Syndicalisme: la FGTB veut troquer des emplois wallons contre des morts au Yémen et ailleurs

Le fusil d’assaut FN-SCAR dans sa version H-TPR, de calibre 7.62, capable, dit la notice, de « blesser mortellement » à 700 mètres.

 

Bonjour!

 

Mon titre est un peu violent. Mais d’une part il est exact, et d’autre part il faut bien secouer les consciences anesthésiées, sans quoi je serais en délit de non-assistance à personne en danger. J’emprunte ce titre à une Lettre ouverte aux syndicats, de l’excellente Colupa, la Coalition Luxembourgeoise pour la Paix. (De la province belge du Luxembourg.)

Cela fait quelques jours que Condroz belge perd des neurones et se fait des cheveux blancs à lire les déclarations des syndicats, en particulier la FGTB, en défense des exportations d’armes wallonnes. La Région wallonne vend massivement à l’Arabie saoudite et à d’autres pays peu reluisants, principalement par le fait de la FN Herstal, connue mondialement de tous les aspirants tueurs, et de CMI, rebaptisée récemment Groupe John Cockerill, leader mondial des tourelles de char.

Cela fait des années que les exportations d’armes par la Région wallonne sont totalement opaques et que nul député, militant ou journaliste n’a obtenu de se faire ouvrir les registres de douane, légalement constitués mais interdits, est-ce bien légal?, à tout public. …Indice fort qu’il n’y a pas de quoi se vanter de leur contenu.

Condroz belge a fait de petites recherches, et il se trouve que…
Des avions étasuniens immatriculés sous un pavillon de complaisance, et sans aucune peinture d’identification sur le fuselage, font escale plusieurs fois par semaine à Bierset, venant de Houston, New-York, parfois Langley, Virginie (où siège la CIA), vers Israël.
D’autre part, des avions israéliens atterrissent dans ce même aéroport wallon, deux fois ou plus par semaine, pour livrer des denrées principalement fruitières ou horticoles, dont une bonne part sont produites dans les territoires occupés, exportations illégales en regard des résolutions des Nations-Unies. Ces avions retournent dans leur pays avec des cargaisons inconnues. Une société à capitaux israéliens, comme son nom ne l’indique pas (voir son acte de constitution ou ses comptes 2018), LACHS ou Liege Air Cargo Handling Services, installée à Bierset, gère ces opérations sur le sol liégeois.
Condroz belge a recensé ces questions dès 2007 (Sang et CO2 à Bierset), et ensuite à plusieurs reprises.

Mais aujourd’hui, sous l’émotion internationale causée par la guerre des Saoudiens et consorts au Yémen, qualifiée par les Nations-Unies d’actuelle première tragédie humanitaire mondiale, voilà qu’à la suite de l’Allemagne (qui a dans un second temps accepté de vendre à la France des pièces indispensables à cette dernière pour ses propres exportations d’armement, qui continuent de plus belle), la Région wallonne suspend certaines livraisons aux pays de la coalition dirigée par l’Arabie.
Ce qui nous met au coeur du sujet de ce billet.

2.700 emplois sont concernés par les baisses de chiffre d’affaire dans les entreprises wallonnes d’armement.
Quelle position un syndicat peut-il prendre dans cette situation?

Nous avons ici les déclarations de la FGTB socialiste. Le PS, son parti « frère », s’est déjà prononcé il y a quelque temps sur le sujet, en 2016, par des déclarations de Paul Magnette brillantes de langue de bois et d’irresponsabilité, qui m’ont permis de signer le billet « PS belge: marchand d’armes et royaliste …L’impuissance » .

La FGTB aujourd’hui, s’en sort-elle mieux?

Voici une info de Todayinliege.be du 30 août:

Dans un communiqué, la FGTB s’inquiète pour les deux fleurons que sont FN Herstal (armes) et John Cockerill (l’ex-CMI qui conçoit des tourelles de char) dans le secteur de l’armement. “2700 travailleurs et travailleuses laissés dans l’incertitude quant à leur avenir. Il est temps de leur répondre.” Le syndicat souligne leur rôle dans l’équilibre de la balance commerciale, la qualité d’emplois générés, le développement technologique direct induit et les marges ajoutées brutes intéressantes.

Les impacts économétriques et sociaux d’un non octroi de licence d’exportation seraient donc dramatiques pour la pérennité des entreprises“, affirme la FGTB. “À la FN d’Herstal, le montant des avances payées par l’Arabie Saoudite est de 180 millions d’euros qui doivent être remboursés et auxquels s’ajouteraient des pénalités contractuelles de 250 millions d’euros. À John Cockerill, le contrat ‘tourelle’ représente 4 milliards dont 2 restent actuellement à facturer. Le non-respect du contrat engendrera une perte économique de 5 milliards. Si la Wallonie veut être le fer de lance de l’action humanitaire, la FGTB Liège-Huy-Waremme la soutient. Mais c’est au niveau européen et international que cette action aura un impact.”

Le syndicat considère que l’embargo de la seule Wallonie ne réglera pas la situation humanitaire au Yémen mais qu’il aura pour effet de supprimer l’activité économique en Wallonie et de la déplacer vers d’autres pays d’Europe et du monde.

Le recours au jargon économique (« marges ajoutées brutes intéressantes »), macro-économique (« la balance commerciale »!) et même « économétrique » est patent: la FGTB fait siens les arguments patronaux et néo-libéraux que nos pays présentent comme l’alpha et l’oméga de la « politique ».
Les chiffres des « pertes » sont pour l’essentiel des manques à gagner, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, et ils ne sont pas mis en regard des chiffres d’affaires généraux ou des bénéfices des entreprises, parmi lesquelles il faut rappeler que la FN Herstal appartient à cent pour-cent à la Région wallonne, et que la prospérité du groupe John Cockerill est explosive.
Les chiffres mentionnés dramatisent la situation en ne précisant pas sur combien d’années portent les commandes en péril: nous lisons en effet sur le site de John Cockerill aujourd’hui que le chiffre d’affaires de 2018 a été de 1,297 milliard, et que les commandes enregistrées sont de 1,172 milliard. S’il reste, comme le dit la FGTB, des tourelles à livrer pour 2 milliards, sur une commande de 4 milliards, il y a une imprécision sur le nombre d’exercices concernés, et à première lecture il est difficile de comprendre comment cela mène à une « perte » de 5 milliards. (Les choses vont tellement mal pour John Cockerill que l’entreprise vient d’offrir …au monde, une « sculpture » monumentale de Bernar Venet sur l’autoroute E411 Bruxelles-Arlon.)

Cela dit, ces chiffres même inexacts ne sont pas l’essentiel. Ils ne sont en rien à l’origine de la controverse.
C’est bien l’usage de ces armements dans des guerres jamais jolies et souvent particulièrement horribles, qui fonde cette actualité que les médias n’ont pas été en mesure de passer sous silence.

Il faut constater que la FGTB, si elle nous amuse tristement avec sa posture viriliste « Il est temps de leur répondre » (à ses affiliés), est dramatiquement en-dessous de l’enjeu:
– La FGTB veut bien que l’on prenne des mesures à conditions qu’elles soient européennes (faut-il comprendre: jamais?).
– La FGTB considère que ce n’est pas la peine que la Wallonie arrête de vendre de la technologie destinée à tuer des humains, car d’autres le feraient alors à sa place.
– La FGTB fait semblant de croire que chacun comprendra que ce serait idiot.

Le problème est ailleurs. Personne ne veut ou voudra détruire 2.700 emplois d’un coup de baguette.
Cependant, atteindre une position de niveau mondial dans la production d’armement pose d’évidentes questions générales, humaines, éthiques (la discrétion voire le secret, comme le recours à des euphémismes dans la communication des acteurs, le montrent bien), et même, comme le dit la Colupa, ces armes pourront un jour être retournées contre nous, par du terrorisme ou d’autres manières.
Il faut impérativement reconnaître le problème et ouvrir la réflexion vers une reconversion de ces entreprises de haute technicité, et peu importe qu’une solution mette des années, bien au-delà d’un mandat syndical ou politique, bien au-delà d’une échéance électorale, pour émerger. Ce serait bien le diable qu’une issue satisfaisante n’advienne pas dans la longueur avec des intervenants nombreux, divers, et de bonne foi.

En attendant, comme le dit mon voisin, Si tu ne réfléchis pas à un problème de fond, dans l’urgence tu ne pourras jamais rien dire ou faire que des conneries.


P-S:
Rien n’est dit ici du syndicat chrétien ni du syndicat libéral. Pour le premier, je note qu’un syndicaliste chrétien métallo, Louis Smal, après s’être recyclé comme député wallon CDH de 2004 à 2009, est aujourd’hui, à 80 ans, administrateur du Groupe John Cockerill (PDF), où ses émoluments relèvent de sa « société » , Louis Smal Consulting.

Et les politiques? Ecolo a une position responsable, actuellement présentée comme une exclusive pour sa participation au gouvernement régional wallon.
« Pour les Verts francophones, les entreprises liégeoises FN et John Cockerill (ex-CMI) doivent cesser de faire du commerce avec l’Arabie saoudite. »
C’est dans un article de L’Echo. Mais il y a déjà un petit historique des « exclusives » écolo, mangées par le parti lors de ses accessions aux pouvoirs, comme le refus de participer à un exécutif si les centres fermés pour sans-papiers n’étaient pas radiés de la carte.

Dans le même article, le représentant des patrons wallons déclare:
« Oui, on soutient la FN et John Cockerill. Il ne faut évidemment pas se mettre la tête dans le sable. C’est une situation difficile par rapport aux questions éthiques mais on a un cadre wallon bien défini. Il ne faut pas être plus sévère que nos voisins européens. La Wallonie ne doit pas vivre sur une île. Si une solution doit se prendre, c’est dans un cadre européen mais pas uniquement au niveau wallon », et « C’est toujours difficile de ne pas prendre en compte l’angle éthique dans un dossier. Mais à partir du moment où la législation n’a pas changé, pourquoi supprimer des licences et menacer des milliers d’emplois. C’est difficile de faire une balance entre les drames et l’emploi. Mon rôle est de défendre l’emploi régional. Je note que la FGTB fait la même chose. Tout le monde doit être inquiet sur ce qui pourrait se passer pour l’industrie liégeoise de l’armement. »
Ce type indique clairement qu’il se conformera aveuglément à « son rôle », … « comme la FGTB » .

2 réflexions au sujet de « Syndicalisme: la FGTB veut troquer des emplois wallons contre des morts au Yémen et ailleurs »

  • 19 septembre 2019 à 11h26
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    Il est bien connu que les flics qui tapent sur les grévistes syndiqués sont eux-mêmes syndiqués parfois au même syndicat. Ainsi on parlera d’un côté de violences policières et de l’autre de vandalisme irresponsable, de défense de l’emploi et de mouvement pour la paix.

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    • 19 septembre 2019 à 12h01
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      Merci! Tu avances masqué?

      Répondre

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