(Pour les pressés, le creux du propos tient dans le point 2.
J’ai commis ce lundi un billet où j’ai dit que je ne voterais pas PTB mais que je noircirais pour chacun des trois scrutins les cases de la liste PTB-go. Tout le monde n’a pas perçu la nuance, c’est bien normal. Notre temps à tous est compté.
Certaines réactions à ce billet, non qu’elles en fassent le souhait, me poussent à écrire le texte ci-dessous, qui est un appel à voter pour cette liste. J’attire donc l’attention du lecteur sur la nuance qui sépare ‘dire comment je vais voter’ et ‘appeler à voter’.)
*
La liberté d’expression est sacrée, nous sommes à peu près tous d’accord sur ce point.
La liberté d’expression n’a de sens, par définition, que si on la reconnaît à ses contradicteurs, à ses adversaires, aux amis qui se trompent, aux adversaires même de cette liberté. (Il y en a qui l’oublient, comme Manuel Valls qui, en le censurant, assure un supplément de succès à Dieudonné. Dans le cas Valls, « oubli » est façon de dire.)
Voici donc, pour ceux que je vais irriter, un petit test pour mesurer leur degré pratique d’adhésion à la liberté d’expression.
1. Voter le 25 mai. Pourquoi ?
Quand mon cerveau est disponible, plus ou moins librement, pas au profit de Coca-Cola[1] ni emporté par des émotions ou des intérêts personnels :
Les élections apparaissent comme une mascarade obéissant à des mécanismes de meute et de pouvoir, aujourd’hui relayés et amplifiés par l’« odieux visuel »[2]. Propagande de guerre aux vaincus, légende dorée des gagnants, odes à la consommation, novlangue de la « gouvernance » marchande sont au menu quotidien, que dis-je, pluri-quotidien : dans cette misère du concept, le matraquage est indispensable.
Le social est un acquis du passé, soumis à la casse et aligné, dans une spirale dont on ne voit pas la fin, sur le concurrent moins-disant. Il n’y a aucun projet d’extension des droits socio-économiques. La pente suivie est celle du durcissement, le recul des normes du droit du travail, la montée des inégalités, la culture des privilèges et des passe-droits, le choix de l’ordre contre la justice, l’abâtardissement de la politique en gestion. La course en avant présente en collatéral et en butoir physique, une mise en péril de l’espèce dans son environnement naturel.
Le système électoral est au service de ce régime-là. Sa fonction, limiter l’expression des opinions à un scrutin tous les quatre ou cinq ans et la faire patienter d’une élection à l’autre, a fait long feu.
Quand mon cerveau exerce librement ses facultés, il apparaît que les élections ne sont jamais le moteur de changements significatifs, qu’elles sont tout au plus le reflet ou la traduction de mouvements profonds, extérieurs à la fiction parlementariste.
Mon cerveau quand il est disponible me dit aussi que ma voix individuelle, donnée ou non à quiconque ou à personne, ne change pas le résultat.
…Voter n’est pas un acte rationnel.
Les gens qui votent n’exercent leur raison que secondairement, ou pas du tout.
Quand la société ronronne, qu’elle vit et se reproduit dans l’anesthésie, mon cerveau est maître, et il me dit que mon vote n’a aucune importance : je ne vote pas. Si j’oublie mon cerveau, car j’ai un cœur et des illusions, je vote. Dans l’un et l’autre cas, par hypothèse rien ne se passe : c’est le ronron, le glacis de la normalité.
Mais.
Parfois les impasses s’approchent. L’injustice étend ses ravages, des masques tombent. La souffrance monte, les conflits s’affirment. La société commence d’être mise à nu, les consciences se réveillent. Des forces qui nous dépassent se mettent en branle, en des mouvements où il fait bon s’inscrire. Nos émotions sont mobilisées et la raison se met au service des affects. Voter reste une tromperie, mais faire reculer les trompeurs, selon leurs propres règles, devient une carte à jouer, dans la colère et la joie sombre de la détermination. Voter reste un acte dérisoire, mais on ne calcule pas, on participe. Voter ne sert à rien, mais la peur, sans nécessairement changer de camp, peut atteindre les larbins de l’oligarchie.
Aujourd’hui, notre cerveau nous dit : nous en sommes là.
Notre peau et nos tripes le savent.
Si cette perception est exacte, elle doit nécessairement se vérifier dans l’offre électorale, aussi insatisfaisante soit-elle.
« On a les boules », et on n’est pas seuls à les avoir. On va voter, là, avec tout notre cerveau. Et on va voir ce qu’on va voir.
2. Voter le 25 mai. Pour qui, contre qui ?
L’offre électorale confirme-t-elle cette perception de la scène sociale ?
Certainement !
Les petits partis se multiplient, surtout aux extrémités de l’axe gauche-droite, parfois au milieu ou au-dessus (du sol).
Ecolo, compromis au pouvoir depuis belle lurette, a mangé certaines de ses importantes promesses initiales : le refus de la personnalisation, le refus des centres fermés, la limitation du cumul des mandats dans le temps. Il réduit son action à une intégration de la contrainte environnementale dans le système en place. D’épuration en épuration de ses minorités internes, il a enflé en revanche d’un nombre appréciable de professionnels jeunes et moins jeunes aux dents longues et de politiciens également professionnels. Son écologie a tous les défauts de l’écologie capitaliste. Son action ne satisfait ni l’indignation – malgré certains de ses agités –, ni la raison – malgré certains de ses raisonneurs.
Un petit parti joue à l’émergent, c’est un des plus anciens des petits, le PTB. Quelques vraiment petits, trotskystes et autres, ainsi que des personnalités extérieures, le rejoignent pour former des listes dites PTB-go, avec « go » comme gauche ouverte, et le font savoir. Certains pensent que c’est « go » comme « gueule ouverte » – pour mieux dévorer. Mais que l’ouverture du PTB cache ou non de sombres intentions, n’est pas à mon avis la question du jour. La question, qui est un fait, c’est que le PTB a su faire entendre comme personne et jusque dans les médias un discours anti-capitaliste, non sans défauts mais salutaire, et que, bien avant déjà son jeu de go, il a commencé de représenter un vote protestaire qui ne soit pas d’extrême-droite en milieu populaire – où il est, à cette échelle, largement le seul. Dans les bastions socialistes de Herstal et Seraing, il est devenu le deuxième parti. Un mouvement se dessine autour de lui, et tout montre que sa progression va être l’événement du scrutin.
Un puissant appareil recrute pour le PTB : c’est le PS. On a entendu le ministre Marcourt vilipender le PTB au-delà de toute raison. Le PTB lui fait perdre la boule, c’est un signe et ça donne envie. À Seraing, la municipalité PS a bidouillé un règlement communal sur mesure pour empêcher le PTB de coller des affiches. Bravo, Mathot fils Mathot bis, tu rejoins ici la grandeur de Manuel Valls et comme lui tu recrutes pour ton adversaire.
Les initiatives naissantes ou microscopiques n’ont pas, ou pas encore, atteint une taille critique qui fasse événement dans le spectacle médiatique ou qui inquiète le PS. Or c’est à ce jeu qu’elles jouent, et on leur souhaite de réussir, avec toutes les réserves qui valent aussi pour le PTB.
Inquiéter le PS, ça, c’est un bon thermomètre. Réduire la voilure du PS, et créer une panique du recrutement dans son armée de cabinettards et de pistonnés, des guerres internes, une fissuration de ses certitudes gonflées au cumul liquide, un ressaisissement d’une partie de son électorat – rêvons un instant : un ressaisissement de certains de ses élus (bon, c’est de l’humour) –, et y arriver par la gauche, ça, c’est une bonne action, à laquelle tout le monde gagne.
Et que ça plaise ou non, ça se joue, le 25 mai, sur, avec et autour de la liste PTB-go.
Le vote utile, c’est celui-là.
S’il faut voter, cette fois-ci il faut voter PTB-go.
3. Voter le 25 mai. Et après ?
Les élections, ce n’est pas la fin du monde, ni le début d’un autre. Celles du 25 sont un épisode.
Il y a en gestation dans ce scrutin un seul événement qui me paraisse intéressant, auquel je me fais une joie de participer, et j’y convie ceux qui me lisent. Je me réjouis des têtes longues et des acrobaties de langage que les professionnels de la représentation vont nous servir dès le soir du 25, coincés dans leur obligation systémique de pavaner. Leur logiciel va hoqueter ! Autant prévenir les erreurs de lecture : je ne donne aucun blanc-seing à la boîte noire qu’est le PTB, il me semble que j’ai été clair sur ce point. (Voilà une phrase tout en lumière !)
Il n’y aura plus d’élections en Belgique pendant quatre ans, sauf crash parlementaire ou comme seule issue à une crise de la formation du gouvernement fédéral. La scène sociale va chauffer et sur-chauffer. Une crise financière qui fera oublier celle de 2008 paraît inévitable puisque rien de significatif n’a été amendé en la matière, sauf que s’ajoute à la prédation financière inchangée une situation monétaire explosive en zone euro et un endettement irresponsable des états qui ont repris la facture des banques sans contrepartie : cette méga-crise financière à venir a une énorme probabilité de se produire dans les dits quatre ans [3]. Par ailleurs, une crise gravissime ingérable et mondialisée de santé publique est possible à tout instant [4], à la suite d’un événement environnemental ou autre. Les aléas géostratégiques de l’impasse énergétique et de la raréfaction des ressources non renouvelables sont lourds d’affrontements imprévisibles, et la guerre reste l’enfant chéri, travesti à l’usage du bon peuple, du commerce et des démocraties libérales – c’est un sujet en soi, un sujet-roi.
Le prochain combat citoyen d’envergure est le traité de libre-échange transatlantique qui est un scandale des scandales démocratiques, et une imposture quant à ses bénéfices supposés de croissance et d’emploi, dont la préparation se fait en secret. Le dossier est en train de mûrir, et nous serons bientôt tous sur le pont. Dans l’immédiat, il y a un magnifique et effrayant article dans Le Monde diplomatique, axé sur la sujétion des législations nationales aux intérêts des multinationales que le projet comporte.
À côté de ce grand bazar, les élections, c’est de la crotte de drosophile.
Si le PTB confirmait ses erreurs passées et son péché originel, ou les craintes, voire les cauchemars sinon les fantasmes, des uns et des autres, on s’en débarrassera : ce sera plus facile que de se débarrasser du PS ! Donc : pas de panique. Et ce sera plus facile, aussi, que de se débarrasser des illusions de la représentation, dont ni le PTB ni personne en lice dans les élections actuelles n’a commencé la critique en actes.
…Utiliser les élections comme l’outil d’un mouvement qui les récuse. Animer une campagne électorale anti-électoraliste. Faire barrage structurellement, dès l’œuf du projet politique, à la professionnalisation, à la personnalisation, aux séductions du pouvoir et de la carrière, aux pièges de l’efficacité, à l’autoritarisme et aux hiérarchies. Détourner et morceler les mandats. Socialiser les voitures de fonction. Transférer les jetons d’absence – ils sont nombreux ! Mettre l’économie, la finance, l’expertise, à leur vraie place de servantes, comme disait Keynes de la première. La liste est longue.
Et ceci est une autre histoire !
[1] Selon la belle phrase, qu’il doit se mordre les doigts d’avoir écrite, et qu’il a essayé par la suite de relativiser, de Patrick Le Lay, patron de TF1, révélant que les vrais clients des chaînes de télévision sont les annonceurs avec leurs budgets publicitaires, dont Coca-Cola est ici l’emblème : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »
[2] Expression due à l’humoriste québecois Sol.
[3] Personnellement, je privilégie pour m’informer de la situation financière : au jour le jour, le portail rezo.net et le site de Paul Jorion, et, quand il s’exprime, Frédéric Lordon, ici et ailleurs..
[4] “Experts I’ve interviewed over the past six years generally agree that such a Next Big One is not only possible but probable. They agree that it will almost certainly be a zoonotic disease — one that emerges from wildlife — and that the causal agent will most likely be a virus” (Les experts que j’ai interviewés au cours des six dernières années sont généralement d’accord qu’un tel prochain Big One [par analogie avec la désignation américaine de ‘tremblement de terre dévastateur’] n’est pas seulement possible, mais probable. Ils conviennent qu’il sera presque certainement une zoonose [maladie transmissible des animaux vertébrés à l’homme] – une qui trouverait son origine dans la vie sauvage – et que l’agent causal sera très probablement un virus). David Quammen, « The Next Pandemic: Why It Will Come from Wildlife » , Yale Environment 360.
(Note: ce commentaire a été proposé accompagné d’une adresse électronique factice.)
Un petit tour du fonctionnement interne du PTB selon ses statuts (http://statutsptb.blogspot.be/) et quelques autres sources…
Il y a 3 catégories de membres (« formes d’adhésion ») : membre consultatif, membre de groupe et militant. (art. 9)
Quand on devient membre en payant 20 € (ou 30 € pour un couple…), on n’est en réalité que « membre consultatif ». Les membres consultatifs n’ont qu’un droit, celui de « participer aux assemblées générales des membres et de participer à la décision sur les points qui y sont mis au vote » (art. 10.3). Ces AG « réunissent tous les membres d’une entreprise, d’une région ou d’un terrain de travail déterminés » et « ont lieu au moins deux fois par an » (art. 14). Il ne semble pas nécessaire d’accepter les statuts du parti pour être membre consultatif. On ne les reçoit d’ailleurs pas et ils ne sont pas disponibles sur le site du PTB, il faut les acheter (2 €). Il semble que ce soit à cette catégorie qu’appartiennent l’immense majorité des 8000 membres revendiqués par le PTB.
Pour devenir un « vrai membre du PTB », quelqu’un qui participe réellement à la vie du parti et a une possibilité de participer aux décisions (en dehors de donner son assentiment aux propositions amenées aux AG), il faut être au moins « membre de groupe ». Mais n’importe qui ne peut pas devenir « membre de groupe ». Pour le devenir, il faut être accepté par un groupe de base ET par « l’organe immédiatement supérieur » (art. 11.2). Ces groupes de bases ont chacun un président élu au moins tous les 2 ans ET confirmé par la direction provinciale (art. 16).
Enfin, il y a les « militants » qui forment le véritable noyau du parti (selon Pascal Delwit, autour de 400 personnes). Ceux-là doivent suivre le « programme de formation des militants » (art. 13.1.a) et donner une contribution financière conséquente (en gros, tous leurs revenus dépassant le salaire moyen d’un ouvrier qualifié). Et à nouveau être « approuvé par l’unité à laquelle appartient le militant et par l’organe immédiatement supérieur » (art 12.1).
À noter qu’un « membre de groupe de base » doit seulement « accepter que le parti fonctionne selon les statuts et les documents de congrès du parti » (art. 11.1.d) tandis que le militant doit « appliquer les statuts et les documents de congrès et les défendre du mieux qu’il peut » (art. 12.1.d).
« L’organe suprême du PTB est le Congrès national du parti. » (art. 21). Il est organisé au moins une fois tous les 5 ans (art. 21.1) (le dernier s’est terminé le 2 mars… 2008, le prochain est prévu pour se conclure en 2015 — 2 ans de retard). « Le Congrès national du parti est constitué de délégués de tous les groupes de base et noyaux de militants du parti, élus en proportion du nombre de membres de l’unité, ainsi que des membres sortants du Conseil national. » (art. 21.2). Donc, les « membres consultatifs », la majorité des membres n’y participent pas. C’est ce Congrès national qui fixe le programme et les statuts du parti et élit la direction, le Conseil national (art. 21.5).
Le Conseil national (26 membres actuellement dont seulement 4 n’ayant pas participé à la direction avant 2008 selon P. Delwit) est « l’organe du parti qui dirige le parti dans l’intervalle des congrès nationaux du parti » (art. 22) et se réunit « au moins une fois par trimestre » (art. 23). Entre 4 et 5 fois par an selon Lydie Neufcourt, membre du Bureau du parti (entretien avec P. Delwit).
Ce Conseil national élit, parmi ses membres, le président du parti (art. 24). Donc, pour résumer, le président du parti — pour l’instant le PTB n’en a connu que deux dans son histoire, Ludo Martens pendant 29 ans et Peter Mertens depuis 6 ans — est élu par le Conseil national, lui-même élu par le Congrès national, lui-même composé de délégués élus par les groupes de base et noyaux militants eux-mêmes composés seulement de 2 des 3 catégories de membres du PTB qui forment une minorité de membres qui eux-mêmes doivent être acceptés par un groupe ou un noyau et une instance supérieure. Vive la démocratie directe et participative…
Le Conseil national élit aussi un Bureau du parti et une Direction journalière. « Le Bureau du parti est responsable de la direction du parti dans l’intervalle de deux sessions du Conseil national » (art. 26.1). Il est actuellement composé de 8 personnes dont 7 hommes. D’après ce que j’en sais, il compte au moins 4 personnes qui étaient membres du parti à ses débuts et 2 qui sont des fils de membres des débuts (années ’70). Selon Lydie Neufcourt, il se réunit une fois par mois. La Direction journalière est actuellement composée de 4 personnes (P. Delwit).
Dans chaque province (+ Bruxelles), il y a un Conseil provincial élu par un Congrès provincial et une Direction journalière provinciale élue par ce Conseil provincial, le tout selon le même type de modalités qu’an niveau national (art. 28).
Au PTB, la « minorité se soumet à la majorité » (art. 30.5). On a le droit de maintenir une opinion personnelle mais « la minorité s’implique, avec la majorité, dans l’exécution de la décision » (art. 30.5). Les « fractions ou les groupes qui s’organisent sur base d’autres décisions ou d’autres plates-formes politiques ne sont pas autorisés. » (art. 30.7).
– Quel parti critique ouvertement le fait du prince et de son gouvernement qui se sont permis de revenir sur le vote des Français, non conforme aux souhaits des promoteurs de l’Europe prétendûment démocratique?
– Quel candidat sur les listes électorales européennes s’engage à ne pas soutenir une quelconque tentative future similaire, à défendre bec et ongle la démocratie en Europe et à engager la ou les formations incontournable(s) du citoyen à cet effet ?
Bref, tant que je n’aurai pas de réponse satisfaisante avec l’assurance (la promesse) et la garantie crédible que les règles du jeu seront respectées et les promesses tenues, je ne voterai pas non plus. A ce jour, je n’en ai trouvé nulle part.
(Entre l’ « odieux visuel », et les crottes de drosophiles, ce billet dédié à un sujet éminemment sérieux m’a bien fait rire.)