« Pablo Servigne & François Ruffin : une dernière bière avant la fin du monde »

Bonjour!

Cet entretien qui consiste largement à faire parler Pablo Servigne, « collapsologue » et « collapsosophe », c’est à dire analyste et penseur de l’effondrement, auteur de plusieurs livres dont le premier fut Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (avec Raphaël Stevens, 2015), …me paraît valoir tout aussi largement l’écoute.

Servigne est un jeune scientifique passionné. C’est intéressant d’entendre quelqu’un de cette génération. Il brasse large. Ingénieur agronome formé à Gembloux, auteur d’une thèse de doctorat sur les fourmis comme espèce sociale, il parle ici de la remise en perspective des travaux de Darwin, que le néolibéralisme, ne connaissant que les individus et pas la société comme le disait Margaret Thatcher, utilise comme justification de la concurrence de tous contre tous. Il parle de Kropotkine qui était un géographe de haut niveau, auteur de L’entraide, « mot offert par son traducteur Elysée Reclus à la langue française ». De la sélection naturelle non pas des individus mais des groupes. De l’incertitude sur l’avenir parmi les certitudes d’une impasse…
La science sert l’idéologie, et l’idéologie oriente la science.

Servigne met en rapport le primat du marché, dans l’idéologie libérale des débuts, comme d’autres l’aspiration à un État laïc, avec les quasi deux siècles de guerres de religion qui ont précédé, lesquelles avaient nourri une vision pessimiste des rapports humains.

Une des choses que je retiens ici, c’est l’alternance entre l’égoïsme et la solidarité dans les groupes humains: les situations d’abondance autorisent, sans risque pour la survie du groupe, une prédominance de l’égoïsme, tandis que les pénuries et catastrophes promeuvent la solidarité. Par exemple, le rationnement pendant la seconde guerre mondiale a produit au Royaume-Uni une amélioration de l’alimentation des plus démunis, une élévation notable de l’espérance de vie et un sentiment de solidarité nationale sans précédent, qui laissa un souvenir durable et positif.

Les phénomènes de soutien des individus les moins nantis par les mieux établis sont remarquables aussi dans le monde végétal. Au sein d’une même espèce, les grands arbres âgés, riches d’un apport solaire dont ils privent en bonne partie les sous-bois, envoient par leurs racines et grâce aux champignons, de l’énergie (du sucre) aux jeunes pousses en difficulté à l’ombre des géants. Et cela se produit même en faveur de jeunes arbres d’autres espèces. Les champignons qui ne disposent pas de la photosynthèse et rendent d’autres services aux arbres, se sucrent au passage.

La force incroyable d’homo sapiens ne réside évidemment pas dans les caractéristiques physiques des spécimens individuels propres à ce « singe nu », quoique*, mais dans la « pro-socialité » et la socialité des groupes humains.
(* Je note ici que Pascal Picq dans Premiers hommes abonde dans ce sens, mais relève une endurance d’homo sapiens sans équivalence dans le monde animal, due à son homéothermie par la transpiration sur une peau nue. En deux pages magnifiques, Pascal Picq décrit comment, à la fin d’une journée de traque d’une antilope par un petit groupe de chasseurs, ces derniers, moins rapides au sprint, sont toujours en capacité de poursuivre le quadrupède en état de surchauffe, qui finit tremblant face à ses tueurs, tous muscles inondés d’acide lactique et tétanisés.)

Pablo Servigne évoque d’autres apports scientifiques récents, y compris en psychologie sociale, qui font exploser le boniment et l’imaginaire néolibéraux, rappelant par d’autres voies La Dissociété de Jacques Généreux.

Il vient de publier en octobre, avec Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens, Une autre fin du monde est possible, au Seuil.

Et pour fermer la boucle de ce petit compte rendu très lacunaire, signalons que ce sont bien Pablo Servigne et Gauthier Chapelle encore, qui ont rendu en 2017 chez Les Liens qui Libèrent, ce titre qui met en joie:

L’entraide, l’autre loi de la jungle.

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