Complainte du logement

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(En PDF)

C’est un type, il arrive tout seul.
Il n’est pas seul, il a une famille, il a des amis.
Mais dans cette histoire, il arrive tout seul.

C’est un arrivé:
il arrive.
Un arriviste, on ne sait pas.
Un arrivé, on sait.
Il a réussi.
Il a percé.
Il gagne de l’argent, chaque année.
C’est son métier.
Gagner de l’argent.

Il en gagne plus que pour ses besoins.
Manger dans de bons restaurants.
– Que parfois il finance.
Boire des vins pas donnés.
Payer des études à ses enfants.
Dans plusieurs pays.
Se vêtir, bien.
Se loger, bien.
Se chauffer, comme il faut.
Se déplacer, seul en deux tonnes.
Voyager, c’est un de ses besoins.
Prendre des vacances.
Un type normal, aux besoins normaux.

Il gagne assez d’argent pour tous ses besoins.
Il a des besoins connus, et quelques besoins secrets.
Un type normal.
Il gagne assez pour ses besoins.
Assez, et plus qu’assez.

Que faire du plus qu’assez?
Les économistes appellent le plus qu’assez, épargne.
Et chacun s’y reconnaît.
Car les économistes ont un langage universel.

Que faire du plus qu’assez?
Justement, c’est son métier, à ce type.
Dans cette histoire, ce type arrive tout seul.

On dit qu’il est écologiste.
Ça veut dire quoi?
Il est intelligent.
Il parie sur le double ou le triple vitrage.
Le simple vitrage, pour lui, c’est du passé,
c’est dépassé.
Ce type arrive tout seul.

Il arrive où, à la fin?
Il arrive dans un quartier,
un quartier qui n’a rien demandé,
un quartier avec des maisons.
Où les gens habitent leur maison.
Ou la louent.
Ou louent une partie de maison.
Un quartier à l’aise, normal, banal.
Où chacun aimerait se reconnaître.

Le type tout seul a un projet.
Il achète un terrain inoccupé.
Sauf par des arbres.
Et des mulots.
Il va virer les arbres.
Les mulots n’existent pas.
Il va construire un paquet de logements.
Beaux, massifs.
Isolés, massifs.
Écologiques, massifs.
À lui tout seul.

Les économistes valident, ils chantent, les constats suivants.
Le logement multiplie: l’argent du type seul.
Le logement multiplie: l’argent du type qui n’y loge pas.
Le logement multiplie: la dette du logé.
Le logement multiplie: l’argent du banquier du logé.

C’est con de loger dans un logement
qui est une spéculation.
Oui, le logement est une spéculation.
Il serait temps que les Belges cessent de réserver ce mot à un biscuit.
J’habite dans une spéculation, écologique.
J’habite dans une dette à trente ans, à double vitrage.
Le type seul habite ailleurs.

Normal, légal.
Chacun choisit.
Chacun est libre.

C’est une histoire banale.
La multiplication de l’argent.
Tout le monde connaît ça.
Tout le monde veut ça.
Écologistes ou pas.

 *

Dans cette fable d’abord intitulée, élections obligent, « L’écologie capitaliste, c’est toujours du capitalisme » , le terme écologiste vaut écologiste de gouvernement. La fable a été inspirée par l’information suivante, quasi inaudible de banalité en cette époque soumise à la machine à concentrer les richesses.
Laurent Minguet est un homme d’affaires liégeois prospère, considéré comme proche d’Ecolo. Sa fortune est adossée à la formidable réussite d’EVS, une des deux ou trois success stories de l’économie liégeoise des trente dernières années, qui vend dans le monde entier des caméras à ralenti et toute une gamme de techniques pour studios de télévision. EVS est sans concurrent au monde sur certains segments. Laurent Minguet n’est pas le créateur d’EVS, mais un de ses repreneurs lors de la dernière des faillites initiales. Depuis quelques années, il investit à gauche et à droite, notamment dans l’immobilier. Après un projet sur la colline proche de l’ancienne prison Saint-Léonard, qui a été refusé par l’administration communale suivant en cela l’avis des riverains, le voici dans un autre quartier de la ville pour des logements durables et thermo-efficaces. Deux permis de construire, le premier datant de 2011, ont été accordés par le ministre écologiste du territoire, mais annulés suite à des recours au conseil d’Etat. Un troisième permis vient d’être accordé. Les élections, c’est dimanche prochain.
L’info se trouve dans todayinliege.be: Quartier de la Chartreuse : Laurent Minguet vs riverains.

Une réflexion au sujet de « Complainte du logement »

  • 23 mai 2014 à 23h13
    Permalink

    Curieux… je viens d’emménager dans un complexe « écologique » pluraliste, jeunes, seniors, personnes à mobilité réduite, appartement adaptés, appartement protégés, censé être adapté à tous, ouvert à tous, aux seniors, au personnes à mobilité réduite, qui n’a quasiment d’écologique qu’une vision soit très artistico-conceptuelle des architectes ou économico-écologique court terme, mais strictement aucune vision pragmatique de la chose, ni sur le plan des accès, ni sur le plan des coûts que toutes les lacunes vont générer à moyen terme ou encore plus à long terme.

    Je ne peux pas m’étendre sur le sujet ici, mais le sujet est clairement grave.

    Alors votre post est un éclairage sur ce qui se passe aussi en Belgique et qui n’a guère l’air différent d’ailleurs : plus personne ne voit plus loin que le bout de son nez et même l’économie, dans ce contexte, est un leurre.

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