Fin de mois, fin du monde, Murray Bookchin

Bonjour!

Ceci est une réponse à Paul Jorion sur son blog que je suis depuis 2007. Deux questions y son abordées. Un pays seul peut-il agir? Et surtout, quel lien faire en « fin du mois » et « fin du monde »?

Cher Paul,

Il y a beaucoup de choses dans votre billet, et j’ai deux observations.

D’abord, je m’inscris totalement en faux qu’un pays, aussi petit soit-il, ne peut prendre des mesures seul. Surtout si ce pays est riche, c’est à dire constitue un marché jamais négligeable pour les puissances financières et économiques, qui n’en ont jamais assez, des marchés. Ce serait aussi une force d’exemple et un soutien réel à tous ceux qui luttent où qu’ils soient, et un appui inévitable à l’imposition de mesures équivalentes ailleurs.
L’obligation de n’agir qu’à un niveau transnational, soit européen soit mondial, est clairement un argument qui produit de la passivité et un report à plus tard, sinon à jamais. Qu’un homme comme Jacques Attali soit un ardent partisan d’un gouvernement mondial à ses heures en dit assez sur l’effectivité de cette pseudo-recommandation. J’attends le niveau interplanétaire.

Deuxièmement, s’agissant des « fins de mois », je vous engage à suivre votre cœur, votre empathie, et vous avez montré à l’envi que vous en avez. Ces gens des fins de mois, connus comme mouvement social sous le label « gilets jaunes » en France, ailleurs encore aussi invisibles dans les médias que nombreux, sont des citoyens exemplaires, en ce sens qu’ils ne s’épargnent aucun effort pour se construire une vie digne et satisfaisante, mais que les choses étant ce qu’elles sont, ils ne connaissent que l’humiliation devant leur frigo vide le 20 du mois et devant leurs enfants qu’ils ne peuvent élever à hauteur de tout ce qu’un enfant mérite, où qu’il soit. On a vu leurs budgets mensuels sur tous les plateaux et c’est un désastre. Cela ne porte qu’un nom, c’est la souffrance sociale, et c’est un crève-coeur. Jamais dans l’histoire humaine on n’a vu de sociétés aussi riches sur le plan matériel, et elles produisent ça !
Supprimons la souffrance sociale, et il n’y a plus d’extrême-droite nulle part. On se plaint des grèves ça et là, par exemple dans mon pays celle des aiguilleurs du ciel, encore loin j’espère de l’état de « gilet jaune », et aucun agent souffrant des conséquences fâcheuses de ce mouvement ne pense à dire: « Payez-les correctement, assurez-leur des conditions de travail décentes, et nous ne souffrirons plus de ces mouvements sociaux. » C’est tellement simple ! Mais non. Ce ne sont que déclarations de prises en « otage », appels à la résignation et actions en justice, et c’est désespérant.
Les sociologues ont été obligés de créer, d’abord aux Etats-Unis, ensuite partout dans le monde riche, la catégorie des « travailleurs pauvres ». Celles-ci et ceux-ci travaillent à temps plein, satisfaisant donc un article cardinal de la propagande contemporaine, et pour récompense ils restent pauvres, humiliés, malheureux, n’ayant souvent qu’un logement indigne, et parfois pas de logement du tout.
La fin de mois de cette part énorme de nos concitoyens n’est pas une formule, c’est une tragédie. Et si en tant qu’humains ou frères et sœurs humaines nous disposons de cette qualité d’empathie partagée avec d’autres espèces animales, nous nous devons de placer cette question de justice sociale, de dignité dans l’égalité, en priorité de toutes nos volontés, de toutes nos revendications. Aucune préconisation politique au sens vrai du mot ne peut être définie sans être liée au corps, dans l’ADN, à un fort et réel souci de réponse à l’inégalité économique et symbolique.

Pour en appeler à mon tour à quelques livres, l’auteur qui a le mieux lié comme consubstantiels les rapports sociaux et les rapports à la nature est à ma connaissance Murray Boockchin. Car dans sa vision, une réponse humainement cohérente aux défis environnementaux et climatique ne se conçoit pas sans une radicale réorganisation des rapports sociétaux entre les humains eux-mêmes.
Bookchin ou un autre, c’est ce qu’il nous faut : une pensée qui lie indissolublement les rapports des humains entre eux et à la nature. Il s’agit aujourd’hui d’être autre chose qu’une seule espèce terrienne mettant en péril immédiat un million d’autres espèces, et se mettant par surcroit et de la sorte elle-même suicidairement en danger.

En français, Qu’est-ce que l’écologie sociale est une bonne et courte introduction à la pensée incontournable de Murray Bookchin.

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