Bonjour!
Attention, ceci est du lourd, qui demande du temps et de la disponibilité d’esprit. Mais dame, nous aimons apprendre, non.
Si tout s’acquérait par des clics, on le saurait et nous ne serions pas ce que nous sommes.
Je vous propose ici un entretien réalisé par Blast, ce nouveau média en ligne créé par Denis Robert et des amis, qui a recueilli un formidable appel aux dons, ce qui indique bien l’attente et un besoin, et dont Condroz belge a déjà parlé non sans enthousiasme. Je n’ai pas hésité à me faire sociétaire.
La question posée en titre est historique, et ici c’est un philosophe qui s’exprime, Michaël Fœssel.
…Plutôt intéressant !
L’entretien dure une heure et neuf minutes. Vous pouvez juste écouter le début, vous ne serez pas rares à poursuivre, j’en fais le pari.
Michaël Fœssel aborde pas mal de choses, on s’en doute, dans ce long entretien.
Par exemple, les catégories politiques « gauche » et « droite » sont une construction séculaire, à laquelle on ne peut échapper. Elle apparaît en fait et simplement avec la naissance de la gauche, en 1789, ce qui conduit à nommer « droite » les conservateurs de toujours qui n’avaient alors pas d’autre étiquette. Il cite un auteur, est-ce Bernanos? : « Quand j’entends quelqu’un dire qu’il n’est ni de droite, ni de gauche, au moins je sais qu’il est de droite. »
Je suis pleinement d’accord, c’est presque toujours le cas!
N’oublions pas de noter, avec Frédéric Lordon, qu’aujourd’hui, dans l’exemple français, « Jadot, Hidalgo, Faure, et jusqu’à Roussel (qui fait de Biden un membre d’honneur du PCF) sont des personnages de droite », et qu’il y a même une « gauche d’extrême droite (Valls, Printemps républicain) ». …Ben oui!
Il ne nous avait pas échappé que lorsque se crée une chapelle « ni gauche ni droite », aux premières dissensions aucun journaliste ne manque de parler de « l’aile gauche » et/ou de « l’aile droite » de l’assemblage, comme il en a très vite été pour le parti d’Emmanuel Macron.
Dans ce contexte, le véritable « front républicain », mythe français qui a un temps désigné la stratégie d’opposition au Front National, le véritable front républicain potentiel aujourd’hui en France pourrait réunir tous les partis, y compris le Rassemblent National !, contre… le parti de Mélenchon, ainsi que l’a annoncé un diplômé en philosophie de plateau, annonçant que dans un duel opposant Marine Le Pen et Mélenchon, il voterait pour la première. Fœssel n’est pas le premier ni le dernier à l’observer.
C’est dingue comme les philosophes peuvent être pertinents dans des domaines qui ne sont « apparemment » pas les leurs, depuis Deleuze avec la société de contrôle et l’asservissement des individus à la dette (que les économistes étaient bien en peine de distinguer!), jusqu’à Grégoire Chamayou avec La théorie du drone (tous les théoriciens US de la guerre y passent) et La Société ingouvernable, deux sujets fort différents en termes de recherche et de bibliographie.
Peut-être ceci est-il une spécialité, si pas une exception, française. Ha ha, même si Michaël Fœssel est clairement, de naissance, germano-acculturé.
Incidemment, il cite la phrase de Camus par laquelle j’ai ouvert mon billet Ceci n’est pas une dictature sanitaire, « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » – Amusant!
Un dernier mot sur le terme galvaudé de dictature.
La démocratie est clairement mise à mal de nos jours. Mais il ne faut pas se raconter des histoires et considérer qu’hier ou avant-hier nous y étions, en démocratie!
Barbara Stiegler https://youtu.be/cIjbLK3w5Ks?t=4548 l’expose très clairement: le régime représentatif a été mis en place contre le pouvoir au peuple, contre la démocratie « cet enfant de la rue » (2 minutes).
Chez Fœssel comme chez d’autres, on parle sobrement d’État libéral autoritaire. Il énonce cette simple constatation: « le devenir autoritaire des États où règne une dérégulation économique sans frein est un fait ».
Cette dernière évolution faciliterait certes l’instauration d’une véritable dictature. En Grèce, lorsque les colonels ont pris le pouvoir, ils n’ont eu besoin que de six nouvelles lois pour disposer de l’arsenal législatif complet dont ils avaient besoin.
…Hauts les coeurs !
Guy
Note:
Mettons en résumé et par écrit, les deux minutes de Barbara Stiegler sur la démocratie représentative chez Tocqueville en son ouvrage classique, De la démocratie en Amérique (1835 et 1840).
Tocqueville, dit-elle, c’est un aristocrate. Son bouquin est un gros bouquin en deux tomes et il dit beaucoup de choses.
Mais en bref, il dit deux choses.
1. « Mes amis aristocrates, calmez-vous, la démocratie, c’est une loi de l’histoire, nous y allons, et nous n’y échapperons pas » , et
2. « Or le peuple, c’est dangereux, sauvage, indiscipliné/versatile. La démocratie, il faut l’orienter, il faut des gens responsables qui représentent le peuple. » (Avec mes mots, CB/GL.)
Le peuple selon Tocqueville? « Un torrent bouillonnant qui casse tout sur son passage » , cite Barbara Stiegler.
Elle présente Tocqueville comme beaucoup d’autres (Lippman), d’« adversaire de la démocratie, mais qui construit sa conception des choses, au nom de la démocratie ». En vidéo, deux minutes sur Thinkerview ici:
La démocratie représentative est anti-démocratique.
…La preuve commence à être faite dans les faits, faite dans les faits (répétez dix fois et vite), et Barbara Stiegler n’est pas seule du tout.
« la naissance de la gauche, en 1789, ce qui conduit à nommer «droite» les conservateurs de toujours qui n’avaient alors pas d’autre étiquette. »
C’est complètement l’inverse, gauche/droite est originellement une notion catholique: Le roy est le représentant de Dieu, à sa droite il y a ce qui est droit, juste, bon, et à sa gauche il y a ce qui est soupçonné être gauche, gauchi, tordu, traitre, diabolique, mauvais.
Donc dans les parlements les royalistes se mettent à droite, laissant la place de gauche aux autres…
C’est les conservateurs, se qualifiant eux-mêmes de « droite », qui fait que les opposants qui acceptent d’utiliser le parlement, outil royal, acceptent l’étiquette insultante de « gauche ».
La gauche existait bien avant 1789, mais pas en tant que revendiquée: Par exemple la Fronde est une manifestation de la gauche, puisqu’elle s’opposait au pouvoir royal. Et bien avant ça, les jacqueries pouvaient être vues par la droite, le pouvoir royal, comme une manifestation de la gauche.
Ainsi la gauche peut tout autant être du peuple, la gauche insultée, que de l’aristocratie, la gauche revendiquée.
La gauche est donc l’alliance contre-nature d’aristocrates (les républicains se parant de démocratie, et leur parlement, issu de la monarchie) et de démocrates (très libertaires).
Droite et gauche sont effectivement des signifiants immémoriaux, à charge pour chaque civilisation de les symboliser. Votre remarque ne change pas le fait que l’acception politique « gauche » en France est datée avec une relative précision, et que ce n’est qu’à partir du moment où il y a une gauche que la droite existe et inversement. Avant cette date, ce qui allait devenir la droite occupait tout l’espace, même à gauche du président de séance ou du roi, qu’on appelle plus « roy » depuis quelque temps… Et même si une place d’honneur était donnée « à la droite du père » dans les évangiles, pas sûr que ceux qui étaient à sa gauche fussent d’office des opposants, des contestataires ou des athées virulents.