Brad Mehldau, pianinouï, pianoui, piano


Jazz in Marciac, Brad Mehldau (France 3 / Muzzik / Paris Première)

 

Bonjour!

C’est terrible le bégaiement.
Et par écrit, c’est pire.
Car les mots s’envolent, même ceux des bègues, tandis que les écrits, vous savez, durent ce que durent les encres, de l’original comme des copies. Dès lors des mauvaises langues ne manqueront pas de se faire le plaisir d’affirmer que, puisque je l’ai écrit, « pianinouï, pianoui, piano » , c’est que je l’ai voulu, réfléchi, que j’ai voulu faire le malin, et que, bien fait pour moi, ce n’est plus la peine de l’effacer, car il y a des copies Dieu sait où, des copies par exprès et des copies par inadvertance, des copies de machines dont personne n’a conscience, et qu’en plus de toute façon, Google, qui n’est pas sans partager quelques attributs du divin, Google garde tout.
Les mauvaise langues auront raté une occasion de se taire, et elles auront dit une grosse bêtise, car, pauvre de moi, la vérité est tout simplement que parfois, je bégaie affreusement au clavier.
Mais peu importent les mauvaises langues. Les intelligents et les bienveillants ne s’en laisseront pas accroire. (Pour « accroire » , d’accord, je l’ai dit exprès, et même, je l’ai vérifié.)

C’est terrible le consternement.        (**)
Et de son propre fait, c’est pire.
Car c’est déjà désagréable d’être consterné par autrui, mais l’être de son propre fait, oui, c’est proprement terrible. Je suis consterné par ma négligence, qui m’a fait ignorer Brad Mehldau. Bien que connaissant son nom depuis des années, jamais jusqu’à cette semaine je n’ai eu la curiosité de l’écouter. J’ai certes la petite excuse que personne ne m’a dit « écoute ça » , qu’aucun ami avec qui je partage le goût du jazz ne me l’a fait entendre, ou qu’il n’a pas donné de concert dans ma ville, mais ça n’allège pas mon consternement.
Ce qui est fait est fait. Or voici que Patrick m’a envoyé quelques mp3 du pianiste, dont ces deux pièces en solo, « Jazz piano » et « Memory’s tricks » .
Alors là, moi dont les doigts ont si souvent tapé pianon au lieu de piano, je ne peux les empêcher d’écrire, dans la stupeur de la découverte, pianoui, et même pianinouï.
Inouï, ça veut dire non-entendu, et ce pianiste qui était inouï reste inouï.

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, maxime douteuse de temps en temps vraie, je fouine un peu et je découvre Lee Konitz, lui aussi dédaigné de mes radars. Il est remarquable dans ce disque en trio avec Brad Mehldau et Charlie Haden qui, lui, est pour moi une vieille connaissance. Dès les premières mesures d’Alone together, qui donne son nom à l’album, le phrasé intime, chuintant et fragile de son saxophone me paraît de la plus grande audace. Ce morceau est ici sur Youtube: montez un peu le volume pour entendre l’air se faufiler dans l’instrument, et vous saurez dès les quinze premières secondes si cette musique vous parle ou pas.

C’est terrible le bavardement.
Et de le savoir, c’est pire.
On le sait, et rien n’y fait, ça nous prend et nous reprend.
On parle, on parle, et on perd le fil.
Heureusement, mon idée de commencer ce billet ne s’est pas perdue: j’ai découvert pourquoi j’avais négligé Brad Mehldau.

J’ai négligé Brad Mehldau parce qu’il a un nom qui commence comme Brad Pitt et finit comme Birkenau. (Je n’aime pas trop Brad Pitt.)
Ça peut paraître idiot, et futile, cependant parmi les ombres para-conscientes qui dirigent ma spontanéité au quotidien, celles qui gouvernent mes mouvements supposés se faire « au hasard », je suis sûr que telle est la raison de mon évitement.

 

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(**) « Forme introuvable » nous dit le Trésor de la Langue française, qui ne m’a pas encore lu.

4 réflexions au sujet de « Brad Mehldau, pianinouï, pianoui, piano »

    • 22 décembre 2015 à 0h11
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      Merci pour l’info et le lien! Et effectivement, il est venu à Liège en 1999, mais je n’étais pas là.
      J’étais dans la lune.

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  • 19 décembre 2015 à 8h26
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    Vraiment très bien écrit ton texte, Guy. Du brio oui, je partage l’avis de X.

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  • 19 décembre 2015 à 7h23
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    Le brio de ce billet m’en bouche un coin… Merci, vous me rassurez dans les cinq dernières lignes : il semblerait que vous fonctionnez comme tout le monde….

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