Nicolas Hulot, une écologie sans politique

(Publié au départ dans La Libre, repris ou cité dans Courrier international, Grappe Belgique, Proxi-Liège, plennevaux.be/alexandre, Le pèlerin vagabond et quelques autres.)


L’appui unanime des médias aidant, Nicolas Hulot fait un tabac avec les malheurs de la planète. Sous le titre d’un « pacte écologique », qu’il veut « transpolitique », son livre et son site (1) font recette. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont annoncé leur adhésion : voilà toujours entre ces deux-là une pomme de discorde écartée, un bout de terrain déminé – à moins que ce ne soit une vraie convergence.

Sophie Divry a publié dans les Cahiers de l’IEESDS n°1, pour decroissance.org, « Nicolas Hulot, le pacte médiatique » (2), une excellente mise en perspective des actes et discours de l’animateur vedette, ses pompes et ses oeuvres, amis et projets. Marketing et sponsoring, produits dérivés, lignes de véhicules 4×4 labellisées Ushuaïa… l’argent, le pétrole et le CO2 coulent à flot dans le sillage du télé écologiste de TF1.

Il faut, face à cette grande machine médiatique, recentrer la question écologique, loin de l’image du monde lénifiante que nous construit jour après jour l’industrie omniprésente du spectacle. Il faut rendre leur place à quelques constats massifs et accablants, qui pèsent sur l’humanité mais sont quotidiennement marginalisés dans la représentation collective. Si, comme on peut le penser, la question climatique est en passe de secouer, outre nos paysages, nos modes de vie et de vivre ensemble, tout enjeu tenu secret ou inconscient pourra prêter à des manipulations considérables.

Or un interdit « transpolitique » hante la politique officielle, consensuelle et télévisuelle. Chacun le respecte. Il porte sur les vraies causes de la pauvreté.

Prenons un exemple. En 2002, des enfants sont morts de faim en Argentine. Pourtant, ce pays au nom emblématique, de 38 millions d’habitants, assure une production agro-alimentaire permettant de nourrir 180 millions de personnes d’après Le Monde, ou 300 millions d’après L’Humanité (3). D’autres cas sont répertoriés, de contrées connaissant des famines mortelles alors qu’elles exportent du riz ou des biens de subsistance. L’Indochine française en était, vers 1947. Comment comprendre ces drames ?

Réfléchissons. La seule explication satisfaisante réside dans les rapports d’appropriation qui permettent aux uns, de disposer de la production, et aux autres, de vivre dans la misère. (Au passage, les discours patriotiques de solidarité nationale montrent ici leur fausseté, qui est leur vérité.) La faim dans le monde n’a pas d’autre logique. Aujourd’hui, l’Inde exporte des céréales alors que la moitié de ses enfants souffrent de malnutrition (4). Et sur une planète où la production alimentaire est de taille à largement suffire à l’humanité, 24.000 personnes meurent chaque jour des conséquences de la faim (5).

Chacun comprendra qu’il en va ainsi pour la question sociale dans son ensemble. La faim et la misère ne sont dues, ni à un manque de croissance économique, ni aux limites de la productivité agricole, elles sont un effet de la répartition sociale des ressources, une conséquence des rapports sociaux. Leur résorption n’est pas un défi technique ou scientifique, mais un problème de société, l’affaire de tous, une interrogation éminemment politique. La question sociale ne relève pas de l’expertise, mais du débat.

Alors débattons. Certaines vérités sont soigneusement occultées. Depuis l’antiquité, les élites ont consacré des efforts constants à travestir la réalité de la pauvreté, à l’adresse des gouvernés bien entendu, mais aussi pour leur propre paix de l’âme. John Kenneth Galbraith, économiste honnête alors au sommet d’une carrière où il a connu tous les honneurs, un Joseph Stiglitz (6) avant la lettre en somme, l’affirme dans un article célèbre, « L’art d’ignorer les pauvres » (PDF). Il nous explique comment de tout temps les pouvoirs se sont attachés à « évacuer la pauvreté de la conscience publique » (7).

L’ami des multinationales Nicolas Hulot s’inscrit sans conteste dans cette lignée ancestrale trop respectueuse – et trop profiteuse ! – des injustices sociales. Il travaille avec d’autres à un capitalisme vert qui sauvera l’essentiel : les inégalités. Rien de plus. Les Grünen allemands sont déjà largement gagnés à cette mouvance, et avec eux un nombre chaque jour croissant de patrons intelligents ou cyniques. Sophie Divry nous donne la liste des marchands de canons et de pollution qui soutiennent l’animateur de TF1.

Dans une page aujourd’hui disparue de son site figurait la question : « Les parisiens fortunés qui se rendent chaque week-end à Marrakech cesseront-ils d’y aller parce que leur billet d’avion coûtera 400 euros de plus ? » Audacieuse franchise ! La réponse donnée était positive, en raison d’un « effet d’entraînement » prétendument déjà observé… L’argument a été abandonné.

Si nous suivons des recommandations présentées comme techniques, à l’instar de celles, non pas transpolitiques, mais apolitiques, de Nicolas Hulot, les vrais pouvoirs seront libres de tout questionnement. A ce titre ils imposeront d’autant plus aisément des solutions inéquitables faisant payer le prix de l’ajustement, une fois de plus, aux plus pauvres. On ne pourrait alors qu’assister à une reconduction de la domination sous des formes inédites, avec une mystification idéologique renouvelée, où l’argument d’une contrainte écologique non socialement analysée remplacerait peu ou prou l’actuelle et supposée intangible loi des marchés.

Telle est, pauvres de tous les pays, la nouvelle nécessité que les grands médias vont vous vendre, tel est le plan des élites triomphantes. Vous croirez sauver vos descendants, mais vous assurerez leur sujétion au salariat, régime qui a mené l’espèce au bord du suicide. Vous croirez faire des sacrifices pour la Vie et pour la Planète, mais vous nourrirez Moloch. Alors qu’ils iront travailler en bicyclette, vos petits-enfants, par leurs impôts et par leurs achats, financeront la jet society, « carbon dioxyde authorized », des héritiers de Monsieur Hulot et ses soutiens.

Les élections sont libres. Elles ne présagent aucune réelle mise en question tant que les dominés font leurs les règles de la domination. Ainsi règne la servitude volontaire, énoncée en 1549 par un Étienne de la Boétie âgé de dix-huit ans (8). Presque cinq siècles plus tard, vous lui promettez, chers admirateurs de Nicolas Hulot, une gloire éternelle.

 

 
(1) http://www.pacte-ecologique-2007.org
(2) L’IEESDS est l’Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable, et le numéro 1 de son bulletin est offert en supplément à « La Décroissance » du 22 novembre 2006 (en kiosque). On peut lire l’article de Sophie Divry sur http://www.decroissance.org/index.p…
(3) Archive payante sur le site du Monde : http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHAT… , archive gratuite sur le site de l’Humanité : http://www.humanite.fr/journal/2002…
(4) Martine Bulard, « L’Inde reprend son rang », Le Monde Diplomatique, janvier 2007, page 11
(5) Allocution d’ouverture du secrétaire général des Nations-Unies au Sommet alimentaire mondial, Rome, 10 juin 2002, http://www.unhchr.ch/huricane/huric…
(6) Prix Nobel d’économie, ancien conseiller du président Clinton et ancien vice-président de la Banque Mondiale, Joseph Stiglitz est devenu un pourfendeur de la pensée économique dominante – http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph…
(7) http://www.espacesdialogues.org/pdf/Derriere_la_fatalite_epuration_sociale_art_ignorer_les_pauvres.pdf. Pour aller plus loin, on fera son miel du testament de ce grand économiste, père du concept de technostructure, et disparu en avril 2006 à l’âge de 97 ans : Les Mensonges de l’économie, Grasset 2002, 92 pages, 9 €.
(8) Discours de la servitude volontaire, texte complet sur www.forget-me.net et résumé sur www.fr.wikipedia.org .Extrait : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

Laurent Bigot, ancien sous-préfet: « Je ne reconnais pas la police avec laquelle j’ai travaillé »

 

Bonjour!

Laurent Bigot a été diplomate. Sous-directeur du département Afrique de l’Ouest au Ministère des Affaires Étrangères depuis 2008, il a été limogé en 2013 après avoir annoncé la chute de Blaise Compaoré, dirigeant sanglant du Burkina Faso (compromis notamment dans l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara), qui allait effectivement s’enfuir du pays en 2014 suite à la révolte de la jeunesse, à des émeutes populaires et à des mutineries dans les forces de l’ordre et l’armée. Le ministre français des affaires étrangères de l’époque avait beau être « socialiste » comme son président François Hollande, Laurent Fabius servait les serviteurs de la Françafrique. Lire la suite

Abdennour Bidar: « La fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous »

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Photo www.myweb20.it

Bonjour!

« La fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous.»

Cette phrase est d’Abdennour Bidar, Français de double et haute culture.
En lisant son parcours tel qu’il le présente brièvement sur son site créé après les attentats de Paris en novembre 2015, on se prend à s’extasier de constater comme l’immigration peut incroyablement enrichir le pays d’accueil et de non-accueil. Car comme me le disait je ne sais plus qui, dans mon sommeil peut-être, le pays d’accueil est aussi le pays du non-accueil, et inversement. Lire la suite

Noël: sang humain dans nos icadeaux

 

La machine est ton seigneur et ton maître
Yang – Jenny Chan – Xu Lizhi, La machine est ton seigneur et ton maître, Agone 2015, 128 p., 9,50 € – Traduit de l’anglais par Celia Izoard

Bonjour!

Nos sociétés, Californie en tête, versent dans l’ère « post-industrielle ». Cette réalité n’est vraie qu’à condition de séparer les uns des autres les territoires d’un monde que l’on déclare par ailleurs unifié dans la ‘mondialisation’.
Car la société post-industrielle n’existe pas sans l’industrie. Elle serait morte sans qu’ailleurs des usines ne fabriquent les objets matériels omniprésents, en particulier les plus récents. Lire la suite

Qu’y a-t-il à débattre? L’Utopie.

<small>D'après Ecuador, Une politique au-delà de l'utopie, film de Jacques Sarazin</small>
D’après Ecuador, Une politique au-delà de l’utopie , film de Jacques Sarazin

 

Bonjour!

Le mois de décembre porte à jeter un regard sur l’année écoulée, et la méditation nous mène rapidement au-delà, …vers l’arrière, alors même que notre préoccupation porte sur l’avenir. Amusant.

Je mettais en ligne sur le site de Paul Jorion, sous la forme faussement blagueuse d’un appel au secours, l’opinion ci-dessous en août 2011. En réponse à une adresse faite par l’anthropologue de la crise à Manuel Barroso et à ses pairs.

Le texte et les liens sont ici mis à jour, le dernier en étant le plus important, sans être le plus récent – oublions de croire que tout ce qui a plus de trois mois est ringard. C’est un article écrit par Cornelius Castoriadis à la fin de sa vie, « Stopper la montée de l’insignifiance. » Vous pouvez y courir sans lire le reste, pour gagner du temps: je fais le pari que vous serez quelques-uns à y trouver ce que vous avez toujours pensé, sans oser (ou savoir) vous le formuler. Il est le vrai message de ce billet qui se cherche un peu, tournicote, oui, une méditation.
Par ailleurs, l’image du théâtre en feu est empruntée à Serge Halimi, dans une conférence qu’il a prononcée à Liège en novembre 2006.
Et, bien entendu, vous actualiserez la marionnette Sarkozy.

Comme, d’une part, l’esprit de cet « Au secours! » n’était pas de répondre à une contingence électorale ou d’appareil, un besoin professionnel, une actualité du système médiatique, et que d’autre part, le monde n’a pas notablement changé depuis le jour de sa publication, sa pertinence, ou son impertinence – je veux dire: sa non-pertinence -, ne me paraissent pas affectées par les vingt-huit petits mois écoulés. La lectrice jugera.

Bonne soirée, bonne journée!

 

Guy

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AU SECOURS ! Lire la suite

Quelques nouvelles de la « règle [du veau] d’or »

Illustrations: Le blog d’ Eva, R-sistons à la crise, L’arène nue – Le blog de Coralie Delaume, Contrepoints.org


 Bonjour, bonsoir, ou bonne nuit !

1.
Ce matin à Matin-Première, de la RTBF, Pierre Larrouturou a fait sauter la langue de bois ordinaire de la radio publique nationale belge francophone, entre 7h30 et 8h50. (À 5h25, le parlement votait, les doigts sur la couture du pantalon, une réforme de quarante années de régime des pensions, montée comme une sauce en quelques jours. Il n’est pas impossible que ceci ait favorisé cela pour le choix de l’invité du jour.)
À ce qu’il dit, la moitié de son dernier livre, « Pour éviter le krach ultime », est consacré aux solutions.
Je le trouve très calme, très précis, très convaincant.
Le fait majeur, totalement inaudible à droite et chez la plupart des sociaux démocrates, c’est que la pression sur les pensions qu’ils nous arrachent, représente 1% du PIB, alors que depuis trente ans, ce sont DIX % du PIB, qui allaient à la part des revenus du travail, qui vont maintenant aux revenus de la propriété. La part des salaires au sens large est passée de 67 à 57 % du PIB. C’est, en trois lignes, la lame de fond qui a rendu nécessaire l’endettement privé, et inévitable l’endettement public, ce dernier copieusement renouvelé pour le sauvetage des banques en 2008.

Podcast:
http://www.rtbf.be/radio/player/lapremiere?id=1506413&e=

(L’aveuglement des gouvernants actuels, y compris de ceux qui n’ont pas encore été remplacés, prime à l’incompétence ou vérité ultime de la démocratie représentative, par des ex-tenanciers de Goldman Sachs ou Lehman Brothers, est incroyable. Elio Di Rupo va prendre une sacrée place dans l’histoire!
Je me demande si c’est réellement une incapacité de penser la crise qui les afflige, ou si c’est carrément la protection de la finance qui les anime. Le tout appuyé par une passion d’agir et de « réussir » d’abord, et de s’arranger avec la pensée ensuite, ou plutôt d’arranger la pensée ensuite.
« Je n’ai qu’une vie, et je la réussis. »)

2.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel, dont le dernier livre est titré, en français, Le triomphe de la cupidité (« Chute libre » en anglais – Freefall: Free Markets and the Sinking of the Global Economy), peut être lu en textes courts et dans notre langue sur le site projetct.syndicate.org:  http://www.project-syndicate.org/syndication/joseph-e–stiglitz.
Après quelques jours, une semaine parfois, le drapeau britannique en haut à droite de la page donne les différentes langues en lesquelles existe une traduction – pas toujours très bonne -, mais saluons l’offre polyglotte de project-syndicate.

3.

La chronique économique de Paul Krugman, autre prix Nobel d’économie étasunien un peu revenu du « fondamentalisme des marchés » (Stiglitz) est en français sur le site de la RTBF: http://www.rtbf.be/info/chroniques/archive_paul-krugman?chroniqueurId=5032403

4.
Un vent d’espoir se lève!

par Paul Jorion

MADRID, 21 décembre 2011 (AFP) – Luis de Guindos, ancien président de la banque Lehman Brothers pour l’Espagne et le Portugal, a été nommé mercredi ministre espagnol de l’Economie.

Rejoignant MM. Monti, nouveau Premier Ministre italien, ancien conseiller de Goldman Sachs, et Draghi, Président de la Banque Centrale Européenne, ancien directeur en exercice de Goldman Sachs International, M. de Guindos confirme brillamment la nouvelle « Règle d’or » en matière de politique : le principe souverain de la « prime à l’incompétence ».

Nul doute que le projet d’une Constitution pour l’économie, réclamé à cor et à cri par l’opinion publique internationale, sera confié incessamment à M. Bernard Madoff.

http://www.pauljorion.com/blog/?p=32179

5.
…Sans oublier Frédéric LORDON, économiste et ingénieur, directeur de recherches, dont les esprits littéraires apprécieront son histoire de la crise en alexandrins, D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes, et en alexandrins (Le Seuil.) Ni Jacques SAPIR, Emmanuel Todd, Les économistes atterrés et leur Manifeste (cadeau de fin d’année), Daniel Mermet et son émission quotidienne sur France-Inter, son répondeur et son réseau de bistrots, Les repaires de Là-bas si j’y suis,… de plus en plus de beau monde !

 

Joyeux Noël !

Les notes en bas de page du Diplo

Le drame de Julian Assange, résumait en 2019 le journaliste Jack Dion, c’est d’être australien et non pas russe. S’il avait été poursuivi par le Kremlin, (…) les gouvernements se disputeraient l’honneur de lui offrir le droit d’asile. Son visage serait affiché sur la façade de l’hôtel de ville de Paris, et Anne Hidalgo mettrait la tour Eiffel en berne jusqu’au jour de sa libération (3). XXXXX

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(3)XXXXX Jack Dion, « Ah ! Si Julian Assange avait été russe… », Marianne, Paris, 19-26 avril 2019.