Une Allemagne s’il-vous-plaît, et sans modèle

 

 

François Mauriac, dont la rumeur disait qu’il n’aimait pas l’Allemagne, s’en défendait perfidement en affirmant, peu après la seconde guerre mondiale : « Mais si, j’aime l’Allemagne ! La preuve, c’est que je suis très heureux qu’il y en ait deux ! »

 

ENVOI

Disons une chose brutalement : le « modèle allemand » est celui d’un pays où la droite chrétienne est au pouvoir, et où malheureusement les pires réformes du marché du travail d’Europe, les lois Hartz, ont été le fait des sociaux-démocrates, qui sont ainsi un des partis de droite les plus cohérents d’Europe, avec le parti travailliste de Tony Blair. Le monde est devenu fou, je l’ai entendu hier dans la bouche d’un policier.

En soi, la notion de modèle est un argument à la logique douteuse, pour tout dire c’est une  notion logiquement intransposable, le modèle disparaissant quand il devient la norme.
Il n’y a ici, pas de souci désincarné ou désintéressé du progrès de l’espèce ou de la civilisation. En général, dans le tintamarre médiatique, la notion de modèle est une machine à faire suer la bête humaine.

Il y a donc d’emblée un problème sémantique. Modèle est inapproprié ! C’est le mot « régime » qui peuple la presse.
Puisqu’il y a « régime chinois », « régime russe » et « régime tchadien », pourquoi se priver de « régime allemand » ou de « régime français » ? Il y a même un régime belge.

Quelles seraient les vertus du régime allemand ?

L’Allemagne est riche et prospère.
L’Allemagne est nombreuse, avec des  riches très riches et des pauvres muets.
Ses voitures font rêver les acheteurs de voitures autant que les voleurs. Les mafieux du monde entier et les ministres de tous les pays qui ne produisent pas d’automobiles, roulent dans de coûteuses voitures allemandes.
Ses machines sont sur tous les chantiers et dans toutes les usines de la terre.

L’Allemagne est un pays propre et organisé, la paix sociale y règne. On n’y voit pas les jeunes manifester, on est loin du spectacle de la rue française ou canadienne. L’Allemagne est un pays où la jeunesse n’a pas d’histoire et ne fait pas d’histoires.

Il y a peu de grèves allemandes, en tout cas dans les médias. Les syndicats allemands ont un taux d’affiliation formidable, ils sont riches, possèdent des journaux, des bureaux juridiques et d’études, des radios, des agences de voyage et des banques.

Il n’est pas jusqu’au climat et aux tremblements de terre qui ne soient discrets en Allemagne.

L’Allemagne est la patrie de Karl Marx, né à Trèves, ville autour de laquelle la campagne est d’une propreté telle, aujourd’hui encore, qu’elle enseigne au voyageur de passage l’humanité profonde du désir de, excusez-moi, je cite un routard : l’envie de foutre la merde.

L’Allemagne a un grand passé. Elle a eu des grands savants, des grands philosophes et des grands musiciens, et quelques grands écrivains, dont pas un seul comique.

La gastronomie allemande est inexistante. Cependant, il y a une vraie culture de la vigne et  du vin en Allemagne, et des grands crus. Dans les bistrots spécialisés où on le boit debout, le café allemand répand un parfum à nul autre pareil.
La bière pils, inventée en Bohême, nom de la Tchéquie quand elle était allemande, ainsi que le cochon, qui représente l’absolu alimentaire de la chrétienté, n’ont pas de secrets pour les Allemands. La saucisse de Francfort peut s’appeler viennoise à Frankfurt am Main, et la meilleure francfort à mon goût est servie avec un petit pain et une moutarde, pas terrible, comme toujours, sur une assiette en carton, mais non verni, de sorte que son goût, oui, le goût du carton, contribue au résultat final.

L’Allemagne est peuplée de frères et sœurs humains, dont quelques allochtones et des Turcs, ces derniers faisant exploser de mille étoiles le cinéma et la littérature allemands. Les Rhénans ont un patois accumulant les racines latines dont on se moque à Hambourg ou Munich. Les Allemands sont honnêtes et joviaux, en tout cas les catholiques – les Allemands protestants sont nombreux aussi.

Dans toute l’Allemagne, les gens instruits adorent placer « à propos » en français dans leur conversation, mais seuls les habitants d’Aix-la-Chapelle, et ils en sont fiers, disent « merci » en français dans leur langue.

Les Allemandes, souvent grandes, sont souvent blondes.

Il y a plein d’autres choses à dire sur l’Allemagne.
En un mot comme en cent, l’Allemagne est formidable.
J’aime l’Allemagne, et d’ailleurs – ou parce que – j’y suis né, non, pas né, quasi né – ce qui est une autre histoire.

 *

 Retour au réel, nous sommes le 30 mai 2012.

Angela Merkel n’est pas l’Allemagne.

Angela Merkel est, provisoirement, la chancelière de droite de la République Fédérale Allemande.

 *

Haro sur le modèle allemand !

Premièrement, un « modèle » national est par essence inexportable, même pour une nation championne du commerce international comme l’Allemagne, car un régime socio-économique, de quelque pays qu’il soit, est largement tributaire de déterminations historiques et géostratégiques elles-mêmes intransposables.
La discipline des travailleurs pauvres et précaires en Allemagne, qui représentent un emploi sur trois, la discipline des salariés allemands en général, la discipline des chômeurs allemands relevant de l’assurance-chômage, et la discipline des chômeurs allemands virés de l’assurance-chômage, cette inexorable discipline allemande est inexportable en France et dans quelques autres pays, et c’est très bien ainsi.

Ensuite, il ne nous a pas échappé que dans l’Europe des marchands, comme dans le monde libéral en général, on ne tire argument du « modèle » des pays concurrents ou partenaires que dans le sens du moins-disant social, jamais dans l’autre sens.
C’est un processus qui, en soi, n’a pas de fin, mettant en péril toute notion de contrat social ou de démocratie, on le voit un peu partout, et jusqu’à l’absurde et à la cruauté dans l’exemple grec. C’est un processus qui n’aura de fin qu’imposée de l’extérieur, par un gouvernement réformateur lui-même en général poussé dans le dos par un mouvement social.
S’agissant du marché du travail, son « autorégulation », maître mot de la propagande et obsession des maîtres de la propagande, est une telle impossibilité ontologique, qu’aucun idéologue n’a encore osé s’en prévaloir (un peu de patience, ils oseront tout jusqu’au suicide.) Il n’empêche que sur ce marché comme sur les autres, l’idéal libéral reste bien sûr la dérégulation débridée ou « décomplexée ». En Allemagne, la réforme du marché du travail opérée par les sociaux‑démocrates avec l’appui de la droite chrétienne, principalement les lois Hartz, a pour argument officiel de « renforcer la lutte contre le chômage volontaire et améliorer le retour en activité des bénéficiaires d’allocations ». Car plus il y a crise, plus est grand le nombre de gens souhaitant chômer volontairement, n’est-ce pas? Moins il y a d’argent et de travail, plus les pauvres veulent chômer. C’est connu, et cela va de soi. Les salariés allemands ont donc accepté quatre heures de travail hebdomadaire supplémentaire sans augmentation de salaire, et des réductions drastiques des allocations de chômage, tant dans la durée que dans leurs montants. Ce rêve libéral, devenu réalité dans la nation où est né le romantisme, ferait exploser la scène sociale de la plupart des pays indisciplinés civilisés. Encore ici, de l’inexportable, rien que de l’inexportable.

Troisièmement, comme le concevait Keynes, l’excédent extérieur structurel est un dysfonctionnement, tout autant que le déficit chronique, et le grand économiste britannique proposait de le sanctionner. Dans une Union européenne qui réalise 60 pour cent de  l’excédent commercial allemand, la position exportatrice de l’un postule les importations des autres. Encore une fois, le recours à l’impératif vertueux allemand a pour principal objectif d’imposer aux classes travailleuses des restrictions acceptées là-bas, pas de produire un renversement inatteignable du rapport commercial. Les grands patrons allemands qui s’expriment dans la presse à propos des pays du sud de l’Europe, utilisent d’ailleurs le mot « discipline » et ne parlent pas de « vertu ». On se doute que ce n’est pas à leurs pairs étrangers, mais aux peuples, qu’ils demandent ce supplément de retenue…
L’aspect dysfonctionnel de l’excédent commercial allemand s’observe aussi par ses effets financiers: « en contrepartie des excédents commerciaux et de la faible croissance allemande, des flux de capitaux importants sont allés nourrir l’endettement excessif en Grèce, en Espagne ou en Irlande. » (Arnaud Lechevalier)

 

Bon. J’abrège et je résume, je condense en huit lignes des liens à quatre-vingts pages, j’en oublie quarante, je multiplie par zéro virgule trente-huit, j’oublie de citer mes sources et je reporte trois :
À la modération salariale (voilà une expression modérée! un euphémisme, quoi), qui facilite l’excédent commercial extérieur (d’accord? on vend plus à l’étranger si les salaires nationaux sont bas), s’ajoutent comme autres caractéristiques du régime allemand l’atonie du marché intérieur, qui en résulte (vous suivez? salaires bas égale peu de consommation), et, ce qui y contribue (à l’excédent), un
large délocalisation dans les pays d’Europe centrale (où les salaires sont un tiers des salaires belges: les entreprises allemandes concurrencent celles de l’UE, sur les marchés internationaux, avec des salaires slovaques, polonais et autres.) Merveilleux ! (Pour qui, l’excédent? Pour les poches de qui, et pour faire la morale à qui?)

Tels sont les traits au nom desquels le gouvernement et le patronat allemands, ainsi que des élites diverses dans divers pays, donnent des leçons de conduite en Union Européenne. Il est  difficile de voir dans ces caractéristiques autre chose qu’un concours de circonstances historiques, où la notion de projet conscient et construit a peu de place.
Mais comme d’habitude en capitalisme, les haut-parleurs de la parole conforme nous assènent que le plus prospère est aussi le plus intelligent, le plus sage, le plus méritant.
Un « modèle ».

D’une conversation radio, « Austérité et croissance »


Il y a des silences radio.
Réaction ci-dessous, à une, conversation radio.


Madame Cornil,

J’ai écouté en podcast, votre intéressante émission « samedi + » de ce jour, sur le thème « Austérité et croissance ».

Je dois vous dire qu’il y a une confusion permanente et lassante dans ce genre de conversations, à savoir l’attribution d’un sujet unique aux réalités sociales, mêlant en un tout indistinct le gouvernement, la population, les salariés, le patronat, les actionnaires et la finance, bref les différents groupes sociaux et intérêts qui se combattent d’une manière ou de l’autre pour le ciel des idées et pour le partage des richesses terrestres.

 

Par exemple, il a été dit que « les Islandais » ont refusé de payer des créanciers. Même monsieur Dupret, qui appartient à une gauche critique, n’a pas reformulé. En réalité, il faut dire et comprendre : « le contribuable islandais a refusé de payer la faillite des actionnaires bancaires privés ».  C’est très différent, et cette confusion de langage, qui n’est pas neutre, est omniprésente dans le débat !

Dire, comme entendu à votre émission, que « la banque centrale européenne a choisi d’être indépendante », doit me semble-t-il se comprendre comme ceci : « les gouvernements de la zone euro et la commission ont depuis trente ans organisé une indépendance totale de la BCE par rapport aux gouvernements nationaux et donc par rapport au suffrage universel, et coulé sa mission dans le bronze institutionnel d’un objectif prioritaire, la lutte contre l’inflation » ! (Vous vous souviendrez peut-être ne pas avoir été informée de cette évolution, ni a fortiori consultée, pas plus que moi dois-je le dire, ni quelques autres.)
Pourquoi cette priorité ? Il ne faut pas une longue enquête pour découvrir le groupe d’intérêt dont l’inflation est le cauchemar : …le financier.

Mais voilà, à tous les micros et dans la plupart des journaux, on appelle le financier un « investisseur », ce qui est un abus de langage féroce !
Les problèmes que nous cause la financiarisation de l’économie résident précisément dans ce fait que les excédents (qu’il ne faut pas appeler « épargne », ce qui est une autre et permanente distorsion sémantique) justement ne sont pas investis, c’est-à-dire consacrés à des activités productives de biens ou de services, mais placés ou joués dans la finance. La finance représente précisément, pour les détenteurs d’excédent, l’inintérêt et l’impossibilité de l’investissement (dans la production), entraînés par l’absence de débouchés que constitue la contraction de la part salariale. Oui!

 

Faire valoir que « les Grecs » souffriraient d’une éventuelle rupture d’avec l’euro, c’est oublier à quel point « ils », entendons les Grecs modestes, souffrent depuis cinq ans de récession allant jusqu’à la réduction des salaires pour ceux qui en ont encore, que le suicide en relation avec ce traitement de la crise y est quotidien, comme déjà plus ou moins en Italie, et que si les élections de juin provoquent un jour le retrait grec de l’euro, ce sera justement en raison d’une souffrance passée et actuelle insupportable. Peut-être connaissez-vous le blog Greek Crisis, http://greekcrisisnow.blogspot.fr/, tenu en français par l’historien et ethnologue Panagiotis Grigoriou.
Certains de vos interlocuteurs me font penser à ce politologue et historien belge qui vient de comprendre, « en raison » d’une incarcération de cinq jours, la nature du régime syrien, que l’exercice de sa profession d’intellectuel ne lui avait pas permis de percevoir en plusieurs années.

 

Etc.

 

En réalité la science économique n’existe pas.

J’ai étudié cette discipline pendant quatre ans à l’université, et je la tiens pour un discours de légitimation de l’injustice. Bien sûr, je n’ai pas trouvé ça tout seul. Quelques solides auteurs sont à mes côtés. Ainsi Frédéric Lordon, qui vient de le réaffirmer avec force dans son blog, sous le titre « Euro, terminus ? ». Il n’y a pas de science économique, dit-il, il y a une économie politique, il y a la politique, et cette dernière se caractérise en ce moment, en Grèce particulièrement, après l’Islande à sa façon, par l’irruption sur la scène de l’acteur que les pouvoirs veulent à tout prix tenir à l’écart : le peuple, le corps social, les gens d’en-bas, les pauvres.
À 90 ans, J.K. Galbraith n’a pu qu’intituler son testament d’économiste Les mensonges de l’économie, et à côté de quelques rares économistes hétérodoxes, l’un des commentateurs les plus pertinents de la situation actuelle n’est pas économiste, mais anthropologue, c’est le Belge Paul Jorion, dont je ne peux que vous recommander les ouvrages et le blog, qui est en soi un phénomène de l’Internet : http://www.pauljorion.com/blog/.

 

Vous aurez une illustration de ce que ces considérations, lectures et réflexions peuvent produire pour l’amateur que je suis, qui préférerait ne s’occuper que de son jardin, mais que l’indignation rattrape régulièrement. En cliquant, sur le blog où je suis en train de rassembler mes archives éparpillées sur le net ou dans des courriers électroniques, sur les tags « économistes » ou « finance ».

 

Bien à vous,

 

Guy Leboutte,
Liège

Pour achever DSK auprès de ceux qui ont encore quelques illusions
(+ 1 bonus! – Michel Rocard)

D’après le livre de John Kenneth GALBRAITH

 

Bonjour!

Sarkozy avait donné la preuve qu’un socialiste de gouvernement ne résiste pas à une proposition prestigieuse, même si elle émane d’un ennemi politique et implique de quitter son parti d’origine, comme on l’a vu avec Bernard Kouchner, Eric Besson ou Claude Allègre.
D’autres, comme Dominique Strauss-Kahn, Jacques Attali, Jack Lang, Michel Rocard, ont accepté des titres qui ne leur ont pas paru incompatibles avec la qualité de membre du PS français.
Un des pires a refusé, bien qu’à l’époque il fût très courtisé: Manuel Valls. Vous allez voir le tort qu’il va faire, comme ministre de l’intérieur et de l’immigration, au socialisme de gouvernement – qui le mérite bien -, comme à la démocratie – qui n’en demande pas tant. Lisez en attendant le savoureux « Vous avez aimé Claude Guéant ? Vous adorerez Manuel Valls
 » d’Alain Gresh, du Monde diplomatique.

S’agissant de Dominique Strauss-Kahn, voici un article bien intéressant, surtout pour ceux qui croient encore que le titre d’économiste a quelque chose à voir avec une compétence de type scientifique, au-dessus ou en-dehors des conflits sociaux pour l’appropriation de la richesse des nations. Un économiste dans la norme, c’est une espèce de fou, payé pour répéter d’innombrables contre-vérités maintes fois démontrées comme telles, mais utiles aux puissants. C’est un prélat de l’inégalité, un ennemi du genre humain, un tueur de peuple grec, un tueur de n’importe quel peuple « s’il le faut ».
Les économistes ne sont pas neutres dans la « guerre des classes », qu’ils nient, mais dont parlent des gens aussi différents que le milliardaire Warren Buffett
ou les sociologues Pinçon et Charlot.

Voici donc ci-dessous, comme à Harvard (dont Papandréou est diplômé), un étude de cas empruntée à la réalité: Dominique Strauss-Kahn économiste.

Bonne lecture!

 

Guy

 

Post scriptum:
…Et au passage, mais ici par pur amour de l’acte gratuit, car ses gesticulations ne trompent plus personne, et non sans lâcheté, vu qu’il lui reste à peu près dix-huit auditeurs éparpillés de par le monde, enterrons du même mouvement Michel Rocard.  Voici ce qu’il disait en mai 2011, en appui à la candidature à la présidence française de Dominique Strauss-Kahn:
« On peut penser, comme citoyen du monde, qu’il y aurait un intérêt à ce que Strauss-Kahn reste à Washington, parce que la mission n’est pas terminée.
Mais la résistance politique des banques est telle que les États-Unis craquent, que la Grande-Bretagne a mis un employé de la City comme Premier ministre, que Madame Merkel a peur, que le Japon se défile.
J’ai longtemps dit le contraire, mais je pense désormais, en citoyen français, qu’il vaut mieux rapatrier Strauss-Kahn, et qu’il puisse agir à travers l’écoute dont bénéficie encore la France sur la scène internationale. »

Cocorico! Ça est une fois au moins aussi pire que de l’économie – mais ça porte un autre nom.



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DSK côté face

G. Papandréou a été élu triomphalement en Octobre 2009. Il a contacté D. Strauss-Kahn en secret en Décembre 2009. Les deux hommes ont élaboré le Mémorandum I, divulgué en avril et rendu officiel le 3 Mai 2010.

Ce document contient des mesures, depuis appliquées, de baisse de salaires et retraites, augmentation d’impôts et taxes, suppression massive de postes de fonctionnaires, démolition du code du Travail, privatisations, … Les Grecs n’ont jamais connu une telle austérité ni pendant la dictature des colonels (1967-74), ni pendant l’occupation nazie.

Pour faire passer de telles mesures il fallait le soutien européen des élites (universitaires surtout). Sur conseil de DSK, le premier ministre Papandréou, début 2010, embauche comme conseiller Daniel Cohen [1] (de la Banque Lazard [2] et conseiller actuel de Hollande). On citera également d’autres élites rémunérées (tout travail mérite salaire !) de la social-démocratie européenne: Joakim Palme [3], Leif Pagrotsky [4], Tommaso Padoa-Schioppa [5], Lucas Papadémos [6], … et les Banques BNP, Deutsche Bank (Josef Ackermann [7]), HSBC. Mi-septembre 2010, le ministre Pamboukis (Droit, Paris 1) a rencontré à Paris Jacques Attali, accompagné de Cohen. On ignore le rôle d’Attali (et surtout son tarif) dans le « redressement » de l’économie grecque.

Le soutien européen des élites n’est pas suffisant. A Nice le 26 octobre 2011, le « moteur » Merkel-Sarkozy exige et obtient de Papandréou un gouvernement d’Union nationale composé du PS, de la droite et de l’extrême-droite sous la présidence de Lucas Papadémos, de la Banque Centrale Européenne [8].

Le poulain de Sarkozy au FMI a déclaré à son hagiographe Epsein que le jour de son arrestation le 14 mai 2011 il partait pour l’Allemagne rencontrer Mme Merkel afin de résoudre définitivement le problème grec, évoquant un plan « Comprehensive » ! [9] On connaît la suite. Le Memorandum II qui institutionnalise l’austérité et la perte de la souveraineté nationale jusqu’à 2021. Sarkozy, bénéficiant du pacte germano-français (les naïfs l’appellent le « moteur franco-allemand » !), a obtenu que 150 hauts fonctionnaires français iront en Grèce pour réorganiser l’administration (bâtie déjà sur le modèle … français !). Butin maigre par rapport à celui de Mme Merkel.

[1] Daniel Cohen de l’Ecole Normale, ne sort de son bureau que le mercredi. Le reste du temps s’occupe de sa recherche, de ses étudiants et de ses séminaires. Le mercredi donc il fait l’aller-retour Paris-Athènes dans la journée. On connaîtra le montant de sa prestation auprès de Papandréou après la chute du gouvernement PS-droite-extrême droite actuel. Son expérience va servir la France sous Hollande.

[2] Mathieu Pigasse est directeur général délégué de la banque Lazard, patron de Daniel Cohen, ex conseiller au cabinet DSK, proche de M. Valls. Il est co-propriétaire du Monde. Il était l’organisateur de la vente de Libération à Édouard de Rothschild. Son frère est directeur de la rédaction du magazine people Public (ça aide à voter comme il faut).

[3] Joakim Palme, sociologue, fils du premier ministre suédois Olof Palme, a été embauché (communiqué 19.10.2010) comme conseiller par Papandréou, ami de la famille. Il avait comme mission, dotée de 2,6 milliards d’euros, le développement de la Grèce et la baisse du chômage. Aucun rapport ou étude n’ont été rendus publics à ce jour. Le chômage est passé de 9% à 22%.

[4] Leif Pagrotsky, économiste, ex ministre suédois, banquier, membre du club Bilderberg, a été embauché (communiqué 2.5.2010) comme conseiller de Papandréou.

[5] Tommaso Padoa-Schioppa (MIT, ministre, Banque d’Italie, CEE, FMI, BCE, Notre Europe, …) fut conseiller de Papandréou jusqu’à sa mort en décembre 2010.

[6] Lucas Papadémos (MIT) du noyau central du personnel politique de la bourgeoisie internationale, banquier de première classe (vice-président BCE), membre de la Commission Trilatérale depuis 1998 et “ami de l’Amérique”. M. Papadémos est un des artisans du maquillage de la comptabilité grecque avec Goldman Sachs.

[7] Josef Ackermann est le président de la Deutsche Bank.Il a décerné à Georges Papandréou le prestigieux prix allemand Quadriga 2010 qui récompense « l’innovation, le renouvellement et l’esprit pionnier par des moyens politiques, économiques et culturels ». Ackermann est un ami de la famille Papandréou.

[8] Mme Royal est toujours vice-présidente de l’Internationale Socialiste, sous la présidence de Papandréou. Elle a soutenu le plan Papandréou, comme Aubry. Ce dernier maintient que la Grèce a été sauvée grâce à son plan. Le Parti Socialiste grec l’a écarté de la présidence du parti !

[9] Le plan « Comprehensive » du FMI-DSK n’a jamais existé. Les socialistes grecs ignorent son existence. Il s’agit probablement d’un nom de code comme « matériel » qui concerne les autres activités de DSK.

Le documentaire grec « Debtocracy »

 Affiche "Debtocracy"

« Debtocracy » est un documentaire d’une heure et quinze minutes, aux images efficaces et à la somptueuse bande-son. Il a été tourné en Grèce, où des dizaines de milliers de gens l’ont vu.
J’ai bien tenté d’y échapper, mais pas moyen. En voici une table des matières bien incomplète:

 

Comment se transmet la métaphore médicale de Papadopoulos le dictateur à Papandréou l’héritier, en passant par Dominique Strauss-Kahn et d’autres.
Comment de Dublin à Athènes la formule « On a tout dépensé ensemble » est brandie pour recouvrir « Ils ont vécu au-dessus de nos moyens » (Paul Jorion).
Comment la seule première année de remèdes du FMI fait exploser la pauvreté et le chômage, et affecte la santé publique.
Comment la justice grecque n’a pas été à la hauteur de l’affaire de corruption Siemens.
Comment le gouvernement de la vertu, pardon, le gouvernement allemand, a acquiescé à un premier train de mesures, sous conditions que les livraisons d’armement made in Deutschland se poursuivent.
Comment cela fait bondir Cohn-Bendit qui, en aimant protester contre l’immoralisme d’un capitalisme qu’il défend par ailleurs, s’assure pour l’éternité une niche de rebelle récompensé.
Comment définir une dette odieuse.
Comment l’Équateur a réalisé un audit de sa dette qui a conclu à l’illégitimité de celle-ci et comment Éric Toussaint et d’autres y ont travaillé pendant quatorze mois.
Comment l’Amérique de Bush itself  a décrété odieuse, sans dire le mot, la dette irakienne contractée sous Saddam Hussein, après d’autres cas historiques.
Comment Samir Amin, écartant d’un revers de la main la question « Les Grecs sont-ils paresseux? » au titre de racisme pur et simple, parle du reste.

*

Avec inévitablement des sujets non abordés, parmi lesquels la monétisation de la dette comme réponse à la crise du même nom, qui serait tout simplement la captation de la rente offerte par les USA et l’UE aux banques, avec suppression de l’intérêt sur la dette, à partir du moment où les banques centrales financeraient directement les États, à taux nul ou quasi nul.
Dans mon envoi précédent, Pierre Larrouturou en faisait une de ses principales propositions. Il oppose le 0,01% (si, un centième de pour-cent!) demandé par les EU aux banques « aidées »  et le 1% demandé par la Banque Centrale Européenne aux mêmes, lesquelles prêtent à leur tour à un taux entre 4 et 7 % aux États…
(Pour rappel, et pour  lever l’objection de l’obligation de modifier les traités européens, avec toutes les lenteurs et incertitudes que cela comporterait, Pierre Larrouturou ajoute que si le célèbre article 123 du traité de Lisbonne interdit cette mesure, la BCE peut prêter à la Banque Européenne d’Investissement, qui à son tour pourrait prêter aux Etats.)

*

Voici deux liens qui permettent de voir ce film en français sur Internet:

 

Pourquoi la crise de l’Euro ne sera pas résolue

Photo Reuters – John KOLESIDIS (Le Monde)

…ni celle de la dette, ni celle de la finance.
(Ni celles de la faim dans le monde, de l’environnement, du climat, de la santé publique…?)

La raison en est donnée dans les deux  premières minutes de cette vidéo de Paul Jorion, parue aujourd’hui sur son blog, au titre d’une apparente grandiloquence dans laquelle il ne faut voir qu’un trait de son humour favori:  « Le grand mystère des choses enfin révélé. »

Le reste, ce sont les détails, certes intéressants, voire passionnants, peut-être vitaux, mais attachons-nous ici à la cause de nos embêtements financiers, qui sont loin d’être théoriques, ainsi que nous pouvons l’observer en Grèce. Cette cause peut être décrite en trois mots: la concentration des richesses.

Il s’ensuit une grille d’analyse pratique très simple: tant que les plans gouvernementaux ne s’adressent pas à cette cause, ils n’auront aucun effet curatif.
Au prix d’une minute d’attention par jour, vous pourrez désormais vous faire une idée pertinente de l’actualité Sarko, Merkel, UE, FMI et consorts, libérer votre temps pour d’autres activités et choisir votre prochain  bulletin de vote ou de non-vote.

Cela dit, chacun se pose ou s’est posé la question: qu’est-ce qui empêche des professionnels instruits  de repérer une cause aussi voyante et massive, et d’y remédier?
La réponse tient en deux choses toutes simples et intimement liées: l’intérêt personnel et l’idéologie.
Oui, nos gouvernements, leurs conseillers, les économistes d’université (pour la plupart), sont la proie d’un biais idéologique absolu. (Les financiers, banquiers et affidés aussi, mais chez eux c’est normal et professionnel – il faudrait juste s’en souvenir et cesser de les inviter aux débats sur l’emploi ou l’enseignement par exemple.)
Encore une fois, voyez la Grèce: le remède imposé par la troïka, dont les émissaires en costume trois pièces  dînent avec le gouvernement grec à 300 euros le couvert, accroît le mal au lieu de le soulager. Mais ces gens-là, Monsieur, ces gens-là, ne peuvent envisager d’autre action que d’alourdir la potion qui tue.

Si vous avez lu ce courrier jusqu’ici, et si vous avez un peu de temps ou de curiosité, la suite de la vidéo de Paul Jorion pourrait vous intéresser. Elle présente la réflexion d’un homme qui, depuis des années, réfléchit , débat et écrit en liberté sur ces questions.
Vous ne courrez qu’un risque: sentir la confusion reculer et votre intelligence stimulée.

Bonne fin de journée !

Guy

PS: pour ceux qui ne me connaissent pas ou ne sont pas sûrs de me remettre, et tant que j’y suis à répandre des vidéos, en voici une autre où  l’on peut me voir à la minute 1’10. Il s’agit du Prix Première (2012) de la RTBF, pour lequel j’ai été retenu comme membre du jury.

 

Salauds de Grecs !

salauds_de_Grecs

Thessalonique, le 16 septembre. Un homme tente de s’immoler par le feu pour protester contre le gouvernement, les banques et les partis politiques. Photo AFP.

*

Qui n’a entendu, à propos de la crise grecque, des propos faisant écho à l’exclamation de Jean Gabin dans le film d’Autant-Lara, La traversée de Paris: « Salauds de pauvres ! » ?

La Grèce.

Il y a eu beaucoup de copies dans la presse bien-pensante européenne, qui décrivent les turpitudes « des » Grecs, utilement confondus en un sujet collectif homogène, ce que la population grecque n’est pas, ni aucune autre au monde, et décrits commodément comme corrompus, voleurs de deniers publics et inconséquents. Des gens qui ont nourri eux-mêmes leur propre malheur et que seuls les pays amis de la prétendue union européenne pourraient sauver d’eux-mêmes.

Si vous avez du goût pour le détricotage des mensonges de l’idéologie dans laquelle nous baignons à longueur de journée, la Grèce est un sujet de choix. C’est surtout, tant que vous ne sortez pas des moyens d’information calibrés, un sujet à n’y rien comprendre, comme cette crise économique et financière, dont les commentateurs spécialisés ne décrivent que la surface, dont les gouvernants ne traitent que des symptômes, et que Barroso prétend combattre en manipulant notre sens de la fierté.

Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’un juriste viennois qui a, depuis un peu plus d’un an, une résidence secondaire à Athènes. Un constat paru dans le journal viennois Die Presse.

Attachez vos ceintures, et bonne journée!

 

Guy

 

PS: un petit persiflage dont je ne me lasse pas: le budget grec de l’armée est bien entendu totalement absent du débat, pardon, des discours, sur la Grèce.

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Grèce

On va droit au “génocide financier”

http://www.presseurop.eu/fr/content/article/977471-va-droit-au-genocide-financier

22 septembre 2011 – Die Presse – Vienne

Ainsi les Grecs “refusent d’économiser” ? Un juriste de Vienne, qui a un pied-à-terre à Athènes, les a observés au quotidien. Sa conclusion : ils économisent à en crever.

On ne peut rester sans réagir aux diverses déclarations des plus hauts responsables de toute l’Europe, certaines frisant l’imbécillité, au sujet de ces « fainéants » de Grecs qui « refusent d’économiser ».

Depuis 16 mois, je dispose d’une résidence secondaire à Athènes, et j’ai vécu cette situation dramatique sur place. On se plaint que les plans d’économie ne fonctionnent pas parce que les revenus fiscaux chutent. On remet en question la volonté des Grecs d’économiser. Quelle surprise ! Voici quelques faits :

– Réductions des salaires et des retraites jusqu’à 30%.

– Baisse du salaire minimum à 600 euros.

– Hausse des prix dramatique (fioul domestique + 100% ; essence + 100%, électricité, chauffage, gaz, transports publics + 50%) au cours des 15 derniers mois.

Le renflouement de l’UE repart à 97% vers l’Union

– Un tiers des 165.000 entreprises commerciales ont fermé leurs portes, un tiers n’est plus en mesure de payer les salaires. Partout à Athènes, on peut voir ces panneaux jaunes avec le mot « Enoikiazetai » en lettres rouges – « A louer ».

– Dans cette atmosphère de misère, la consommation (l’économie grecque a toujours été fortement axée sur la consommation) a plongée de manière catastrophique. Les couples à double salaire (dont le revenu familial représentait jusqu’alors 4.000 euros) n’ont soudain plus que deux fois 400 euros d’allocations chômage, qui ne commencent à être versées qu’avec des mois de retard.

– Les employés de l’Etat ou d’entreprises proches de l’Etat, comme Olympic Airlines ou les hôpitaux, ne sont plus payés depuis des mois et le versement de leur traitement est repoussé à octobre ou à « l’année prochaine ». C’est le ministère de la Culture qui détient le record. De nombreux employés qui travaillaient sur l’Acropole ne sont plus payés depuis 22 mois. Quand ils ont occupé l’Acropole pour manifestation (pacifiquement !), ils en ont rapidement eu pour leur argent, à coups de gaz lacrymogène.

– Tout le monde s’accorde à dire que les milliards des tranches du renflouement de l’UE repartent à 97% directement vers l’Union, vers les banques, pour éponger la dette et les nouveaux taux d’intérêt. Ainsi le problème est-il discrètement rejeté sur les contribuables européens. Jusqu’au crash, les banques encaissent encore des intérêts copieux, et les créances sont à la charge des contribuables. Il n’y a donc pas (encore ?) d’argent pour les réformes structurelles.

– Des milliers et des milliers d’auto-entrepreneurs, chauffeurs de taxis et de poids lourds, ont dû débourser des milliers d’euros pour leur licence, et ont pris des crédits à cet effet, mais ils se voient aujourd’hui confrontés à une libéralisation qui fait que les nouveaux venus sur le marché n’ont presque rien à payer, tandis que ceux qui sont présents depuis plus longtemps sont grevés par leurs énormes crédits, qu’ils doivent néanmoins rembourser.

– On invente de nouvelles charges. Ainsi, pour déposer une plainte à la police, il faut payer sur le champ 150 euros. La victime doit sortir son porte-monnaie si elle veut que sa plainte soit prise en compte. Dans le même temps, les policiers sont obligés de se cotiser pour faire le plein de leurs voitures de patrouille.

– Un nouvel impôt foncier, associé à la facture d’électricité, a été créé. S’il n’est pas payé, l’électricité du foyer est coupée.

– Cela fait plusieurs mois que les écoles publiques ne reçoivent plus de manuel scolaire. L’Etat ayant accumulé d’énormes dettes auprès des maisons d’édition, les livraisons ne sont plus effectuées. Les élèves reçoivent désormais des CD et leurs parents doivent acheter des ordinateurs pour leur permettre de suivre les cours. On ignore complètement comment les écoles – surtout celles du Nord – vont régler leurs dépenses de chauffage.

Où est passé l’argent des dernières décennies ? 

– Toutes les universités sont de fait paralysées jusqu’à la fin de l’année. Bon nombre d’étudiants ne peuvent ni déposer leurs mémoires ni passer leurs examens.

– Le pays se prépare à une vague d’émigration massive et l’on voit apparaître des cabinets de conseil sur la question. Les jeunes ne se voient plus aucun avenir en Grèce. Le taux de chômage atteint 40% chez les jeunes diplômés et 30% chez les jeunes en général. Ceux qui travaillent le font pour un salaire de misère et en partie au noir (sans sécurité sociale) : 35 euros pour dix heures de travail par jour dans la restauration. Les heures supplémentaires s’accumulent sans être payées. Résultat : il ne reste plus rien pour les investissements d’avenir comme l’éducation. Le gouvernement grec ne reçoit plus un sou d’impôt.

– Les réductions massives d’effectif dans la fonction publique sont faites de manière antisociale. On s’est essentiellement débarrassé de personnes quelques mois avant qu’elles n’atteignent leur quota pour la retraite, afin de ne leur verser que 60 % d’une pension normale.

La question est sur toutes les lèvres : où est passé l’argent des dernières décennies ? De toute évidence, pas dans les poches des citoyens. Les Grecs n’ont rien contre l’épargne, ils n’en peuvent tout simplement plus. Ceux qui travaillent se tuent à la tâche (cumul de deux, trois, quatre emplois).

Tous les acquis sociaux des dernières décennies sur la protection des travailleurs ont été pulvérisés. L’exploitation a désormais le champ libre ; dans les petites entreprises, c’est généralement une question de survie.

Quand on sait que les responsables grecs ont dîné avec les représentants de la troïka [Commission européenne, BCE et FMI] pour 300 euros par personne, on ne peut que se demander quand la situation finira par exploser.

La situation en Grèce devrait alerter la vieille Europe. Aucun parti prônant une raisonnable orthodoxie budgétaire n’aurait été en mesure d’appliquer son programme : il n’aurait jamais été élu. Il faut s’attaquer à la dette tant qu’elle est encore relativement sous contrôle et avant qu’elle ne s’apparente à un génocide financier.

Jacques SAPIR: « La dette de la Grèce est au jourd’hui absolument impossible à rembourser »

Photo Reuters de Lucy NICHOLSON, dans Le Monde

 Bonjour!

 

Voici le texte intégral d’un « chat » sur le site du journal Le Monde, avec l’économiste Jacques Sapir.

Il est parfois un peu technique, mais dans l’ensemble, c’est clair et net. Il suffit de passer les paragraphes difficiles… Les courageux de mon pays seront récompensés, car il y a une citation de la Belgique, malheureusement un peu  pessimiste.

Voilà qui tranche avec les zones de silence tonitruant des gouvernants, de la plupart des économistes de plateau, ainsi que des journalistes qui leur tendent les micros.

Dernière phrase: « On sait que gouverner, c’est prévoir ; la classe politique française, en se refusant à prévoir l’hypothèse d’une crise de la zone euro, a ainsi perdu le droit de gouverner. »

Bonne lecture!

Guy

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LEMONDE.FR | 19.09.11 | 12h24  •  Mis à jour le 19.09.11 | 13h58   http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/09/19/1574186.htm

« La dette de la Grèce est aujourd’hui absolument impossible à rembourser », estime Jacques Sapir dans un chat au Monde.fr.

La Grèce est surendettée : quoi qu’il arrive, cette dette passera par pertes et profits et les créanciers n’en mourront pas. Qu’en pensez-vous ?

Jacques Sapir : Oui, la dette de la Grèce est aujourd’hui absolument impossible à rembourser, oui, la Grèce va faire défaut sur tout ou partie de sa dette. Le problème qu’il faut poser, c’est comment la Grèce va-t-elle survivre après le défaut, et pour cela on conçoit qu’elle sera obligée de dévaluer. Autrement dit, elle devra quitter la zone euro, retrouver sa monnaie et la dévaluer de 40 à 50 % par rapport à l’euro.

Quel serait l’intérêt d’un retour à la drachme pour la Grèce ?

Jacques Sapir : Le problème pour la Grèce, mais aussi pour d’autres pays, est celui de sa compétitivité par rapport à l’Allemagne. Il y a deux manières de chercher à restaurer la compétitivité d’un pays : soit en faisant des investissements massifs dans ce pays, et l’on pourrait concevoir que l’Allemagne, peut-être la France, investissent massivement en Grèce, au Portugal et en Espagne.

Mais on conçoit aussi que l’ampleur de ces investissements dépasserait de très loin ce qu’il nous faudrait payer par ailleurs pour maintenir ces pays à flot dans la crise de la dette. Donc nous sommes renvoyés à la deuxième possibilité : ces pays doivent dévaluer, et pour cela ils doivent sortir de l’euro. Cela nous rappelle qu’une monnaie unique impose un carcan de fer aux économies qui la composent, et que la seule solution qui permette d’assouplir un peu ce carcan, ce sont des transferts financiers massifs depuis les pays à forte compétitivité vers les pays dont la compétitivité est plus faible.

Dans la mesure où ces transferts ont été exclus, que ce soit dans le traité de Maastricht ou encore, plus récemment, dans le traité de Lisbonne, la zone euro était malheureusement condamnée.

Si la Grèce sort de la zone euro, n’ouvre-t-elle pas la voie à l’implosion de celle-ci, sachant que d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie sont aussi en difficulté ?

Jacques Sapir : Effectivement, une sortie de la zone euro par la Grèce, et même simplement l’annonce d’un défaut, ne serait-ce que partiel, déclenchera un processus de contagion qui touchera tout d’abord le Portugal, puis, très rapidement, l’Espagne, et enfin, l’Italie, la Belgique, et finalement la France.

Ce processus d’implosion de la zone euro, par ailleurs, n’est pas seulement lié à la contagion que provoquerait la sortie de la Grèce, il faut savoir qu’un pays comme l’Espagne devra faire face à une situation sociale et économique très difficile en 2012. En effet, les allocations chômage en Espagne ne durent que deux ans. Et l’on voit à ce moment que plus de la moitié des chômeurs, qui représentent aujourd’hui 21 % de la population active, se retrouveront sans aucune ressource. Cela imposera soit des dépenses importantes pour les solvabiliser, soit des dépenses tout aussi importantes pour solvabiliser les banques, qui seront confrontées à des prêts non remboursés de manière massive. La crise de la zone euro apparaît aujourd’hui comme inéluctable.

Y a-t-il un risque, si la Grèce ne sort pas de la zone euro, de voir des pays « forts », comme l’Allemagne, quitter cette dernière ?

Jacques Sapir : C’est effectivement une possibilité. Par exemple, si l’Allemagne était isolée sur la question des eurobonds, ou de la monétisation directe de la dette – soit le rachat par la  Banque centrale européenne, directement aux Trésors publics, d’une partie de leur dette. On sait que ces deux solutions ont été évoquées. Or, elles sont en réalité inconstitutionnelles du point de vue de l’Allemagne.

Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a rappelé la semaine dernière que le gouvernement allemand ne devait pas donner son accord à une mutualisation de la dette, excluant ainsi la possibilité des eurobonds, et il a rappelé que l’euro n’était acceptable pour l’Allemagne qu’à la condition qu’il garantisse aussi la stabilité monétaire, comme le faisait le mark. On voit donc que la cour constitutionnelle a fermé la porte à ces deux solutions.

Si l’Allemagne sortait de la zone euro, ce ne serait d’ailleurs pas une catastrophe. Le deutsche mark retrouvé se réévaluerait fortement par rapport à l’euro maintenu. Les pays de la zone euro pourraient ainsi rééquilibrer leur commerce extérieur avec l’Allemagne. Mais politiquement, c’est une solution qui apparaît très peu probable. Il est à craindre que nos gouvernements s’obstinent dans des perspectives de sauvetage de la zone euro et qu’ils soient acculés d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine à la perspective d’un éclatement général de cette zone.

Pensez-vous comme Jacques Delors que c’est le manque de réaction de la zone euro qui plombe la Grèce ?  L’UE ne semble pas avoir les moyens de sauver la Grèce alors que ce pays représente le PIB des Hauts-de-Seine. La crise grecque n’illustre-t-elle pas la faillite de l’UE et de ses institutions inadaptées ainsi que la mise en avant des égoïsmes nationaux ?

Jacques Sapir : La réaction de Jacques Delors est juste, mais bien tardive. Comment pouvons-nous prendre au sérieux un homme qui a conçu un système dont l’aboutissement logique est la crise actuelle, et qui vient maintenant déplorer celle-ci ? Il faut rappeler le rôle extrêmement néfaste qu’ont eu un certain nombre d’hommes politiques français, ainsi que des hauts fonctionnaires, qu’il s’agisse de Jacques Delors, de Pascal Lamy ou d’autres, dans la déréglementation financière généralisée que nous avons connue en Europe à partir de 1985-1986. Sur le fond, on a voulu faire avancer la solution d’une Europe fédérale sans le dire aux populations.

La construction européenne a été faite de telle manière qu’elle incluait des déséquilibres structurels dont les pères de l’Europe espéraient que les solutions iraient chaque fois un peu plus en direction du fédéralisme.
Ce fédéralisme furtif, ou clandestin, comme l’on veut, ne tenait pas compte des réactions des peuples, et ne tenait pas compte de l’enracinement extrêmement profond des nations qui constituent l’Europe. On peut toujours aujourd’hui reprocher aux différents pays leurs égoïsmes, on peut toujours
aujourd’hui reprocher aux classes politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, leur manque d’initiative et leur aveuglement face à la crise de l’euro, qui était une perspective inévitable depuis 2009.

Mais sur le fond toutes ces incompétences renvoient en réalité à un projet politique. Ce projet qui avait été refusé lors du référendum de 2005, que ce soit en France ou aux Pays-Bas, et que l’on a cherché à imposer malgré tout via la notion de contrainte économique. Mais les faits sont têtus, et quand on les méprise, ils se vengent.

On nous parle de l’exposition des banques (françaises ou pas) à cette dette grecque. Mais les prêts octroyés aux banques après la « crise des subprimes » ont été rapidement remboursés. Ne vaudrait-il mieux pas injecter de l’argent dans les banques trop exposées, plutôt que de prêter à une Grèce qui n’aura jamais la possibilité de rembourser ?

Jacques Sapir : Le problème des banques est bien sûr celui des dettes grecques qu’elles détiennent, et au-delà celui des dettes portugaises, espagnoles et italiennes. Bien entendu, on peut toujours injecter de l’argent dans les banques, et d’une certaine manière ce serait certainement plus efficace que de chercher à tout prix à sauver la zone euro. Mais il faut savoir
qu’aujourd’hui l’opinion, dans différents pays européens, est très hostile aux banques. Alors un scénario possible consisterait à nationaliser les banques, à se servir de cette nationalisation pour faire accepter la recapitalisation des
banques, mais en utilisant aussi cette nationalisation pour mettre de l’ordre dans les systèmes bancaires, et en particulier rétablir la distinction impérative entre banques de dépôts et banques d’affaires, et très sérieusement limiter le nombre d’opérations que les banques ont le droit de faire.

D’une certaine manière, toute crise correspond à un risque et à une opportunité. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de nous saisir de cette crise pour réformer en profondeur nos systèmes bancaires, pour mettre fin à la financiarisation qui dicte sa loi depuis la fin des années 1980, et pour recréer les conditions de stabilité d’un grand pôle de crédit alimentant à la fois les entreprises et la population. De ce point de vue, la crise peut être utile.

Pensez-vous qu’aujourd’hui il y a un moyen de « sauver » la zone euro ? Si oui, quel est-il ?

Jacques Sapir : On pourrait sauver, au moins temporairement, la zone euro soit par la mutualisation de la dette ou par l’émission massive par la Banque centrale européenne de crédits au profit des Etats membres. Ce que l’on appelle la monétisation de la dette. Mais comme je l’ai dit, ces deux options sont exclues, à la fois pour des raisons politiques, mais surtout juridiques, par l’Allemagne. Je rappelle ici que la cour de Karlsruhe, dans son arrêt rendu il y a une semaine, a tué dans l’œuf toute possibilité de rebond.

Et si la Banque centrale européenne décidait de prêter directement aux Etats, au lieu de prêter aux banques, qui elles-mêmes prêtent aux Etats, une nouvelle plainte devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe aboutirait à ce que cette dernière rende un avis d’inconstitutionnalité sur cette pratique. Cela, le gouvernement allemand le sait, et il ne pourra donc pas accepter une telle solution. Nous voyons donc qu’aujourd’hui les deux solutions pour sauver, ne serait-ce que temporairement, la zone euro sont de fait exclues.

D’un point de vue juridique, comment peut-on sortir de l’euro ?

Jacques Sapir : La zone euro ne prévoit pas de mécanisme de sortie. Mais elle ne prévoit pas non plus de mécanisme pour expulser un pays contrevenant à ses règles. Cette situation juridique tout à fait extraordinaire démontre bien que la zone euro était institutionnellement très fragile. On peut d’ailleurs imaginer que certains pays décident de réquisitionner leur banque centrale, et décident que leur banque centrale se mette à octroyer des crédits en euros à leur gouvernement. Cela provoquerait une crise politique très grave qui pourrait soit se solder par l’éclatement de la zone euro, soit par la sortie de l’Allemagne et de ses pays satellites, l’Autriche et la Finlande, de la zone euro.

La solution la plus simple et la plus judicieuse consisterait néanmoins dans une autodissolution de la zone euro, un peu sur le modèle de l’autodissolution de la zone monétaire nordique que la Suède, la Norvège et le Danemark avaient constituée dans les années 1920, et qui a été dissoute avec la crise de 1929. Cette autodissolution, se faisant de manière ordonnée, permettrait alors à chaque pays de fixer le taux de change de sa monnaie retrouvée, en concertation avec les autres pays. Cette solution aurait le grand avantage de maintenir une concertation monétaire minimale entre les pays qui composaient la zone euro, et pourrait permettre de reconstituer des mécanismes monétaires une fois que la crise serait passée.

Mais ce que l’on doit craindre aujourd’hui, c’est que les gouvernements, pris d’un entêtement infantile, renoncent à une telle solution jusqu’au moment où ils seront contraints par la réalité de l’envisager, et ceci se fera alors dans une atmosphère de crise, de très grandes récriminations entre les pays, et en particulier entre la France et l’Allemagne, et généralement dans des conditions politiques tout à fait détestables.

En 2013, le SPD arrivera sans doute au pouvoir en Allemagne, et il est très favorable à l’Europe fédérale. Ne pensez-vous pas que cela permettra d’aller vers des solutions comme la monétisation de la dette (quitte à ce que la Constitution soit modifiée en Allemagne) ?

Jacques Sapir :
L’hypothèse d’un changement constitutionnel en Allemagne ne saurait être à l’ordre du jour avant plusieurs années. Le destin de la zone euro se jouera dans les semaines ou les mois qui viennent. Il n’est simplement plus temps de rêver à de telles solutions.

Vous dites que la sortie de la Grèce de la zone euro permettrait une dévaluation. Il me semble que cela augmente l’inflation. Est-ce envisageable dans un climat social déjà agité en Grèce ?

Jacques Sapir : Il est inévitable qu’une dévaluation de très grande ampleur, et celle-ci ne devrait pas être inférieure à 40 % pour la Grèce, entraîne par la suite une poussée d’inflation. De ce point de vue, c’est le taux de change réel, autrement dit le taux de change corrigé des taux d’inflation, qui doit nous servir d’indicateur. Mais en même temps, aujourd’hui, les tensions inflationnistes dans la zone euro sont relativement faibles.
Elles ne sont pas les mêmes entre pays, ce qui est d’ailleurs un problème, mais elles sont relativement faibles. Dès lors, l’inflation doit être acceptée comme un mal nécessaire pour qu’un pays puisse bénéficier des avantages de la dévaluation.

Le véritable problème n’est pas tant l’inflation que la spéculation possible sur les taux de change des différentes monnaies une fois que ces dernières auront été recréées. Mais il faut signaler ici qu’il y a une monnaie sur laquelle on ne parle pas de spéculation, et cette monnaie, c’est le yuan chinois. La raison en est simple : il y a des contrôles de capitaux extrêmement sévères qui encadrent le cours du yuan. Il faudrait donc que les pays européens acceptent de mettre en place, si possible de manière concertée, des systèmes de contrôle de capitaux permettant aux marchés des changes de fonctionner sans risques de spéculation. Les méthodes en sont connues, elles sont déjà appliquées hors d’Europe par un certain nombre de pays et, ce qui est assez extraordinaire, elles sont même recommandées par le Fonds monétaire international pour les pays émergents.

Le point de vue des spécialistes sur les contrôles des capitaux a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années, en particulier parce que l’on a vu, lors de la grande crise de 1997 à 1999, que ces contrôles étaient efficaces, en particulier dans le cas de la Malaisie, du Chili et de la Russie. Il reste aujourd’hui aux gouvernants européens à tirer tardivement les leçons de ces expériences et de se mettre d’accord pour des systèmes analogues en Europe ou, au pire, pour que de tels systèmes soient introduits individuellement dans un certain nombre de pays.

Ne trouvez-vous pas étonnant que la dette grecque et la sortie de l’euro ne soient pas au cœur du débat politique en France ?

Jacques Sapir : Oui, c’est effectivement assez surprenant, surtout quand on sait que ce débat a lieu aujourd’hui en Allemagne. Je pense que la classe politique française s’est enfermée dans un déni de réalité massif. Non seulement ce dernier l’empêche de comprendre la situation, mais il l’empêche aussi de préparer des solutions de rechange. Ce déni de réalité est en train de se fissurer, mais quand la crise de l’euro va éclater, ce qu’elle fera de manière inévitable d’ici quelques mois au plus, elle se doublera d’une crise politique majeure dans notre pays, car les électeurs et la population pourront à bon droit demander des comptes à nos gouvernants ainsi qu’à une partie de l’opposition, pour ne pas avoir su anticiper la situation. On sait que gouverner, c’est prévoir ; la classe politique française, en se refusant à prévoir l’hypothèse d’une crise de la zone euro, a ainsi perdu le droit de gouverner.