connu, et cela va de soi. Les salariés allemands ont donc accepté quatre heures de travail hebdomadaire supplémentaire sans augmentation de salaire, et des réductions drastiques des allocations de chômage, tant dans la durée que dans leurs montants. Ce rêve libéral, devenu réalité dans la nation où est né le romantisme, ferait exploser la scène sociale de la plupart des pays indisciplinés civilisés. Encore ici, de l’inexportable, rien que de l’inexportable.

Troisièmement, comme le concevait Keynes, l’excédent extérieur structurel est un dysfonctionnement, tout autant que le déficit chronique, et le grand économiste britannique proposait de le sanctionner. Dans une Union européenne qui réalise 60 pour cent de  l’excédent commercial allemand, la position exportatrice de l’un postule les importations des autres. Encore une fois, le recours à l’impératif vertueux allemand a pour principal objectif d’imposer aux classes travailleuses des restrictions acceptées là-bas, pas de produire un renversement inatteignable du rapport commercial. Les grands patrons allemands qui s’expriment dans la presse à propos des pays du sud de l’Europe, utilisent d’ailleurs le mot « discipline » et ne parlent pas de « vertu ». On se doute que ce n’est pas à leurs pairs étrangers, mais aux peuples, qu’ils demandent ce supplément de retenue…
L’aspect dysfonctionnel de l’excédent commercial allemand s’observe aussi par ses effets financiers: « en contrepartie des excédents commerciaux et de la faible croissance allemande, des flux de capitaux importants sont allés nourrir l’endettement excessif en Grèce, en Espagne ou en Irlande. » (Arnaud Lechevalier)

 

Bon. J’abrège et je résume, je condense en huit lignes des liens à quatre-vingts pages, j’en oublie quarante, je multiplie par zéro virgule trente-huit, j’oublie de citer mes sources et je reporte trois :
À la modération salariale (voilà une expression modérée! un euphémisme, quoi), qui facilite l’excédent commercial extérieur (d’accord? on vend plus à l’étranger si les salaires nationaux sont bas), s’ajoutent comme autres caractéristiques du régime allemand l’atonie du marché intérieur, qui en résulte (vous suivez? salaires bas égale peu de consommation), et, ce qui y contribue (à l’excédent), un
large délocalisation dans les pays d’Europe centrale (où les salaires sont un tiers des salaires belges: les entreprises allemandes concurrencent celles de l’UE, sur les marchés internationaux, avec des salaires slovaques, polonais et autres.) Merveilleux ! (Pour qui, l’excédent? Pour les poches de qui, et pour faire la morale à qui?)

Tels sont les traits au nom desquels le gouvernement et le patronat allemands, ainsi que des élites diverses dans divers pays, donnent des leçons de conduite en Union Européenne. Il est  difficile de voir dans ces caractéristiques autre chose qu’un concours de circonstances historiques, où la notion de projet conscient et construit a peu de place.
Mais comme d’habitude en capitalisme, les haut-parleurs de la parole conforme nous assènent que le plus prospère est aussi le plus intelligent, le plus sage, le plus méritant.
Un « modèle ».

D’une conversation radio, « Austérité et croissance »


Il y a des silences radio.
Réaction ci-dessous, à une, conversation radio.


Madame Cornil,

J’ai écouté en podcast, votre intéressante émission « samedi + » de ce jour, sur le thème « Austérité et croissance ».

Je dois vous dire qu’il y a une confusion permanente et lassante dans ce genre de conversations, à savoir l’attribution d’un sujet unique aux réalités sociales, mêlant en un tout indistinct le gouvernement, la population, les salariés, le patronat, les actionnaires et la finance, bref les différents groupes sociaux et intérêts qui se combattent d’une manière ou de l’autre pour le ciel des idées et pour le partage des richesses terrestres.

 

Par exemple, il a été dit que « les Islandais » ont refusé de payer des créanciers. Même monsieur Dupret, qui appartient à une gauche critique, n’a pas reformulé. En réalité, il faut dire et comprendre : « le contribuable islandais a refusé de payer la faillite des actionnaires bancaires privés ».  C’est très différent, et cette confusion de langage, qui n’est pas neutre, est omniprésente dans le débat !

Dire, comme entendu à votre émission, que « la banque centrale européenne a choisi d’être indépendante », doit me semble-t-il se comprendre comme ceci : « les gouvernements de la zone euro et la commission ont depuis trente ans organisé une indépendance totale de la BCE par rapport aux gouvernements nationaux et donc par rapport au suffrage universel, et coulé sa mission dans le bronze institutionnel d’un objectif prioritaire, la lutte contre l’inflation » ! (Vous vous souviendrez peut-être ne pas avoir été informée de cette évolution, ni a fortiori consultée, pas plus que moi dois-je le dire, ni quelques autres.)
Pourquoi cette priorité ? Il ne faut pas une longue enquête pour découvrir le groupe d’intérêt dont l’inflation est le cauchemar : …le financier.

Mais voilà, à tous les micros et dans la plupart des journaux, on appelle le financier un « investisseur », ce qui est un abus de langage féroce !
Les problèmes que nous cause la financiarisation de l’économie résident précisément dans ce fait que les excédents (qu’il ne faut pas appeler « épargne », ce qui est une autre et permanente distorsion sémantique) justement ne sont pas investis, c’est-à-dire consacrés à des activités productives de biens ou de services, mais placés ou joués dans la finance. La finance représente précisément, pour les détenteurs d’excédent, l’inintérêt et l’impossibilité de l’investissement (dans la production), entraînés par l’absence de débouchés que constitue la contraction de la part salariale. Oui!

 

Faire valoir que « les Grecs » souffriraient d’une éventuelle rupture d’avec l’euro, c’est oublier à quel point « ils », entendons les Grecs modestes, souffrent depuis cinq ans de récession allant jusqu’à la réduction des salaires pour ceux qui en ont encore, que le suicide en relation avec ce traitement de la crise y est quotidien, comme déjà plus ou moins en Italie, et que si les élections de juin provoquent un jour le retrait grec de l’euro, ce sera justement en raison d’une souffrance passée et actuelle insupportable. Peut-être connaissez-vous le blog Greek Crisis, http://greekcrisisnow.blogspot.fr/, tenu en français par l’historien et ethnologue Panagiotis Grigoriou.
Certains de vos interlocuteurs me font penser à ce politologue et historien belge qui vient de comprendre, « en raison » d’une incarcération de cinq jours, la nature du régime syrien, que l’exercice de sa profession d’intellectuel ne lui avait pas permis de percevoir en plusieurs années.

 

Etc.

 

En réalité la science économique n’existe pas.

J’ai étudié cette discipline pendant quatre ans à l’université, et je la tiens pour un discours de légitimation de l’injustice. Bien sûr, je n’ai pas trouvé ça tout seul. Quelques solides auteurs sont à mes côtés. Ainsi Frédéric Lordon, qui vient de le réaffirmer avec force dans son blog, sous le titre « Euro, terminus ? ». Il n’y a pas de science économique, dit-il, il y a une économie politique, il y a la politique, et cette dernière se caractérise en ce moment, en Grèce particulièrement, après l’Islande à sa façon, par l’irruption sur la scène de l’acteur que les pouvoirs veulent à tout prix tenir à l’écart : le peuple, le corps social, les gens d’en-bas, les pauvres.
À 90 ans, J.K. Galbraith n’a pu qu’intituler son testament d’économiste Les mensonges de l’économie, et à côté de quelques rares économistes hétérodoxes, l’un des commentateurs les plus pertinents de la situation actuelle n’est pas économiste, mais anthropologue, c’est le Belge Paul Jorion, dont je ne peux que vous recommander les ouvrages et le blog, qui est en soi un phénomène de l’Internet : http://www.pauljorion.com/blog/.

 

Vous aurez une illustration de ce que ces considérations, lectures et réflexions peuvent produire pour l’amateur que je suis, qui préférerait ne s’occuper que de son jardin, mais que l’indignation rattrape régulièrement. En cliquant, sur le blog où je suis en train de rassembler mes archives éparpillées sur le net ou dans des courriers électroniques, sur les tags « économistes » ou « finance ».

 

Bien à vous,

 

Guy Leboutte,
Liège

Pour achever DSK auprès de ceux qui ont encore quelques illusions
(+ 1 bonus! – Michel Rocard)

D’après le livre de John Kenneth GALBRAITH

 

Bonjour!

Sarkozy avait donné la preuve qu’un socialiste de gouvernement ne résiste pas à une proposition prestigieuse, même si elle émane d’un ennemi politique et implique de quitter son parti d’origine, comme on l’a vu avec Bernard Kouchner, Eric Besson ou Claude Allègre.
D’autres, comme Dominique Strauss-Kahn, Jacques Attali, Jack Lang, Michel Rocard, ont accepté des titres qui ne leur ont pas paru incompatibles avec la qualité de membre du PS français.
Un des pires a refusé, bien qu’à l’époque il fût très courtisé: Manuel Valls. Vous allez voir le tort qu’il va faire, comme ministre de l’intérieur et de l’immigration, au socialisme de gouvernement – qui le mérite bien -, comme à la démocratie – qui n’en demande pas tant. Lisez en attendant le savoureux « Vous avez aimé Claude Guéant ? Vous adorerez Manuel Valls
 » d’Alain Gresh, du Monde diplomatique.

S’agissant de Dominique Strauss-Kahn, voici un article bien intéressant, surtout pour ceux qui croient encore que le titre d’économiste a quelque chose à voir avec une compétence de type scientifique, au-dessus ou en-dehors des conflits sociaux pour l’appropriation de la richesse des nations. Un économiste dans la norme, c’est une espèce de fou, payé pour répéter d’innombrables contre-vérités maintes fois démontrées comme telles, mais utiles aux puissants. C’est un prélat de l’inégalité, un ennemi du genre humain, un tueur de peuple grec, un tueur de n’importe quel peuple « s’il le faut ».
Les économistes ne sont pas neutres dans la « guerre des classes », qu’ils nient, mais dont parlent des gens aussi différents que le milliardaire Warren Buffett
ou les sociologues Pinçon et Charlot.

Voici donc ci-dessous, comme à Harvard (dont Papandréou est diplômé), un étude de cas empruntée à la réalité: Dominique Strauss-Kahn économiste.

Bonne lecture!

 

Guy

 

Post scriptum:
…Et au passage, mais ici par pur amour de l’acte gratuit, car ses gesticulations ne trompent plus personne, et non sans lâcheté, vu qu’il lui reste à peu près dix-huit auditeurs éparpillés de par le monde, enterrons du même mouvement Michel Rocard.  Voici ce qu’il disait en mai 2011, en appui à la candidature à la présidence française de Dominique Strauss-Kahn:
« On peut penser, comme citoyen du monde, qu’il y aurait un intérêt à ce que Strauss-Kahn reste à Washington, parce que la mission n’est pas terminée.
Mais la résistance politique des banques est telle que les États-Unis craquent, que la Grande-Bretagne a mis un employé de la City comme Premier ministre, que Madame Merkel a peur, que le Japon se défile.
J’ai longtemps dit le contraire, mais je pense désormais, en citoyen français, qu’il vaut mieux rapatrier Strauss-Kahn, et qu’il puisse agir à travers l’écoute dont bénéficie encore la France sur la scène internationale. »

Cocorico! Ça est une fois au moins aussi pire que de l’économie – mais ça porte un autre nom.



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DSK côté face

G. Papandréou a été élu triomphalement en Octobre 2009. Il a contacté D. Strauss-Kahn en secret en Décembre 2009. Les deux hommes ont élaboré le Mémorandum I, divulgué en avril et rendu officiel le 3 Mai 2010.

Ce document contient des mesures, depuis appliquées, de baisse de salaires et retraites, augmentation d’impôts et taxes, suppression massive de postes de fonctionnaires, démolition du code du Travail, privatisations, … Les Grecs n’ont jamais connu une telle austérité ni pendant la dictature des colonels (1967-74), ni pendant l’occupation nazie.

Pour faire passer de telles mesures il fallait le soutien européen des élites (universitaires surtout). Sur conseil de DSK, le premier ministre Papandréou, début 2010, embauche comme conseiller Daniel Cohen [1] (de la Banque Lazard [2] et conseiller actuel de Hollande). On citera également d’autres élites rémunérées (tout travail mérite salaire !) de la social-démocratie européenne: Joakim Palme [3], Leif Pagrotsky [4], Tommaso Padoa-Schioppa [5], Lucas Papadémos [6], … et les Banques BNP, Deutsche Bank (Josef Ackermann [7]), HSBC. Mi-septembre 2010, le ministre Pamboukis (Droit, Paris 1) a rencontré à Paris Jacques Attali, accompagné de Cohen. On ignore le rôle d’Attali (et surtout son tarif) dans le « redressement » de l’économie grecque.

Le soutien européen des élites n’est pas suffisant. A Nice le 26 octobre 2011, le « moteur » Merkel-Sarkozy exige et obtient de Papandréou un gouvernement d’Union nationale composé du PS, de la droite et de l’extrême-droite sous la présidence de Lucas Papadémos, de la Banque Centrale Européenne [8].

Le poulain de Sarkozy au FMI a déclaré à son hagiographe Epsein que le jour de son arrestation le 14 mai 2011 il partait pour l’Allemagne rencontrer Mme Merkel afin de résoudre définitivement le problème grec, évoquant un plan « Comprehensive » ! [9] On connaît la suite. Le Memorandum II qui institutionnalise l’austérité et la perte de la souveraineté nationale jusqu’à 2021. Sarkozy, bénéficiant du pacte germano-français (les naïfs l’appellent le « moteur franco-allemand » !), a obtenu que 150 hauts fonctionnaires français iront en Grèce pour réorganiser l’administration (bâtie déjà sur le modèle … français !). Butin maigre par rapport à celui de Mme Merkel.

[1] Daniel Cohen de l’Ecole Normale, ne sort de son bureau que le mercredi. Le reste du temps s’occupe de sa recherche, de ses étudiants et de ses séminaires. Le mercredi donc il fait l’aller-retour Paris-Athènes dans la journée. On connaîtra le montant de sa prestation auprès de Papandréou après la chute du gouvernement PS-droite-extrême droite actuel. Son expérience va servir la France sous Hollande.

[2] Mathieu Pigasse est directeur général délégué de la banque Lazard, patron de Daniel Cohen, ex conseiller au cabinet DSK, proche de M. Valls. Il est co-propriétaire du Monde. Il était l’organisateur de la vente de Libération à Édouard de Rothschild. Son frère est directeur de la rédaction du magazine people Public (ça aide à voter comme il faut).

[3] Joakim Palme, sociologue, fils du premier ministre suédois Olof Palme, a été embauché (communiqué 19.10.2010) comme conseiller par Papandréou, ami de la famille. Il avait comme mission, dotée de 2,6 milliards d’euros, le développement de la Grèce et la baisse du chômage. Aucun rapport ou étude n’ont été rendus publics à ce jour. Le chômage est passé de 9% à 22%.

[4] Leif Pagrotsky, économiste, ex ministre suédois, banquier, membre du club Bilderberg, a été embauché (communiqué 2.5.2010) comme conseiller de Papandréou.

[5] Tommaso Padoa-Schioppa (MIT, ministre, Banque d’Italie, CEE, FMI, BCE, Notre Europe, …) fut conseiller de Papandréou jusqu’à sa mort en décembre 2010.

[6] Lucas Papadémos (MIT) du noyau central du personnel politique de la bourgeoisie internationale, banquier de première classe (vice-président BCE), membre de la Commission Trilatérale depuis 1998 et “ami de l’Amérique”. M. Papadémos est un des artisans du maquillage de la comptabilité grecque avec Goldman Sachs.

[7] Josef Ackermann est le président de la Deutsche Bank.Il a décerné à Georges Papandréou le prestigieux prix allemand Quadriga 2010 qui récompense « l’innovation, le renouvellement et l’esprit pionnier par des moyens politiques, économiques et culturels ». Ackermann est un ami de la famille Papandréou.

[8] Mme Royal est toujours vice-présidente de l’Internationale Socialiste, sous la présidence de Papandréou. Elle a soutenu le plan Papandréou, comme Aubry. Ce dernier maintient que la Grèce a été sauvée grâce à son plan. Le Parti Socialiste grec l’a écarté de la présidence du parti !

[9] Le plan « Comprehensive » du FMI-DSK n’a jamais existé. Les socialistes grecs ignorent son existence. Il s’agit probablement d’un nom de code comme « matériel » qui concerne les autres activités de DSK.

Pourquoi la crise de l’Euro ne sera pas résolue

Photo Reuters – John KOLESIDIS (Le Monde)

…ni celle de la dette, ni celle de la finance.
(Ni celles de la faim dans le monde, de l’environnement, du climat, de la santé publique…?)

La raison en est donnée dans les deux  premières minutes de cette vidéo de Paul Jorion, parue aujourd’hui sur son blog, au titre d’une apparente grandiloquence dans laquelle il ne faut voir qu’un trait de son humour favori:  « Le grand mystère des choses enfin révélé. »

Le reste, ce sont les détails, certes intéressants, voire passionnants, peut-être vitaux, mais attachons-nous ici à la cause de nos embêtements financiers, qui sont loin d’être théoriques, ainsi que nous pouvons l’observer en Grèce. Cette cause peut être décrite en trois mots: la concentration des richesses.

Il s’ensuit une grille d’analyse pratique très simple: tant que les plans gouvernementaux ne s’adressent pas à cette cause, ils n’auront aucun effet curatif.
Au prix d’une minute d’attention par jour, vous pourrez désormais vous faire une idée pertinente de l’actualité Sarko, Merkel, UE, FMI et consorts, libérer votre temps pour d’autres activités et choisir votre prochain  bulletin de vote ou de non-vote.

Cela dit, chacun se pose ou s’est posé la question: qu’est-ce qui empêche des professionnels instruits  de repérer une cause aussi voyante et massive, et d’y remédier?
La réponse tient en deux choses toutes simples et intimement liées: l’intérêt personnel et l’idéologie.
Oui, nos gouvernements, leurs conseillers, les économistes d’université (pour la plupart), sont la proie d’un biais idéologique absolu. (Les financiers, banquiers et affidés aussi, mais chez eux c’est normal et professionnel – il faudrait juste s’en souvenir et cesser de les inviter aux débats sur l’emploi ou l’enseignement par exemple.)
Encore une fois, voyez la Grèce: le remède imposé par la troïka, dont les émissaires en costume trois pièces  dînent avec le gouvernement grec à 300 euros le couvert, accroît le mal au lieu de le soulager. Mais ces gens-là, Monsieur, ces gens-là, ne peuvent envisager d’autre action que d’alourdir la potion qui tue.

Si vous avez lu ce courrier jusqu’ici, et si vous avez un peu de temps ou de curiosité, la suite de la vidéo de Paul Jorion pourrait vous intéresser. Elle présente la réflexion d’un homme qui, depuis des années, réfléchit , débat et écrit en liberté sur ces questions.
Vous ne courrez qu’un risque: sentir la confusion reculer et votre intelligence stimulée.

Bonne fin de journée !

Guy

PS: pour ceux qui ne me connaissent pas ou ne sont pas sûrs de me remettre, et tant que j’y suis à répandre des vidéos, en voici une autre où  l’on peut me voir à la minute 1’10. Il s’agit du Prix Première (2012) de la RTBF, pour lequel j’ai été retenu comme membre du jury.

 

Les prix qui tuent, dans un monde assez grand pour les uns, trop petit pour les autres

Photo: Le Monde


L’actualité du Japon a quasiment chassé, de la une des médias, une question lybienne qui avait précédemment pris toute la place. Cette logique pyramidale, à l’oeuvre dans le traitement de l’information, n’est pas sans pousser nos consciences à une forme de monomanie.
Cependant, bien sûr, d’autres crises anciennes ou permanentes subsistent. Aucun tsunami ne les tempère, aucun silence n’allège leur charge parfois mortelle.

Voici que le site du journal Le Monde présente un « récit multimédia », intitulé « Le prix du riz : question de vie ou de mort. » Ce prix a doublé au Bangla-Desh en deux ans.

Rappelons ce que l’ancien commissaire de l’Onu pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, dont L’empire de la honte vient de paraître en édition de poche (6,50 euros), répète avec force dans ses livres, articles et conférences: « Dans les conditions actuelles, tout enfant mort de faim est assassiné. » Une affirmation qu’il démontre à satiété. Or un enfant de moins de dix ans meurt des suites de la faim toutes les 22 secondes sur cette planète.

Rappelons aussi que même la commission européenne a fini par reconnaître que la finance était responsable d’une part de la hausse mondiale des prix alimentaires, dans une proportion qui irait jusqu’à 75% selon certaines sources. « Le monde est assez grand pour répondre aux besoins de tous mais il sera toujours trop petit pour répondre à la cupidité de quelques-uns », disait Gandhi, aujourd’hui cité par l’économiste Jeffrey Sachs.

Si nous croisons les deux paragraphes qui précèdent, il est facile de comprendre qu’ « investir » – mot inexact, notre « épargne » – mot douteux, en banque, ou dans une société d’assurance, nous met dans un rapport de causalité immédiat avec des tragédies planétaires majeures.
Il est donc facile de savoir ce qu’il ne faut plus faire de son argent.
C’est « Une vérité qui dérange », sans doute, dont il me semble que chacun a l’intuition.

*

Revenons-en au récit du Monde qui suscite ces réflexions. Il reprend cinq courtes vidéos, d’à peu près une minute, dont voici quelques extraits:

« On n’a plus aucun rêve. On n’a pas le temps de rêver. On passe notre temps à travailler, pour manger. (…) On arrive encore à acheter des lentilles, pour accompagner le riz. »
Sahida, 25 ans, femme de ménage, 14 heures de travail par jour

« On achète même de la viande et des légumes, une ou deux fois par mois. Mais si les prix continuent d’augmenter, on ne mangera plus que du riz et des lentilles. »
Amila, 32 ans, couturière

« Maintenant, je travaille 12 heures par jour. Et même comme ça, nous ne mangeons plus à notre faim. »
Abdu, 29 ans, vélotaxi

« On ne mange plus qu’une fois par jour. Les mauvais jours, on ne prend aucun repas. »
Munni, 30 ans, mendiante

« Un ami a carrément arrêté l’université parce qu’il n’arrivait pas à se nourrir. Il était passé à un repas par jour. »
Mohammed, 23 ans, étudiant.

…Bonne fin de journée.

Le film « Nos enfants nous accuseront »

Repris dans le mensuel du centre culturel Barricade, « Un pavé dans la mare » ,  Liège, mai 2009, p.24

 Images extraites du film de Jean-Paul JAUD, « Nos enfants nous accuseront »

 

Bonjour,

Dans l’école où je travaille, les sandwichs vendus aux enfants et adolescents se composent d’un morceau de pain fendu et d’une couche d’un mélange fourni par l’industrie agro-alimentaire

On n’y voit pas un gramme de crudités, si l’on excepte les quelques « dagoberts » emportés dans les cinq premières minutes du premier service, et disparus depuis  fin octobre en raison, se murmure-t-il, de l’épuisement d’un énigmatique budget. Comme si, et c’est bien possible, la recette de ces sandwichs (on les paie, tout de même) allait dans un tiroir totalement étranger au département « achats », dans la logique des compartiments étanches du Titanic.

On trouve par exemple, sous le nom de filet américain, une pâte ou pâtée contenant 47 % de viande, dont la moitié de porc, d’ordinaire proscrite crue en raison de sa rapide dégradation, et 53 % d’autres choses, huile, huile, huile, « émulgateurs » ou émulsifiants, conservateurs alimentaires, jaune d’oeuf, colorants…

Présenter cette mixture à des gosiers en pleine croissance me paraît nécessiter comme une longue chaîne de paresse intellectuelle, d’empilement des déresponsabilités, de grégarité aveugle. Une petite démonstration en actes de l’impuissance du service public, par ceux-là même qui en vivent et le peuplent.

Pour tout dire, ce dégât collatéral de l’enseignement obligatoire me paraît tenir du crime plus que du délit, et deux fois plutôt qu’une: pour atteinte à la santé de la jeune génération d’une part, pour dégradation du projet collectif d’éducation de l’autre.

Vendre ça à des ados dans une école devrait être illégal et le sera, je l’espère, prochainement.

…À ces remarques peu amènes, un collègue m’a opposé  que l’on avait essayé les crudités, mais qu’on en avait retrouvé à terre dans la cour de récréation – signifiant par là, j’imagine, que d’abord les jeunes n’en veulent pas, et qu’ensuite c’est de leur faute s’ils n’en reçoivent pas.
Que les écoles adoptent donc la tétine automatique de l’élevage industriel !  Enfin une propreté optimale!
Et des petits malins pourront y ajouter en douce du bromure ou des calmants, au goutte à goutte.

Le film dont je vous transfère ici l’annonce, donne à réfléchir sur les conditions modernes de la production alimentaire, et met l’accent sur la responsabilité des adultes à l’égard des générations montantes. Des pathologies lourdes prospèrent sur ce terreau, et la question dépasse bien entendu très largement le périmètre restreint de mon bahut en région liégeoise.
Heureusement, on le voit dans le film, quelques écoles ou pouvoirs locaux s’insurgent, quelques experts aussi.
Il y a même un Monsieur Belpomme dans le mouvement, ça ne s’invente pas.

Bien à vous!

Guy

Lien immédiat pour la bande-annonce (mais vous ratez le site du film) : http://www.dailymotion.com/video/k4xfFdegRczg99P2bC

——– Message original ——–

Sujet: TR: film « Nos enfants nous accuseront »
Date: Tue, 18 Nov 2008 15:11:55 +0100
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1929 – 1989 – 2009

(Publié sur Cemab.be)

La crise financière d’aujourd’hui pourrait passer dans l’histoire comme « celle de 2009 », car il se peut que nous n’assistions pour le moment qu’à la mise en place de ses conditions initiales et qu’elle s’aggrave encore pour connaître plus tard, l’an prochain par exemple, son acmé, qui est aussi un gouffre. Cela n’est pas certain, mais n’est pas impossible. Quoi qu’il en soit, me voilà disposer d’un titre, et grâce à Philippe Gibbon (1), qui mettait de côté une coupure de presse il y a dix-neuf ans, en se « doutant qu’elle servirait un jour»,  j’ai aussi une illustration.

Venons-en à notre sujet, qui est l’actualité financière.

Décrire quelques engrenages ne suffit pas.
Il faut comprendre qu’il y a une impasse logique dans le système, et qu’il s’agit d’une crise que l’on peut appeler à bon droit « systémique ».

Nous assistons dans l’ensemble des pays riches à une forte réduction, depuis trente ans, de la part des salaires dans le P.I.B. Au moins 10 pour-cent de la totalité des richesses produites annuellement, qui allaient précédemment à la part des revenus du travail, s’ajoutent désormais à celle qui revenait aux revenus de la propriété.
Cela signifie, humainement parlant, une agression inouïe contre les classes populaires, inouïe au sens propre vu qu’elle est largement inaudible-invisible dans les médias, qui représentent peu ou prou le Moniteur Officiel des Représentations. Les S.D.F. et la pauvreté, le chômage persistant à deux chiffres, la déglingue des budgets sociaux, la stagnation des salaires, l’explosion des loyers d’habitation et du prix des immeubles… sont la traduction sensible de ces chiffres abstraits.
D’un autre côté, sur le plan de la logique économique, cette évolution représente à terme une baisse de la demande et une tendance à la récession, même si provisoirement s’y oppose un « adoucissement » tout involontaire, à savoir le recours de plus en plus massif au crédit, conçu bien entendu au premier chef comme une source de profits, une extension, historiquement toujours nécessaire, de l’aire de jeu du capital, plutôt que comme un soutien à la demande.

S’agissant des États-Unis, dans ce pays le recours à l’endettement ne connaît pas de limite extérieure: le monde entier accepte leur dette. C’est un effet d’empire. Le capitalisme US ne peut gripper que de l’intérieur, comme en 1929, parce que de l’extérieur aucun de ses partenaires et rivaux n’a intérêt à provoquer sa chute, même ceux qui comme la Chine ou les fonds souverains (2) détiennent sur lui une telle quantité de créances qu’ils en ont techniquement les moyens. Il faut bien voir que l’économie étasunienne a un statut unique au monde, annulant les règles de change ou d’équilibre des balances extérieures qui s’imposent à tout autre pays – et à des années-lumières de toute analogie avec la saine gestion d’un budget personnel ou familial.
Il est d’ailleurs vraisemblable que l’un des aspects historiques de la présente crise soit justement une étape vers la fin de ce statut impérial, une fin qui est à long terme tout à fait certaine. (3)
Cela n’empêcherait cependant pas l’étranger, la panique une fois installée, d’aggraver la crise par des retraits massifs.

Dans ce contexte et dans une période historique de capitalisme triomphant, où c’est d’ailleurs le démocrate Clinton et le gouvernement du socialiste Mitterrand qui ont, en leurs territoires respectifs et parmi d’autres, parachevé la dérégulation financière, il faut bien voir que la financiarisation de l’économie n’a connu aucune limite politique ou réglementaire, en particulier aux EU. Il s’ensuit, dans ces conditions, que seule l’implosion des marchés financiers, seul leur plongeon dans le vide d’une société mise à sac, peut ramener au réel la folie de la bulle boursière (4), puisque n’y pourvoit aucune autre limitation : ni la « raison » humaine, ni la « bonne gouvernance » autoproclamée, ni aucune forme du sens de la responsabilité collective, inexistante au gouvernail des États et des institutions internationales, ne se sont manifestées.
Cette impasse logique est certaine, et depuis des décennies ! Simplement, son rythme se déploie sur une ou deux générations humaines. Et tout aussi simplement, le temps qu’elle impose sa loi, certains se sont approprié des montagnes de richesses produites par l’effort commun.

Il faut bien voir que la crise des subprimes et de leur titrisation (5) n’est que l’aspect anecdotique de la limite enfin atteinte, et non une cause, tandis que les revenus et « parachutes » indécents des grands patrons, équivalant à plusieurs siècles de revenus modestes, ne présentent qu’un effet médiatisable, parfois applaudi, de cette dérive aveugle, moralement illégitime, faut-il le dire, et économiquement irresponsable.
On croit rêver ! La caste des « décideurs » se prétend coureuse de risques. Elle se déclare récompensée au mérite. Elle s’invite aux débats de société, pour donner ses leçons à propos du chômage, alors qu’elle y trouve son intérêt puisque les licenciements font monter les cours en bourse, et alors qu’elle ne « donne du travail » ou ne « crée de l’emploi » qu’à condition, par structure (et non par un trait de caractère plus ou moins dévoyé), de faire un bénéfice sur chaque heure payée. Ses représentants viennent à toute occasion dire leur mot sur l’éducation, dont ils entendent tirer profit, soit immédiatement en ouvrant de nouveaux marchés, soit à plus long terme en réduisant l’école à un centre de formation pour soldats de la guerre économique (6). Au bout du compte et par divers chantages proportionnels à sa capacité de nuisance, qui balaie large entre asphyxie de l’activité productive et pièges à l’emploi, cette caste demande l’impunité.
Quant à la face sombre des événements, celle de la souffrance sociale quotidienne, des jeunesses sans emploi, des salaires de la peur et des fins de vie amères, elle reste à sa place dans l’ombre, loin des projecteurs.

La finance qui « par nature » devrait avoir pour fonction de servir l’économie productive, la domine au contraire depuis les années 80. Elle en est devenue un pur prédateur. Inévitablement la proie, dans un premier temps les débiteurs des crédits hypothécaires US, devient exsangue, et le circuit s’assèche.

La crise de 1929 avait poussé les gouvernements du monde capitaliste à dresser des parois étanches entre les banques et la bourse, pour éviter qu’une crise de l’une ne s’étende aux autres. Mais ces cloisons ont fondu dans l’enthousiasme de la « fin de l’histoire » et de la restauration conservatrice à l’œuvre depuis les années 80, survoltée par l’implosion du communisme réel en 1989. On voit bien que la plupart des banques sont aujourd’hui touchées par la « dérive » des produits du même nom, dont la valeur tend irrésistiblement vers zéro. Pour parler simplement : les banques, et les sociétés d’assurance, jouent en bourse. Comme en 1929, l’effondrement boursier s’étend aujourd’hui au secteur bancaire et des assurances, et menace des pans entiers de l’économie dite réelle.

C’est le retour d’une histoire qui n’aurait jamais dû se répéter, et la preuve que l’économie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux financiers, aux grands patrons de tout poil, aux libéraux de tous les partis, aux économistes à collier. (7)
Pareillement, dans une démocratie qui ne se paie pas de mots, le pouvoir ne peut être confié à celui qui le brigue – qu’il le brigue est au contraire une raison de ne pas le lui donner. La charge du pouvoir doit être imposée à des gens qui n’en veulent pas, mais l’acceptent par souci du bien commun, par exemple parce que leur nom a été tiré au sort. On verrait alors l’économie devenir servante, ce qui était un souhait de Keynes, et le pouvoir changer de nature.

Où en sommes-nous ce deux octobre ? La crise est certainement historique. L’hypothèse qu’elle passe dans l’histoire comme la « crise de 2009 » et que nous n’en soyons qu’au déploiement de ses conditions initiales n’est pas incompatible avec les avertissements de Nouriel Roubini, de l’université Columbia à New York. Cet ancien conseiller du président Clinton a prévu chaque malheur de la planète Bourse depuis un et demi. Il redoute aujourd’hui une panique internationale qui emporterait le marché des prêts interbancaires à court terme, soit 1.000 milliards de dollars de liquidités prêtes à opter pour l’état gazeux ou solide, « illiquide ». Il qualifie la débâcle de systémique et d’une gravité sans précédent.
Si l’on peut dire que la crise des subprimes est une « anecdote » dans la mécanique en œuvre, c’est dans le sens qu’elle n’est en rien une cause de fond. Elle représente toutefois dans le réel une vraie terreur en son pays d’origine. Pour la low middle class dans un premier temps, pour tous les autres propriétaires moyens ensuite, elle ruine le credo libéral-libertarien, et surtout sa pratique, « ma maison, c’est ma pension », valides seulement si se confirme l’hypothèse d’une éternelle croissance de la valeur des maisons. À supposer que cette crise concerne environ 8 millions d’habitations, et si nous supposons à l’unité un prix moyen de 125.000 dollars, voilà 1.000 milliards de dollars pourris qui ont commencé de tomber en poussière. La dégradation de ces créances atteignant les contrats hypothécaires à la fin des (alléchantes) deux premières années de remboursement à taux fixe, on sait que cette vague initiale agira jusqu’à la mi-2009. Les conséquences dureront …un peu plus longtemps.

En attendant, les défenseurs du marché « nationalisent » les pertes, nous donnant un aperçu sur le rôle que ces amis du genre humain donnent réellement à l’État. On n’a pas fini de rigoler, comme m’écrit Jean Bricmont ! L’usage du mot « nationalisations » pour décrire le sauvetage des financiers sur fonds publics a d’ailleurs tout l’air d’une machine à empêcher de penser. …Vous avez déjà vu une « nationalisation » à 49% ? « Nous vous sauvons de vos propres erreurs, mais bien entendu vous restez maîtres de vos machines à siphonner les richesses.. » Les gouvernements du Benelux sont les auteurs de cette révolution copernicienne. Et les ministres affirmant que cette virile « augmentation de la capacité d’emprunt du gouvernement » n’entraînera « aucun frais pour le contribuable » (8) tentent de prolonger la farce. Certains diront à leur décharge que jusqu’à présent les électeurs se sont laissé télépigeonner comme des c…loches.

Mais la pédagogie « des marchés » pourrait les faire changer de conduite.

Guy Leboutte

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Où chercher son information dans cette tourmente ?

Il y a le blog réellement incontournable, « La pompe à phynance« , tenu par Frédéric Lordon sur le site du Monde Diplomatique: . Le Diplo papier et son site restent bien entendus des sources qui valent le détour.

Il y a Nouriel Roubini cité ci-dessus. Nous trouvons en français : « Retour du risque systémique» (30 septembre). Et son blog , en anglais évidemment.

On ne peut négliger les études édifiantes et toujours d’actualité de Robert Denis, le seul journaliste d’investigation à s’être penché sur Clearstream, caillassé du coup par plus de 60 procès en justice, qu’il a presque tous gagnés, mais qui l’ont moralement épuisé, et dont le dernier pourrait l’endetter pour trois générations. Il faut absolument se souvenir de lui, le lire et le soutenir. On découvre dans cette affaire un monde secret et dangereux, où même l’idyllique Grand-Duché du Luxembourg a ses barbouzes et des manières au besoin très peu catholiques à l’encontre de ceux qui s’en prennent à l’opacité de son réseau bancaire. Voici l’adresse du blog de Denis, volontairement muet depuis juin 2008: http://www.ladominationdumonde.blogspot.com. Et faites un tour, nom de Dieu, sur le site de son comité de soutien: http://lesoutien.blogspot.com.

Il y a encore les textes de Jacques Sapir, de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, comme « Sept jours qui ébranlèrent la finance ».

Et n’oublions pas les précieux portails de référencement, qui font un grand travail de tri et de récolte sur Internet, comme Contre Info, avec beaucoup de traductions de l’anglais, le français Rezo.net et le local de l’épreuve mouvements.be .

Notes

(1) Voir son site et un de ses vieux dessins politiques.
(2) Fonds souverains : actifs financiers détenus par des États. Ils représentant des fonds de pensions (Norvège), des réserve de change (Chine) ou les excédents issus de la production de matières premières, dont le pétrole, qui génère les deux tiers des montants gérés par ces fonds.
(3) La devise « In God we trust » , présente sur chacun des milliards de billets verts qui circulent sur la planète, appartient de plus en plus, dans le sens que les dominants savent lui donner, « In Gold we trust », …à la Chine.
(4) Jacques Sapir cite Shakespeare, « Bien que ce soit de la folie, cela ne manque pas de méthode », dans « Sept jours qui ébranlèrent la finance »
(5) Le mécanisme des subprimes titrisées : « Crise des « subprimes » : Si vous n’avez toujours rien compris… »
(6) Pierre Bourdieu écrivait dans Libération du 4 décembre 1986, sous le titre « À quand un lycée Bernard Tapie ? » : « Proposer en idéal l’entreprise et la concurrence, c’est installer le vide au coeur du système de valeurs. »
(7) Ma mémoire hésite ici entre « Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » de Kenneth E. Boulding, qui fut président de l’American Economic Association, et l’inoubliable « Les dinosaures ont vécu 150 millions d’années. Comment envisagez-vous une croissance équilibrée de 150 millions d’années ? »  de Friedrich Dürrenmatt.
(8) Phrase habillée par Benoît Cerexhe, ministre bruxellois de l’Économie et de l’Emploi.