Bonjour !
La Grèce n’est certainement pas sortie de graves difficultés.
Mais le résultat de ce référendum va contribuer à la montée de la contestation dans l’Union européenne, une perspective qui a très certainement fondé l’engagement pour le « oui » d’une série de personnalités européennes, lesquelles se révèlent avoir raté une grande occasion de se taire. Bravo!
La contestation est en marche, et elle paraît aussi inévitable que nécessaire.
Avec ça, une course de fait est engagée entre deux camps.
Il y a la contestation crispée sur les fondamentaux du conservatisme et les fausses évidences du bon sens, qui se prétend anti-système mais en cas de succès mènera inévitablement à un accord avec le grand capital, pour qui « à droite rien n’a jamais été trop à droite« , rappelle Frédéric Lordon. Le FN français en est un représentant éminent, qui se félicite de la victoire du « non » grec.
Et il y a une contestation à visée égalitariste, qui récuse l’inégalité et la domination de l’économie et de la finance, et une fois au pouvoir pourrait trouver légitime d’exproprier les « un pour-cent ». Ceux-ci le savent et tiennent fermement les rênes de leurs journaux! Le piège de l’histoire est que cette seconde contestation peut créer une domination inédite, comme on l’a vu pour toutes les révolutions qui à ce jour ont pris le pouvoir. Ce qui donnerait un Pablo Manuel Iglesias Turrión, président à vie de la Nouvelle Espagne Républicaine, et finissant comme Castro.
C’est le risque à reconnaître, à circonscrire et à éviter, dès aujourd’hui, pour ces combats jamais gagnés d’avance qui ont tout d’un idéal inscrit dans la condition humaine. Une poussée trans-historique à laquelle l’espèce ne renoncera jamais, dans une temporalité qui excède de loin l’horizon des vies individuelles.
Une crise comme l’actuelle, avec toutes ses potentialités, se produit une fois toutes les trois ou quatre générations.
Sur le plan intérieur grec, jusqu’où ce gouvernement, non compromis avec la gestion antérieure, va-t-il réformer les pratiques des passe-droits, que certains attribuent à un « héritage ottoman »? C’est certainement un point crucial. L’équipe Tsipras est la seule expression politique un peu crédible sur cet enjeu, jamais affronté par les précédents gouvernements, et jamais exigé par l’Europe des marchands, qui a toujours su prospérer sur la corruption de ses partenaires commerciaux, la nourrissant en retour. Quant à l’église grecque richissime et hors impôt, qui ne semble toujours pas mise à contribution, rappelez-vous que Tsipras a fait de son entrée en fonction un événement laïc en hommage aux résistants communistes tués à la deuxième guerre mondiale, église orthodoxe exclue, ce qui ne s’était jamais vu. Un des deux plus éminents prélats grecs s’affiche par ailleurs ouvertement avec les nazis d’Aube dorée, et on peut supposer qu’envers l’église, Syriza attend son heure.
Il y a d’autres aspects.
La Grèce n’a pas beaucoup d’atouts pour être une économie prospère avec des salaires ou pouvoirs d’achat comparables aux pays du nord de l’Europe. Le tourisme est sa seule industrie, l’armement naval étant de longue date délocalisé. L’éducation est donc le grand secteur porteur d’avenir.
Les Grecs se sont quelque peu entretués depuis la guerre civile de 1945-47. Aujourd’hui, on compte des nostalgiques de la dictature et un parti authentiquement nazi, pour lequel ont voté 90% des policiers… Des haines meurtrières continuent à diviser le pays, ce qui ne facilite pas les choses pour un gouvernement qui voudrait toucher aux privilèges.
Le sentiment national grec est sourcilleux et exacerbé, ce qui signe une incertitude d’exister en tant que nation. La Grèce a été à deux doigts de la guerre lorsque, très logiquement, la Macédoine, ex-yougoslave et voisine, pensait pouvoir s’appeler « République de Macédoine » et adopter un drapeau qui soi-disant appartiendrait à la Grèce éternelle. Cette dernière est un héritage merveilleux mais écrasant, dont à bon droit les Grecs d’aujourd’hui ne peuvent s’assurer d’être, ni les auteurs, ni les propriétaires… Pas plus que les Belges d’aujourd’hui ne sont les Belges de Jules César, les Français, des Gaulois, ou Angela Merkel, une walkyrie. (Pour savoir qui n’est pas Matteo Renzi, il y a le choix.)
Dans ce contexte, la volonté d’être membres de l’Union européenne et de la zone euro, que partage une énorme proportion de Grecs, est à la fois légitime et touchante. Car c’est aussi une adhésion à un mythe sinon à un fantasme, et s’agissant de l’euro, à partir du moment où l’on reconnaît qu’il n’est pas construit, ni viable, pour une économie non germano-compatible, les euro-union-philes grecs vont inévitablement devoir abandonner d’abord le mythe, puis la chose, ce qui serait une évolution naturelle et une progression de la conscience. Mais si le camp d’en face leur impose la perte de l’euro, sans que la conscience grecque n’y ait d’abord renoncé d’elle-même, cela engagerait un ressentiment considérable et une aventure ranimant les vieux démons supposés précisément tenus à distance par le projet unioniste. Une autre alternative, logique mais de très loin la moins probable, serait une réforme de la monnaie unique.
Cela dit, les dirigeants et les militants de Syriza ne partagent pas nécessairement ces adhésions qu’ils semblent reprendre, car ils ont, comme Podemos en Espagne, décidé de remporter la joute électorale pour peser sur l’avenir du pays, et construire une « hégémonie culturelle » à la Gramsci, qui allie les arguments jugés essentiels de résistance à l’adversaire principal, et des traits provisoirement non négociables de l’opinion commune.
…
Pourquoi être au final, plutôt optimiste?
Répétons que la configuration actuelle, riche de périls anciens qui vont à la rupture, est la source de ripostes citoyennes novatrices et multiformes. Le moment est historique et on ne connaît pas ça deux fois en une vie.
La Grèce va certes continuer à souffrir et pourrait traverser un douloureux effondrement économique – qui sera dramatisé par la presse du un pour-cent, alors que le niveau déjà atteint porte à relativiser ce qu’il est encore possible de faire en l’espèce. Mais par hypothèse la Grèce conservera les moyens de se battre, pour éventuellement retrouver une autonomie qu’on appelle aujourd’hui la souveraineté. L’Islande a mis six ans pour atteindre une situation acceptable hors des diktats de la finance: sa devise s’est stabilisée à une perte de change de vingt-cinq pour-cent par rapport à l’euro, son inflation est nulle, les banques sont nationalisées, les gestionnaires de l’exubérance des marchés ont été condamnés en justice, et vingt-cinq citoyens tirés au sort ont réécrit la constitution. Il y a pire! Ce parcours est structurellement impossible en zone euro.
L’Union européenne, de son côté, apparaît comme un gendarme capitaliste obtus et psycho-rigide, sans équivalent sur la planète, qui dans sa gestion de la crise grecque ridiculise le continent et répand l’incompréhension à Washington, Tokyo ou Pékin.
La configuration actuelle de l’UE n’est pas vivable et ne tiendra pas dix ans, même si elle a réussi à devenir un bloc expressément irréformable. Pour entreprendre une révision des traités, dont l’essence et la visée sont en effet d’échapper à toute modification, il faudrait un bouleversement de la représentation politique dans un nombre important de pays membres, et sans doute, dans au moins un des deux pays dominants, l’Allemagne ou la France. À défaut, des États quitteront la zone euro, voire l’Union.
En attendant, l’Espagne est en lice pour stupéfier le monde.
Nous pouvons attendre beaucoup de l’Espagne! (Qui pèse cinq fois l’économie grecque.)
Comme nous pouvons attendre beaucoup des surprises d’une histoire remise en mouvement.
Quant à la convergence extraordinaire des périls environnementaux, nucléaires, migratoires ou de santé publique qui frapperont toutes les configurations politiques quelles qu’elles soient, elle alimentera, pour le meilleur et pour le pire, le débat et la conflictualité.
Sans oublier que la finance planétaire, qui pèse quatre fois le PIB mondial, et celle de l’ombre ou « shadow banking » , évaluée à 1,20 fois ce chiffre, nous promettent un gigantesque krach boursier mondialisé. Pour Gaël Giraud, cet effondrement ne manquera pas de se produire dans les quatre ans.
Guy
Crédits:
Frédéric Lordon, L’euro, ou la haine de la démocratie, http://blog.mondediplo.net/2015-06-29-L-euro-ou-la-haine-de-la-democratie
Le Yeti: OXI à plus de 60 % : la déculottée de la secte européiste, http://yetiblog.org/index.php?post/1451
Yannis Youlountas: De possibles poursuites en justice pour manipulation des médias durant la campagne du référendum, http://jeluttedoncjesuis.net
Hugues Le Paige: A propos de la Grèce : La haine de classe, vous connaissez ? http://blogs.politique.eu.org/A-propos-de-la-Grece-La-haine-de
Paul Jorion: La Grèce continue donc de nous donner des leçons de démocratie http://www.pauljorion.com/blog/2015/07/05/la-grece-continue-donc-de-nous-donner-des-lecons-de-democratie/
Une voie d’enfumage serait, pour l’UE, de suivre Jacques Attali: Agir vite pour sauver l’euro, http://blogs.lexpress.fr/attali/2015/07/06/agir-vite-pour-sauver-leuro-2/
Une « crise » sur le gâteau, ou un bouchon sur le flacon, c’est de « Samson » sur le blog de Paul Jorion: Une qu’ils n’auront pas, http://www.pauljorion.com/blog/2015/07/05/referendum-en-grece/#comment-578585
Peter Wahl, économiste allemand, membre du conseil scientifique d’Attac Allemagne: L’UE décline fortement. Ce ne sera pas freiné par la récente proposition de Juncker, Tusk, Schulz, Dijsselbloem et Draghi pour un bond en avant dans l’intégration de la zone euro, http://www.alterecoplus.fr/tribunes-debats/lunion-europeenne-est-incapable-de-trouver-une-solution-a-la-crise-grecque-201506301650-00001682.html
Marco Revelli, sociologue et historien italien, Contre le totalitarisme financier l’Europe doit changer ou mourir, http://www.liberation.fr/debats/2015/07/01/contre-le-totalitarisme-financier-l-europe-doit-changer-ou-mourir_1341010
Le Monde, La Grèce, dernier exemple d’une longue histoire de défauts souverains, http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/02/la-grece-dernier-exemple-d-une-longue-histoire-de-defauts-souverains_4668153_3234.html#58rkfCRV8egmS8YY.99
Paul Jorion, dans L’Écho: Il y a un million de choses qui peuvent mal tourner, http://www.pauljorion.com/blog/2015/06/28/lecho-paul-jorion-il-y-a-un-million-de-choses-qui-peuvent-mal-tourner-le-28-juin-2015/
Analyse pertinente.