Bonjour!
Jean-Claude Marcourt, ministre socialiste de l’économie en Région wallonne et « poids lourd », dixit la presse, du PS liégeois, est triste.
Enfin, soyons exacts: il se dit triste.
Il se dit triste que l’on dénigre sa Région wallonne et sa région de Liège. Son coeur saigne, annonce-t-il d’entrée de jeu dans l’émission radio dont je rends compte ici (**), que des salariés de Nethys souffrent en raison des critiques omniprésentes faites à leur direction en ces journées noires.
Saisissant raccourci!
Jean-Claude Marcourt est une nounou. Vilipender un patron douteux rend malheureux ses employés, comme c’est triste!
Sa voix et ses accents sont doloristes. Il cite et citera Jésus, seule référence historique ou proto-historique dans cette émission de 41 minutes. Je ne sais pas qui sa protestation d’émotion au cuir durci de la politique professionnelle convainc encore, lui qui dîne plus souvent avec des financiers ou des entrepreneurs qu’avec des travailleurs ou des électeurs, comme c’est l’usage dans son parti socialiste et d’autres.
Il ne le dit pas, mais laisse entendre que les voix critiques, qui rendent les travailleurs de Publifin et compagnie si malheureux, sont les méchants de l’histoire. Formidable, non? Il en a des bons conseillers en communication, des excellents! Un peu usée, votre corde, les gars. Car c’est bel et bien un début de preuve d’impuissance, que d’en appeler à l’émotion dans une affaire politique, qui serait judiciaire dans quelques autres pays.
[Faisons ici une utile et petite digression sur l’usage de l’émotion.
Les manipulateurs manipulent toujours l’émotion. L’émotion, c’est tellement bon, n’a pas chanté Jacques Brel, qui en usait pourtant abondamment. Or une émotion peut être factice, elle peut servir d’écran à un affect plus profond, elle peut s’opposer à la pensée, elle peut être manipulée. Une émotion, « mouvement hors de », nous sort de la vie machinique, routinière, nous sort de l’ennui, nous fait nous sentir vivants, …et cela d’autant plus si nous sommes tristounets, réservés, rationnels, froids, efficaces.
(Hommes et femmes politiques usant de l’émotion dans leur soutien à François Fillon.)
Contrairement à une idée spontanée, l’émotion ressentie n’est pas une preuve thermométrique de la vérité humaine. Wilhelm Reich, psychanalyste maudit, communiste allemand anti-nazi, a étudié les émotions pendant de longues années et fondé sur elles une thérapie qui a été labélisée « bioénergie » aux États-Unis. Un de ses concepts-clé était en politique la peste émotionnelle, celle qu’on peut ressentir dans les rassemblements de masse, et pas qu’à Nuremberg, et aussi, pas qu’en compagnie.
En outre, l’émotion est quelque chose d’éminemment modelable, variable selon les cultures, dans le temps et dans l’espace, et même selon les classes sociales. Allez voir le sourire asiatique, la courtoisie japonaise, la réserve bourgeoise, la franchise française, allez voir …l’homme du Néanderthal! Pour les émotions de ce dernier, écoutez une intéressante émission de France-Culture avec la paléo-anthropologue Silvana Condemi, dont le moindre intérêt n’est pas de (bon, c’est du langage médiatico-lépreux ça, je reformule: ), dont un des grands intérêts est de mettre en perspective ce qu’est, pour nous et aujourd’hui, l’émotion. ( https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/tous-en-nous-quelque-chose-de-neandertal )
– Fin de la digression. ]
Jean-Claude Marcourt n’émet aucune critique contre les élites locales qui depuis des décennies donnent du blé à moudre à ces ‘mauvaises langues’ et, soyons sincères, à tout citoyen honnête, socialiste ou pas, de ces lieux.
Jean-Claude Marcourt concède à certain moment que des choses inacceptables ont eu lieu. Mais il ne concède rien d’autre, et il insiste que rien d’illégal n’a eu lieu. C’est merveilleux!
Il parle des règles qui sont respectées, et ne dit rien des valeurs que jadis, dans un passé fantasmé, ou un jour, dans un futur espéré, on accordait ou accordera à la politique. Il n’interroge pas les règles, surtout pas. Le respect de façade d’une légalité qui a des aspects formels, et aussi, n’oublions pas, sur mesure – car ceux qui font les lois sont ceux dont il s’agit -, ce respect pointilleux de façade est justement une des bases de l’ingénierie de la corruption ordinaire. Les tricheurs soignent les apparences, c’est évident!, pour eux, c’est vital. Et l’impunité, la banalité, leur font oublier une chose: le sens de la mesure.
Le discours selon lequel rien d’illégal n’a été commis (à la lettre ça se discute, mais dans l’esprit des lois, il n’y a pas photo), ce discours légaliste est constitutif d’un conservatisme, réactionnaire et affairiste, bien de notre temps. Chaque mot compte: conservatisme (on ne change rien), réactionnaire (le progrès humain, ce sera pour demain), affairiste (le fric, c’est chic), de notre temps (vu à la télé). Eux se prétendent tout le contraire: progressistes, visionnaires, dévoués, en avance. Toujours prêts à faire leurs propres louanges, car telle est une des bases de la politique professionnelle (où le discours plus que les actes assure la position sociale), il recourent à ce merveilleux mot trouvé dans une publicité pour les yaourts: proactif. Ben oui, les rédacteurs des emballages du lobby laitier et ceux des campagnes politiques sont les mêmes. (***)
Jean-Claude Jésus-Christ Marcourt se montre réaliste devant « le tsunami » dans l’opinion. Il reconnaît que l’on ne peut tenir d’autre discours que celui de la condamnation de l’affaire Publifin. Il le reconnaît. Condamne-t-il? Il n’a pas dit ça. Nous pourrions penser qu’il condamne, mais il n’a pas dit ça.
Il a dit qu’on en peut pas s’opposer à un tsunami dans l’opinion.
Il reconnaît le scandale, qui ne le scandalise pas. …Il se dit triste, vous comprenez?
…Dans un alphabet de communiquant calculateur, qui est celui de la manipulation et de l’impuissance émotionnelle (« je n’ai pas d’émotions, je calcule »), il se figure que se dire triste est un formidable signe d’audace et d’authenticité. Le dernier argument du politicien professionnel qui n’a pas d’argument rationnel.
Son référentiel est reptilien, mais pour nous les mammifères, les émotions sont chose ordinaire et quotidienne.
Eh bien, Jean-Claude, tu ne sauves pas grand chose.
Il n’y a pas que Publifin en cette merveilleuse terre de vacances wallonne – sans que cette déclaration préjuge quoi que ce soit des voisins. Ores, le gestionnaire wallon des réseaux de distribution de gaz et d’électricité, c’est 90 administrateurs… Une entité quelque part dans cette galaxie ne compte aucun salarié et une ou deux poignées d’administrateurs…
Soudain, je comprends leur grand oeuvre de progrès social, l’avenir glorieux de la démocratie réelle: bientôt, nous serons tous administrateurs!
Le parti de Jean-Claude Marcourt, dirigé depuis Mons par un certain Di Rupo, a décidé que les administrateurs de la nébuleuse Publifin démissionneraient ou seraient révoqués. Le parti, hein, pas la paraît-il puissante fédération liégeoise. Où se situe-t-il, lui, le plénipotentiaire économique local, dans cette prise de décision, et qu’en pense-t-il? …Motus!
En tout cas il assène: « C’est une révolution! »
Une « révolution » à l’eau tiède dans un mouchoir de poche, qui ne révolutionne que quelques rapports de forces occultes dans la particratie wallonne, en ce dossier pourri des intercommunales qui pose question depuis des décennies.
Une « révolution » qui n’est qu’un ajustement pleurnichard voulant se parer d’allures héroïques, alors qu’elle n’intervient que pour l’unique raison d’un émoi, d’un « tsunami » dans l’opinion, parce qu’un scandale fait la une et qu’il dure. Très proactifs, les politiciens!
Tout baigne.
Oui, cette déferlante révolutionnaire éthique et virile n’existe qu’en raison du scandale. Les acteurs de la gestion politique connaissent tous cette corruption « légale » de la pratique ordinaire. Tous se taisent en régime de croisière et dans le silence de la vie normale. Ils ne s’en préoccupent et ne se disent s’en préoccuper, que si l’affaire arrive à la connaissance du public. Tous? Reconnaissons qu’en l’occurrence un échevin local peut-être pas encore complètement professionnalisé a vendu la mèche. Il apparaît comme une exception, un chevalier blanc, ce qui montre que la culture ou le système sont en cause, autant ou plus que ses fantassins.
Et nous, les anonymes, ne pouvons que penser:
« Purée! Et tout ce que nous ne savons pas, alors? »
Que Nethys investisse dans un journal du sud de la France, cela pose question, Jésus-Christ Marcourt le reconnaît. Pour aussitôt le justifier par un galimatias sur l’économie des contenus numériques déterritorialisés.
« Qu’y suis-je pour dire que la gauche c’est untel ou untel? », répond en fin d’émission notre hiérarque de l’économie économique et de la politique politique réunies, après avoir laissé entendre une préférence à Hamon contre Valls, à un journaliste anxieux de le faire se prononcer sur Macron.
Merveille de modestie! Ou d’involontaire sincérité, car qui est-il en effet, pour dire ce qu’est la gauche? Je crains pour lui que pour l’auditeur lambda, la messe ne soit dite.
À la fin de l’épisode, Marcourt ne se prononcera pas sur Macron. Macron est protégé par les réalistes. Macron est du bon côté du manche, ne prenons pas de risque.
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(**) Radio Première Rtbf, podcast du « Le grand Oral » le 28 janvier 2017: « Jean-Claude Marcourt, vice-Président et Ministre des Gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie » (41 minutes). Fichier mp3 ici. (38 Mo)
(***) Une jeune femme découvre et décode les rapports entre la publicité et les choix politiques spontanés: « Mélenchon : pourquoi j’avais une mauvaise opinion de lui – médias et conditionnement », Les Choses au Claire, 12 minutes.
(****) Tout ce que François Gemenne a dit de factuel au journal de la Rtbf le 18 janvier est aujourd’hui et désormais connu comme étant exact: les tarifs excessifs de distribution de l’énergie par la filiale de Publifin ont permis à celle-ci de dégager des bénéfices, qui permettent à leur tout d’arroser les politiques et d’éponger les déficits de la filiale spectaculaire-marchande Voo.
Podcast ici et fichier mp4 là.
Note du 15 février: « Il n’y a pas que Publifin en cette merveilleuse terre de vacances wallonne – sans que cette déclaration préjuge quoi que ce soit des voisins. » Eh bien, ça n’a pas traîné. La Flandre vertueuse des vieux partis et de la NVA est entrée dans la tourmente!