Le journal Le Monde se lance-t-il dans la propagande de guerre?


Youtube 20 septembre 2014 – Document du ministère français des armées

 

Bonjour!

 

Il y a chez nous de la guerre dans l’air. La probabilité de rencontrer un terroriste en actes, bien qu’inférieure à celle de mourir en prenant une voiture ou un train, a cessé d’être nulle en Europe.
Ailleurs, l’air est plus chargé.

Bombardements-en-Syrie--JDD
Bombardement de la coalition contre Daech en Syrie, d’après le Journal du Dimanche. Ces photos sont très rares sur Internet, à part pour Kobané, tandis que foisonnent celles du matériel occidental, avions, bombes, navires, drones, et les captures d’écran de tir prises dans les postes de pilotage des chasseurs. Mais des vues depuis le terrain, où les bombes arrivent, il y en a très peu.

Qu’un vent mauvais fasse connaître des massacres de civils à des pays appartenant à l’Otan, que ces massacres ne soient plus un privilège des territoires où la même Organisation de l’Atlantique-Nord lâche ses bombes, est une surprise sans nom et un scandale inexplicable pour quelques cervelles, qui préfèrent en guise d’activité mentale ranimer les vieux démons de la propagande de guerre. Démons universels et fort anciens, mais est-ce une raison.
Il y a en la matière un indispensable petit livre à relire, celui d’Anne Morelli, écrit simplement et non sans humour: PRINCIPES ÉLÉMENTAIRES DE PROPAGANDE DE GUERRE – Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède, paru chez Aden en 2010.
Anne Morelli y relève dix grandes propositions que proclament très usuellement ceux qui appellent à la guerre:

1. Nous ne voulons pas la guerre.
2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre.
3. L’ennemi a le visage du diable.
4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités; si nous commettons des bavures, c’est involontairement.
6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.
7. Nous subissons très peu de pertes; les pertes de l’ennemi sont énormes.
8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause.
9. Notre cause a un caractère sacré.
10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres.

Or si divers médiasTuer-au-nom-de-la-paix-PLUS-Belgique peu regardants et trop regardés, sauf par les traîtres, illustrent déjà joyeusement ces préceptes, colportés aussi par plus d’un dirigeant politique, voici que le journal Le Monde s’y met à son tour, énonçant les points 1 et 2 au mépris de la vérité historique, par le clavier éditorialesque de son directeur Jérôme Fénoglio.

Voyons ça.
Mathias Delori, chercheur CNRS en science politique à Bordeaux, réagit à cette mauvaise nouvelle dans son blog:

J’ai été pris par un sentiment de stupeur à la lecture de l’éditorial du Monde de ce mercredi 27 juillet. Jérôme Fénoglio, le directeur du journal, a écrit : « Nous ne sommes pas frappés pour notre appartenance à la coalition qui combat l’EI en Irak et en Syrie : la France ne l’a rejointe qu’après avoir été attaquée ». Sommes-nous revenus aux pires heures du journalisme de guerre, à cette époque où les grands médias français appelaient « pacification » la guerre que la France menait en Algérie? On se situe en réalité au-délà de ce langage orwélien. Cette phrase – « La France n’a rejoint la coalition internationale contre Daech qu’après avoir été attaquée » – n’est pas une distorsion sémantique. Elle constitue un énoncé factuellement faux et politiquement irresponsable. 

1ère frappe française contre Daech 19 09 2014
Page d’introduction de la vidéo ci-dessus: la première frappe française contre Daech a eu lieu le 19 septembre 2014.

Est-il encore besoin de le rappeler ? Ce n’est pas Daech mais la France qui a commencé cette guerre. En septembre 2014, le président Hollande a décidé d’associer les forces françaises à la coalition internationale contre l’Etat Islamique initiée par les Etats-Unis un mois plus tôt. A ce moment-là, la France n’avait jamais fait l’objet de la moindre attaque de la part de cette organisation. Entre août 2014 et janvier 2015, la coalition internationale a réalisé 2117 frappes sur Raqqa et d’autres villes contrôlées par l’Etat Islamique. Ce dernier a riposté en janvier 2015. Nous nous trouvons, depuis, dans un phénomène classique d’escalade de la violence. Au total, 350 civils occidentaux sont morts en France, en Belgique, en Allemagne et aux Etats-Unis suite aux attentats revendiqués par l’Etat Islamique. D’après les estimations les plus basses (celle de l’ONG Every Casualty), 1513 civils irakiens et syriens sont morts sous les 14 111 bombes larguées par les avions de la coalition internationale dont la France est, depuis septembre 2014, le second pourvoyeur.

Le texte complet se trouve sur https://blogs.mediapart.fr/mathiasdelori, et les commentaires déposés par les lecteurs valent aussi un regard.

*

…Tandis qu’un trop large camp court aux discours guerriers, un spectre hante l’Europe: la traîtrise.
Par ailleurs, la guerre est un marché. Les lobbyistes s’agitent et les marges explosent, loin des taux négatifs.

 

*   *   *

Note
L’article de l’islamologue François Burgat que cite Mathias Delori se trouve ici sur Mediapart (et sur abonnement), et provisoirement ici en PDF sur Condroz belge.
S’agissant des attentats terroristes, François Burgat dit entre autres: « Toute approche qui ne permet pas de penser la part, que je considère comme déterminante, de la responsabilité des non-musulmans est vouée à l’échec.»
(P.S., 24 août 2016: ce texte fait son petit bonhomme de chemin, et je le découvre aussi en ligne sur http://iremam.cnrs.fr/IMG/pdf/article_639292.pdf.)

10 réflexions au sujet de « Le journal Le Monde se lance-t-il dans la propagande de guerre? »

  • 4 août 2016 à 12h23
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    Autres bruits de guerre, autre son de cloche dans l’éditorial du Monde diplomatique de ce mois d’août 2016 ci-dessous. La stratégie du choc ?

    Provocations atlantiques
    Les dirigeants des États européens membres de l’Alliance atlantique ont-ils voulu prendre exemple sur M. José Manuel Barroso, devenu lobbyiste pour Goldman Sachs après avoir présidé l’Union européenne ? Ont-ils, par conséquent, profité du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) pour préparer leur reconversion comme conseillers d’une société américaine d’armements ? Assurément absurde — enfin… on l’espère —, l’hypothèse est à peine plus effarante que la décision annoncée à l’issue de leur réunion de Varsovie, en juillet : le déploiement d’une nouvelle unité mobile de quatre mille hommes en Pologne ou dans l’un des États baltes. À portée de tir d’artillerie de Saint-Pétersbourg et du siège de la flotte russe en mer Baltique.
    On imagine déjà la rancœur des dirigeants russes quand l’OTAN, structure héritée de la guerre froide et qui aurait mérité de disparaître avec l’URSS (1), se réunit là même où, sous l’égide de l’Union soviétique, fut signé en mai 1955 le pacte de Varsovie. Pour ne rien arranger, le général américain Curtis Scaparrotti, nouveau commandant des forces de l’OTAN en Europe, a déclaré que la « structure de commandement » devrait être « assez agile pour que la transition se fasse naturellement entre la paix, la provocation et le conflit (2) ». Vous avez dit « provocation » ? Le président ukrainien Petro Porochenko, en guerre larvée avec la Russie, a été convié dans la capitale polonaise, alors que son pays n’appartient pas à l’OTAN.
    Il a pu y entendre le président des États-Unis rappeler son « ferme soutien aux efforts de l’Ukraine pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale face à l’agression russe ». Traduction : les sanctions occidentales contre Moscou seront maintenues « tant que la Russie n’aura pas pleinement rempli ses obligations découlant des accords de Minsk (3) ». Washington et ses alliés persistent donc à occulter le rôle des manœuvres ukrainiennes dans l’annexion de la Crimée par Moscou tout comme dans le non-respect des accords de Minsk.
    Pourquoi entretenir ainsi la tension entre les pays d’Europe et la Russie ? Cela permet à Washington de prévenir tout rapprochement entre eux. Et de s’assurer, au lendemain du « Brexit », que son allié le plus docile, le Royaume-Uni, demeurera étroitement associé au destin militaire du Vieux Continent. Berlin, qui vient d’accroître son budget militaire, estime de son côté que, « sans un changement de cap, la Russie représentera dans un avenir prévisible un défi pour la sécurité de notre continent (4) ». On est presque tenté d’appliquer une telle formule à l’OTAN…
    Les roulements de tambour de l’Alliance atlantique ont été recouverts par d’autres fracas. M. Barack Obama a dû écourter son séjour en Europe après l’assassinat de policiers à Dallas. Et, lors de son allocution du 14 juillet, quelques heures avant la tuerie de Nice, M. François Hollande a parlé du salaire de son coiffeur, mais n’a pas évoqué le sommet de Varsovie, à l’issue duquel la France venait de s’engager à contribuer au déploiement de troupes à la frontière de la Russie.

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  • 3 août 2016 à 22h29
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    Aussi …

    Après l’attentat à Nice, j’ai pensé à trois choses.

    Le suicide de Stephan Zweig et de son épouse dans une chambre au Brésil.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Stefan_Zweig

    A ma mère qui a survécu aux bombardements de la seconde guerre mondiale, à Liège en Belgique. S’il elle avait survécu au nazisme, je pourrais bien survivre au terrorisme.

    Au mouvement Dada enfin, qui proposait l’absurde et la dérision en réponse à la, déjà, stupidité humaine.

    « Paix » a été dessiné en grandes lettres sur la Promenade des Anglais. Chaque fois que je passe devant, j’ai un frisson. Et en plus petit, en dessous: « dans le monde ».
    Comme si ça avait été rajouté ensuite (un oubli?)

    Lire, c’est très drôle, La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Comme souvent tout est dans le titre, mais le bouquin en vaut la peine.

    https://www.google.fr/search?q=la+conjuration+des+imb%C3%A9ciles&oq=la+conjuration+des+imb%C3%A9ciles&aqs=chrome

    Bonne soirée!

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  • 3 août 2016 à 19h10
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    Bonjour Guy,
    Moi aussi je suis du Condroz belge. Bravo & merci pour ce blog.
    Les médias nous disent que « ces gens-là » sont des barbares, nous par contre en envoyant nos militaires tuer des femmes et des enfants civils dans des pays où on n’a absolument rien à faire si ce n’est démettre le pouvoir en place pour le remplacer par des pions à notre solde afin d’en piller les ressources (technique efficace éprouvée au Congo in tempore non suspecto), on perpétue des crimes propres. Étrangement tous ces barbares revendiquent leur crimes en représailles aux -je cite- «crimes perpétrés par la Coalition, qui bombarde et tue des hommes, femmes et enfants» en Syrie et en Irak. Si on essayait de commencer par retirer ces troupes? Des fois que ça marche mais ça personne n’y pense, on s’indigne, on se dit en guerre mais qui a commencé cette guerre?
    Puisqu’il est aussi question de recommandation, je recommande chaudement le discours de Michel Collon sur les médiamensonges.
    Et pour le reste, comme dit Julos:
    C’est la société qui est malade. Il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre par l’amour, l’amitié et la persuasion. Sans vous commander je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine. (Julos Beaucarne)

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    • 3 août 2016 à 20h12
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      Oui Célestin. Julos Baucarne du Brabant wallon est du même pays que notre Condroz belge.

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  • 3 août 2016 à 15h14
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    Hollande a bien remarqué que Sarkozy avait bénéficié de ses interventions en Lybie (infirmières Bulgares, Khadafi out, etc..) qui, au début, ont été jugées positives (dixit sondage). Ensuite, au Mali,le combat titanesque de notre Armée,avec Rafales et tout, contre 300 mimiles en camionnettes a été facilement et sans risques glorifié. Sondages toujours au top. Alors, on ne change pas une méthode qui gagne, à 6 mois d’une élection, hein! Les cameras sont prêtes? Irak et Syrie, nous voilà!!!

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  • 3 août 2016 à 15h13
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    La Guerre,
    Cette Ignominie humaine nous fait un gouffre au ventre.
    Une flèche qui va droit au cœur de la mère qui met au monde la beauté de la vie que la nature illumine du bien-être.
    Celui qui n’a pas pu recevoir cet amour, reste un étre écorché vif.
    Partageons la paix au quotidien pour effacer ces images monstrueuses,
    Merci la vie !

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  • 3 août 2016 à 15h05
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    Bonjour,
    Voici le 11ème commandement des patriotes amoureux de la guerre, selon Pierre Desproges:
    11. « L’ennemi est bête. Il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui. »

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  • 1 août 2016 à 15h37
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    Bonjour Guy,

    Je pense …
    Que quand j’étais môme il y a avait le Vietnam, la guerre du Vietnam.
    Guerre du Kosovo, du Liban, guerres dont on ne sait même pas qu’il y a eu guerre, ni où, ni pourquoi.

    Je dis ce matin au médecin qui me reçoit : il s’est passé quoi ici, un ouragan?
    C’est de son pays la France que je parle, je viens de lui dire comme à nombre de mes interlocuteurs français, que c’est la misère qui me choque le plus ici, me surprend chaque jour depuis que je suis ici. Il ne pipe mot, ne répond rien, je suppose qu’il sait.
    Difficile à cacher (la misère) puisque les gens vivent dehors pour cause de logement trop exigus sans doute, avec des enfants, en plus c’est les vacances.

    Il y a ce texte d’Abdelnnour Bidar auquel je pense beaucoup.
    Voir son édito plus bas du 16 juillet.
    http://abdennourbidar.fr/

    Les solutions on les connaît et ce que je sais c’est que les gens vont devoir faire très attention (encore plus qu' »avant »), à ce qu’ils font, pensent ou disent. Il n’ y en a pas beaucoup qui se rendent compte de ça. D’où la responsabilité de ceux dont c’est le cas.

    Sélectionner ses médias, lire, se renseigner, interroger l’histoire, en parler.
    Aux faiseurs de guerre et de misère, y compris à l’intérieur de nos frontières, ne plus trop faire attention. Si ces gens sont intelligents, ils l’emploient très mal leur intelligence, en tout cas à mes yeux, l’être (intelligent), ce n’ est certainement pas faire ce qu’ils proposent comme si c’ était normal, parce que ce ne l’est vraiment pas du tout. Oser penser tout haut, nos écrans sont trop silencieux.
    Le travail est immense, autant d’ailleurs, prendre son temps, mais le faire.

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