Il faut suivre Panagiotis Grigoriou

Photo d’accueil du blog ‘Greek Crisis’ de Panagiotis Grigoriou

 

L’anthropologue et historien grec Panagiotis Grigoriou s’est fait l’observateur des événements qui marquent son pays depuis l’irruption de la crise financière en 2008, qui l’a privé de ses budgets de recherche.

Il participe au film documentaire d’Ana Dumitrescu, « KHAOS ou les visages humains de la crise grecque » (90 minutes), qui sortira en salles en France en octobre 2012.
Et Fayard publiera en automne son premier essai sur la question, « Le Cheval des Troïkans ».

Vous pouvez dès à présent consulter son blog, tenu en français et à mon sens indispensable,  Greek Crisis, déjà cité à plusieurs reprises dans mes courriers, et référencé
depuis des mois sur mon site Condroz belge. Vous ferez connaissance avec le charme de ses réflexions qui croisent dans l’amour des gens et la reconnaissance de leurs douleurs, une analyse politique de type ethnographique, souvent savante, et un sens séveux, journalistique, du quotidien et de la culture populaire.
Le tout, ni sans humour, ni sans photos.

Aujourd’hui, dans son propre blog, Paul Jorion, qui a été surnommé « l’anthropologue de la crise », nous annonce le film et le livre ci-dessus et  présente Grigoriou comme un « blogueur de querre ». La bande-annonce du film est consultable sur ce billet.

On voit entre les deux hommes une communauté de conception de la temporalité historique, laquelle offrirait de temps à autre une fenêtre de « temps opportun » ou « d’histoire immédiate », riche d’opportunités d’action et d’inflexion historique potentielle, ouverte sur la créativité, autant que lourde d’implications pour le futur, en-dehors desquelles les veilles inerties restent aux commandes.
La Grèce a connu cet instant en juin 2012, la finance mondiale a eu sa fenêtre d’opportunité – non exploitée – autour de janvier 2010.
Selon Grigoriou et Ana Dumitrescu, le fruit des vieilles inerties, actuellement en place en Grèce, s’appelle chaos.

La grande histoire aussi est à suivre.
Comme dans un feuilleton, il y a la respiration suspendue, le moment blanc où se tourne la page.

La vidéo de Jorion de cette semaine ( + 1 bonus: La finance, c’est le déni )

(hometips.com)

Bonjour !

En vitesse.

Paul Jorion est de plus en plus souriant.
Je crois que sa cohérence ne rencontre plus beaucoup de vraies surprises depuis quelque temps.
Un de ses entretiens récents est d’ailleurs titré: « Il y a toujours une alternative. » (Allô, les distraits, ça vous rappelle quelque chose? Le célèbre TINA, « There is no alternative » ? De…, de… Voilà, vous y êtes !)

Il faut vraiment regarder sa vidéo d’aujourd’hui:
http://www.pauljorion.com/blog/?p=38569

Bonne journée !

Guy
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Bonus:

La finance, c’est le déni

Voici une liste dressée par un certain Alex Banbury :

« Spain is not Greece » – Elena Salgado, Spanish Finance minister, February 2010.
« Portugal is not Greece » – The Economist, April 2010.
« Greece is not Ireland » – George Papaconstantinou, Greek Finance minister, November 2010.
« Spain is neither Ireland nor Portugal » – Elena Salgado, Spanish Finance minister, November 2010.
« Ireland is not in ‘Greek Territory’ » – Irish Finance Minister Brian Lenihan. November 2010.
« Neither Spain nor Portugal is Ireland » – Angel Gurria, Secretary-general OECD, November 2010.
« Italy is not Spain » – Ed Parker, Fitch MD, June 12, 2012.
« Spain is not Uganda » – Spanish PM Mariano Rajoy, June 2012.
« Uganda does not want to be Spain » – Ugandan foreign minister, June 13, 2012.

http://www.telegraph.co.uk/finance/debt-crisis-live/9336591/Greek-election-debt-crisis-and-G20-Summit-Live.html

Causeries d’après élections

 

HollSarko

Bonjour,

 

Je ne sais pas vous, mais moi, les commentaires d’après élections me pompent l’air.
Et plus ils sont savants, ou apparemment savants, plus ils m’asphyxient.

En juin 2009, je m’énervais sur le site d’Une Autre Gauche, que j’avais erronément supposée représenter Une Autre Autre Gauche, voire Une Outre-Gauche, à propos des commentaires attribuant la qualité de sujets dotés d’un psychisme complexe et dignes de l’homo sapiens sapiens, à des mouvements dans les résultats électoraux censés exprimer le désarroi, la confiance, l’amour et la fidélité, le ras-le bol, des paris plus ou moins audacieux ou plus ou moins machiavéliques, et d’autres états psychiques élaborés motivant « LE » électorat.

Aujourd’hui, que de l’eau a passé sous les ponts de nos apprentissages, je lis le blog de Paul Jorion, et là aussi les attributions de sujet, comme, à d’autres microphones, ceux dont l’on charge « les-marchés » – dont la psychologie raffinée et volontariste ne vous a pas échappé, me hérissent un poil qui ne demande qu’à être caressé dans le bon sens.

Vous trouverez donc ci-dessous le billet que je viens de déposer aux pieds de ces excellents amis de Chez Paul Jorion Le Blog.

Bien à vous ! 

Guy

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Chers amis du discours,

Les élections, c’est comme le football, le football, c’est comme l’économie. Ce sont des occasions de bavarder sur le voile des choses. Ce sont des domaines de commentaire où se déploient des trésors d’observation, de mémoire et d’analyse, mais comme à Byzance finissante, les trésors de l’érudition appliqués à l’illusion en produisent que de l’illusion. Science sans conscience…

Les élections comme l’économie et toutes deux plus que le football, finalement, isolent un champ d’observation qui n’a pas d’autonomie, des tranches de réalité « surdéterminées », comme disaient les structuralistes, par des déterminations de fond, un champ dont l’examen ne semble produire de la pertinence qu’à la condition que le réel qui l’englobe, le fameux « toutes autres choses égales par ailleurs » des économistes, veuille bien s’en tenir à une discrétion absolue. Alors les équations keynésiennes paraissent fonctionner, et, dans les années « glorieuses » d’après-guerre, donner aux gouvernants l’illusion qu’ils maîtrisent l’allure, une petite relance par ici, un petit coup de frein par là, d’une monture qui en soi progresse à vitesse continue ou continûment accélérée, et qui bientôt ne répondra plus à aucune de ces mesures inspirées par le bon John Maynard K. L’économie n’a pas de réelle autonomie sur le long terme, et c’est bien pour cela que les discours d’un anthropologue, Paul Jorion, renvoient la très grande majorité des éconolâtrologues à leur impuissance. L’économie ne devrait pas être laissée aux économistes.

Les courbes électorales comme les statistiques financières sont des illusions du calcul aveugle, et ne peuvent rendre compte des inflexions de leur mouvement, qui par définition ne prennent pas racine dans les chiffres précédemment observables, mais représentent des ruptures de la continuité apparemment, algébriquement ou statistiquement, à l’oeuvre. La foi calculatrice, le sauve-qui-peut numérisateur, des conseillers en spéculation atteignent en ces temps d’autodestruction de la finance, un niveau presque touchant de dérisoire et de vanité.

Pour en revenir au commentaire électorisé, parler de stratégies et de victoires, de défaites et d’analyses, relève de l’inflation du cogito.
Lénine disait manipuler la console de pilotage de l’histoire. Mais c’est l’intérêt du Prussien qui lui a offert par wagon plombé une victoire que la vulgate internationaliste orientée-Moscou a prétendue sienne.
Roosevelt, le sauveur, n’a sauvé que le capitalisme et ses classes dominantes d’une crise auto-produite à la gravité jamais vue, et sa politique était de l’eau tiède en charge d’éloigner le feu de l’insurrection qui flambait dans les grandes villes.
Le Front populaire, lui, n’était pas une victoire électorale, mais la traduction dans les urnes d’un mouvement qui agitait le ventre de la France.
Quant à la tentative légaliste et électoraliste d’Allende, elle avait pour ressort une lame de fond populaire, qu’elle a menée désarmée à la casse.

Cessons de gloser doctement sur le miroir aux alouettes électoral ! Howard Zinn savait le dénoncer durant les vagues d’optimisme de la première campagne présidentielle d’Obama – ainsi son article intitulé Folie électorale à l’américaine.

Et saluons Paul Jorion de n’avoir pas cédé aux sirènes de l’engagement partidaire ou partisan.
Voilà toujours une casse d’évitée!

De quoi débattent les socialistes ?

La synthèse d’Henri Weber dans Le Monde (« De quoi débattent les socialistes ? » 17.11.05) est remarquable de bonnes intentions et affligeante dans ses propositions.

Cette espèce de fuite en avant dans les grands travaux et chantiers d’avenir, outre qu’elle ouvre des perspectives réjouissantes à de grandes entreprises inciviques, se complaît à  répéter paresseusement les recettes d’un passé idéalisé. Henri Weber néglige totalement la remise en cause du partage de la prospérité caractéristique de notre époque, à savoir :

- un protectionnisme d’État offert mondialement à la finance mondialisée,

- pour les marchés financiers, une « assurance-vie » contre toute inflation représentée par l’imposition d’un chômage massif et durable.

Sur notre continent, c’est la Banque Centrale Européenne qui s’en charge. Son autonomie est totale par rapport aux gouvernements et au suffrage universel ! Et la mission qu’elle poursuit sans faiblesse est la lutte contre l’inflation, au mépris de tout autre objectif. Autrement dit, juguler l’inflation, obsession du rentier, est une tâche qui est assurée dans une absolue priorité, la conséquence en étant ce « taux de chômage d’équilibre » dont n’hésitent pas à parler les économistes, et qu’ils chiffrent autour de 9 %. Pas plus qu’ils ne craignent de faire du taux d’emploi une « variable d’ajustement ». En clair, les travailleurs
paieront par le chômage la prospérité des secteurs protégés, la finance essentiellement.

(Exemple : « Il faut savoir que le pire ennemi des profits, c’est le plein emploi, or on est loin du plein emploi. » nous rappelle François Chevalier, stratégiste chez VP Finances http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=737)

Il est impensable et pourtant quotidien que des « socialistes » passent cette question sous silence ! Face à cette véritable guerre sociale, que nous propose Henri Weber, député européen ?

1) « Le premier volet de ce projet est consacré à l’instauration progressive d’une autre mondialisation et d’une meilleure « gouvernance » internationale. … Dans la hiérarchie des normes internationales, les socialistes entendent faire prévaloir la sécurité sanitaire, les droits élémentaires des travailleurs, la préservation de l’écosystème, la diversité culturelle sur les exigences du libre commerce. » Début d’un catalogue où je ne vois aucun levier, aucun point d’appui.
« Des avancées importantes sont réalisables : l’Union européenne a obtenu que la culture, l’éducation, la santé soient soustraites des négociations sur la libéralisation des services à l’OMC et, par 151 voix contre 2, la Convention de l’Unesco sur la diversité culturelle a affirmé le droit de chaque nation de soutenir sa création et son identité culturelles. » Avancées ou ligne de défense ? Rien ici sur la finance, quelques lances rompues contre « l’hyper-puissance américaine ».

2) La suite : « Le deuxième volet du projet socialiste concerne la réorientation de la construction européenne dans le sens d’une Europe plus volontaire, plus sociale, plus démocratique. Par-delà leurs divergences d’appréciation sur la Constitution de Bruxelles, les socialistes partagent une même conception de l’Europe qu’il faut construire : tous sont pour une Europe-puissance, capable de défendre les conquêtes sociales acquises par les salariés au cours de deux siècles de lutte, un modèle de civilisation humaniste, qui laisse une large part aux rapports non marchands ; une Europe capable de peser sur l’organisation du monde multipolaire et hautement conflictuel dans lequel nous sommes entrés. » Construire une « Europe-puissance », capable de « défendre les conquêtes sociales », on y revient : du défensif, du défensif, dans un torrent de bonnes intentions : « volontaire », « plus sociale », « plus démocratique », « civilisation humaniste », « rapports non marchands ». Les rentiers jusqu’ici ne craignent toujours rien.
95 % des transactions quotidiennes sont financières, 5 % correspondent à des échanges réels.

3) Avançons. « Le troisième volet de ce projet socialiste a trait à la définition du compromis social-démocrate de ce début de siècle. La grande majorité des socialistes français récuse la voie sociale-libérale préconisée par le New Labour de Tony Blair. »
C’est bien la moindre des choses. « La motion des « blairistes » français n’a recueilli que 1 % des voix. » Espérons ! « Elle [la grande majorité des socialistes français] récuse également la crispation conservatrice sur le modèle social-démocrate du siècle dernier frappé d’obsolescence par la mondialisation et la financiarisation du capitalisme. » Toujours rien sur une alter-financiarisation.
Vient ensuite l’apologie d’un « modèle », argumentation bientôt obsolète faisant en général l’impasse sur les conditions locales inexportables du supposé « modèle ». « Les solutions mises en oeuvre par les sociaux-démocrates des pays scandinaves trouvent davantage de grâce aux yeux des socialistes français. Ceux-ci veulent, eux aussi, rénover profondément le compromis social-démocrate des « trente glorieuses », mais en en conservant l’esprit et les principes : économie mixte (c’est-à-dire économie de marché régulée par la puissance publique et corrigée par l’intervention des partenaires sociaux) ; Etat social actif, disposant de services publics diversifiés et garantissant à tous une protection sociale de qualité. Démocratie sociale, reposant sur des droits sociaux étendus reconnus aux salariés et le développement des négociations collectives. Écodéveloppement, recherchant une croissance respectueuse de l’environnement et des intérêts des générations futures. » La Bourse tremble.

L’audace : « Concrètement, les trois principales motions socialistes préconisent une même politique de reconquête du plein-emploi. » Personne n’y croit, et personne n’en parle plus, du plein-emploi. Henri Weber me paraît ici se payer de mots.
Pourtant, quand il aborde le seul point, à mes yeux, où un véritable argument de reconquête pourrait être défini, il n’en fait rien : « Celle-ci s’inspire, sans la répéter, de la politique mise en oeuvre avec succès entre 1997 et 2002 et qui a contribué à créer 2 millions d’emplois supplémentaires dans notre pays. Cette politique combine des mesures conjoncturelles incitatives (relance de la demande par la hausse du pouvoir d’achat des salariés,…), une politique macroéconomique volontariste et des réformes de structure à moyen terme (recherche, enseignement supérieur, formation continue) favorisant une meilleure spécialisation de notre économie dans les industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée. »

La seule avancée de l’emploi a été marquée par les 35 heures, et c’est à juste titre que la droite en a fait ce que l’on sait. La réduction du temps de travail, avec le maintien du salaire bien entendu, sans quoi le terme est usurpé, correspond à un partage des gains de productivité, et a été la seule voie, avec la hausse des salaires réels, impensable avant résorption du chômage, d’amélioration du sort des travailleurs depuis un siècle. Un débat qui semble clos pour Henri Weber. Il est vrai que la France a fait cavalier seul sur ce front et que depuis les syndicats allemands ont accepté dans la peur une augmentation sans hausse de salaire de près de dix pour cent de la durée hebdomadaire du travail pour des millions de salariés !

Cette impasse nous ramène à ce que les marxistes d’un temps passé auraient appelé la « contradiction principale » du capitalisme actuel : la domination mondiale du capital financier sur les autres.

4) « S’agissant de la réforme de l’État, enfin – quatrième volet du projet socialiste -, nous convergeons sur la nécessaire modernisation démocratique de nos institutions ; tous les socialistes veulent renforcer le pouvoir des assemblées élues, et en premier lieu celui du Parlement, tous veulent développer la démocratie participative et la politique contractuelle. Tous sont d’accord aussi pour rénover les services publics et lutter contre l’instauration de “l’État providence résiduel” qu’appellent de leurs voeux les conservateurs libéraux.
Le nouvel âge du capitalisme appelle un nouvel âge de la social-démocratie. Celle-ci sera altermondialiste, altereuropéenne, féministe et social-écologiste. Derrière chacun de ces termes se trouve un programme d’action. C’est de son contenu que débattent les socialistes français et européens. Il serait dommage que la compétition – légitime – des meilleurs d’entre eux pour la magistrature suprême rende cette controverse inaudible. »

Le progrès social semble à lire ces lignes un pur objet de langage ! Je n’y trouve que des affirmations générales et bien-pensantes, l’évitement complet des sujets sensibles susceptibles de nous éclairer (voyez le succès fulgurant et rassembleur d’Attac), et l’approche d’aucun moyen d’action.

C’est dramatique. Dans ces conditions, l’appel à une convergence « altermondialiste, altereuropéenne, féministe et social-écologiste » relève d’un véritable racolage.