Inquiétante dérive de la doctrine du maintien de l’ordre et militarisation de la police en France

Photo francetvinfo.fr

 

Bonjour !

 

Condroz belge (CB) et theconversation.com (TC) vont en bateau.

 

Douce France   (TC)

En France, « patrie des droits de l’Homme » et « fille aînée de l’Église » :

L’armure, le pistolet, le gaz lacrymogène et des armes de guerre reconnues comme telles par l’État (fusils d’assaut, grenades de désencerclement [dont les GML2], et grenades LBD) deviennent peu à peu partie intégrante de l’équipement standard pour le maintien de l’ordre.

https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/les-jets-de-grenades-par-les-forces-de-lordre-font-a-nouveau-polemique-dans-les-manifestations-ed95e4ec-c947-11ed-b7b6-abe6ad8a6310
https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/09/police-un-deficit-de-formation-a-l-usage-des-fusils-d-assaut_6125349_3224.html (PDF)
https://www.midilibre.fr/2023/03/27/elle-fait-le-bruit-dun-avion-au-decollage-quest-ce-que-la-grenade-gm2l-si-decriee-par-les-manifestants-11092097.php
https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-le-lbd-reconnu-comme-arme-de-guerre-par-la-reglementation-internationale_3414301.html

L’inquiétante dérive de la violence du maintien de l’ordre en France nous enseigne que manifester dans ce pays revient à se mettre en danger, et un historique même succinct montre que ces pratiques s’accompagnent d’une évolution de la doctrine elle-même.
Nous trouvons ces éléments dans une intéressante et brève synthèse, riche en liens, que publie le site theconversation.com (TC) avec la sobriété universitaire propre à sa ligne éditoriale, signée par Bryan Muller, docteur en histoire contemporaine de l’université de Lorraine, sous le titre « La militarisation du maintien de l’ordre en France : vers une dérive autoritaire ? » (Les liens ici présents sont extraits de cet article de TC, sauf les deux notés CB.)

 

Déni   (CB)

Le président jupitérien s’était déjà signalé à l’attention des effarés en déclarant des violences policières que « ces mots n’ont pas de place en démocratie », à quoi il a été facile de répondre (Frédéric Lordon, cinglant), que c’est la chose, et non pas les mots, qui importe ici. Il a fallu six mois pour que l’expression, désormais courante, atteigne la grande presse lors du mouvement des gilets jaunes, qui a connu 353 blessés à la tête, 30 éborgnements de manifestants, quatre ou cinq mains arrachées (et un pied du côté policier), et la mort d’une femme de quatre-vingts ans à sa fenêtre au quatrième étage à Marseille, Zineb Redouane.
Des voix de droite* continuent cependant à nier cette caractérisation (« Il n’y a pas de violences policières en France »), tandis que d’autres veulent la limiter à des débordements individuels.
(* Pour ceux qui ont dormi depuis la première élection d’Emmanuel Macron, et pour les rêveurs de la première heure, la macronopathie, terme construit sur le modèle ganglionopathie, a depuis lors révélé à tous, sa nature profondément droitière et extrémiste.)

 

Sainte-Soline   (CB)

Ce 25 mars, 4.000 grenades (5.015 en fait, voir plus bas) ont été tirées en trois heures d’après notre universitaire de The Conversation, à Sainte-Soline, où l’on a compté des centaines de blessés parmi les manifestants (dont l’un est encore dans le coma aujourd’hui, avec le pronostic vital engagé), une centaine parmi les gendarmes, et des obstacles* ont été mis par les autorités à la venue des soins.
Si l’on en croit les officiels selon lesquels l’événement regroupait 6.000 manifestants (30.000 selon les organisateurs), au vu des 3.200 gendarmes mobiles présents sur place, cela nous fait un gendarme pour deux manifestants, un encadrement qui serait somptueux dans les crèches ou ailleurs.

Cependant, dans un article de Mediapart (ici en ligne, en PDF), où les dangers de la grenade GM2L y compris contre les policiers, sont bien spécifiés,

« On a vu des plaies délabrantes, avec des pertes de morceaux de chair. Il n’y a que les grenades explosives qui provoquent ça, indique Ian. Les autres projectiles, LBD et grenades de désencerclement [qui projettent des plots en caoutchouc], occasionnent des fractures, des hématomes, des traumas crâniens. »)

nous lisons aussi que

plus de 5 000 grenades lacrymogènes tirées en deux ou trois heures à Sainte-Soline, (…) à rapprocher des 11 000 grenades tirées en une semaine lors de l’évacuation de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes, en avril 2018

tandis que la gendarmerie a tenté de cacher l’usage des grenades GM2L:

Dans son rapport du 27 mars au ministre de l’intérieur, le patron de la gendarmerie, Christian Rodriguez, a fait disparaître ni plus ni moins l’utilisation de la grenade GM2L du « bilan des opérations d’ordre public à Sainte-Soline ». Le général Rodriguez fait état de « 5 015 grenades lacrymogènes tirées », « ainsi que [de] 89 grenades de désencerclement GENL », de « 40 dispositifs déflagrants ASSR [le nom est ASSD] » et de « 81 tirs de LBD ». Or, dans un document rédigé le lendemain des faits – et dévoilé par France Inter –, la Sous-Direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), le service de renseignement de la gendarmerie, mentionne explicitement l’utilisation de GM2L.

En face, certains manifestants étaient lourdement armés (sic):

Le dimanche, la lieutenante-colonelle Nassima Djebli, porte-parole de la gendarmerie, évoquait, sur le plateau de BFM-TV, les « armes saisies » sur les « opposants radicaux », soit, très précisément, « 62 couteaux, 67 boules de pétanque, 13 haches et hachettes, 7 artifices, 5 matraques et battes de baseball… »
(Le Monde
)

La sobriété éditoriale et académique est en défaut, et un enfant verrait qui sont les méchants, comme en atteste aussi les nombre des blessés dans chaque camp.

…Mais ici l’État français protège une politique de l’eau délétère, inégalitaire et sans avenir, autrement plus importante à ses yeux, quand la sécheresse en février de cette année était déjà comparable à celle des mois de juin des années antérieures.

Ajoutons que Le Monde vient de publier une enquête vidéo montrant que la blessure peut-être mortelle du manifestant antibassine Serge Duteuil-Graziani,  toujours dans le coma le 7 avril, a été causée par un tir non réglementaire de grenade (PDF, vidéo).
L’usage non réglementaire de ces grenades (tir tendu pour les GM2L comme ce fut le cas contre Serge Duteuil-Graziani, tir à hauteur de tête pour d’autres grenades, non respect de la distance minimale d’emploi de certaines grenades, non proportionnalité, absence de gradation, …) est malheureusement fréquent, et relève du volet hiérarchie absente de cet article d’Europe 1, auquel manque impunité des forces de l’ordre : « Formation insuffisante, hiérarchie absente, déni des violences : ces maux qui minent la police ».

* Les obstacles à la venue des soins sont attestés par l’article « Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir » du Monde, donnant une transcription  écrite et claire d’échanges téléphoniques entre médecin et avocate aux côtés d’un blessé gravement atteint, et le SAMU (PDF), tandis que Mediapart a mis en ligne un extrait de ces enregistrements, sonore donc, dans son article « Blocage des secours à Sainte-Soline : un enregistrement enfonce les autorités » (PDF pour le texte très complet). Voici l’enregistrement des extraits sonores (4 minutes) :

 

À l’international   (TC)

La presse internationale (New York Times, Washington Post, The Guardian, Le Soir, …), le rapporteur spécial des Nations-Unies, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont alerté sur les évolutions françaises, tandis que des manifestations spontanées ont eu lieu en soutien au mouvement social en France et contre les violences policières devant les ambassades de plusieurs pays d’Amérique latine. (Myeurop.info : « Violences policières : l’image de la France atteinte à l’étranger »)

Collecte pour les blessé-es
suite à la manifestation de Sainte-Soline

par ON N’A QU’UN VISAGE

Fin de ce billet   (CB)https://www.helloasso.com/associations/on-n-a-qu-un-visage/collectes/collecte-pour-les-blesse-es-suite-a-la-manifestation-de-sainte-soline

Nous lisons à la fin de l’article de Bryan Muller ces mots d’un préfet de police:

Comme le rappelait Maurice Grimaud en mai 1968, « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ».

…Temps révolu.
…Temps révolu n’est pas révolution.

Et fin de la valse des liens, digne d’un meilleur objet.
La promenade en bateau se termine à l’avantage de l’outsider Mediapart.

Bonne lecture !     (…Les Québécois parlent de butinage.)

 

Guy

 

*    *    *

 

Bonus :

Désintox – Arte : Oui, les forces de police françaises possèdent bien des grenades explosives
Publié le 28/11/2018 10:26

Lors d’une conférence à l’université de Louvain, en Belgique, Emmanuel Macron est interpellé par un étudiant : « Pourquoi vous êtes le seul pays qui utilise des grenades contre sa propre population ? »
Sans détour, Emmanuel Macron lui répond qu’il dit « n’importe quoi ».
En fait, pas tant que ça.
S’il est vrai que plusieurs polices européennes utilisent des grenades lacrymogènes, il n’y a qu’en France que les forces de l’ordre sont équipées de grenades explosives.
Ce sont même les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales qui l’écrivent dans un rapport commun.
L’IGPN et l’IGGN notent que la France est la «seule nation d’Europe à utiliser des  munitions explosives en opération de maintien de l’ordre». Elles constituent «le dernier stade avant les armes à feu.»
[(…) Fin de l’article :]
La police française utilise donc bien des grenades explosives contre sa propre population.

Article complet ici.

2 réflexions au sujet de « Inquiétante dérive de la doctrine du maintien de l’ordre et militarisation de la police en France »

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