Bonjour !
Ceci est le début d’une réflexion, dont je me contente de méditer et rêver la suite, qui n’est pas écrite.
Qu’est-ce que la dédiabolisation ? Le dictionnaire nous annonce qu’il s’agit de « l’action ou le fait de dédiaboliser, de faire perdre son caractère ou sa réputation diabolique à quelque chose ».
Le diable existe comme figure populaire attachée aux superstitions, …religions comprises.
C’est à des moines irlandais que remonte l’iconographie chrétienne du diable et des diables, et le Vatican entretient un satanologue officiel de haut rang, lequel nous assène qu’il existe 9.383 diables dont il donne les noms, à défaut de leurs numéros de téléphone que j’attends impatiemment. Ce prélat dit « dans les Enfers », mais il faut comprendre « sur Terre » bien entendu, sinon à quoi bon.
Mon diable préféré s’appelle Alastor, dont j’ai fait, dans un petit conte personnel intitulé Alastor amoureux, un défroqué qui par amour pour une Terrienne renonce et à sa fonction où il excelle, et à l’immortalité, car telle est la seule voie d’accès au partage et à la jouissance de ses sentiments.
Une fois le mot diable posé, nous sommes dans des références magiques, dans un système de croyances étanche à la pensée rationnelle, où la raison ne peut que tenter de délivrer un masque rationnel sur un jeu de prémisses délirantes, de même que par exemple, une fois ses hypothèses initiales acceptées, le paranoïaque pur ou d’anthologie est un être d’une redoutable rationalité, hélas construite sur le sable de ses attendus. La foi est le ciment de ces discours, et la foi ne se démontre pas en arguments, elle s’éprouve. Circulez, mécréants.
La foi est une appropriation mesquine et illégitime, par les religions, d’une propriété du vivant, qu’avec Spinoza nous pourrions appeler « la persévérance dans l’être », que nous partageons avec le brin d’herbe, la poule, les bactéries et tous les autres organismes, une propriété qui nous habite tant que nous sommes vivants. Oui, la poule a la foi, monseigneur, la bactérie a la foi, le brin d’herbe a la foi, et moi le mécréant j’ai la foi aussi, bien que vous ne nous ayez pas baptisés. Quand un être humain, par désespoir ou autre, perd la foi avant l’heure, il en meurt avant son heure, et cela arrive, sans autre maladie ni accident, ni grand âge.
L’appropriation de la foi universelle par les religions est illégitime comme toute appropriation d’un bien universel. Elle est mesquine, car tellement plus petite que son objet. Consubstantielle à l’inévitable notion de « la seule vraie foi », elle a à ce titre largement nourri les guerres et les assassinats.
* * *
Passons au concret.
Nous assistons en France, en Flandre belge, et un peu partout dans le monde occidental riche, à une dédiabolisation de l’extrême-droite, nous répètent les commentateurs.
Par exemple, les excellents Usul et Ostpolitik de Mediapart résument leur communication, « Dédiabolisation’ et ‘arc républicain’ : cinq ans de confusion », par :
L’extrême-droite aurait donc d’abord été diabolisée ? …Soit.
En termes plus opérationnels, dédiabolisation vaut ici banalisation. Il s’agit simplement de l’adoption croissante, par les pouvoirs et les conservatismes, des mantras fascisants, au titre de protection contre une insurrection des consciences qui se définirait plutôt dans un arc dit de gauche, soit en faveur de l’émancipation des humains et d’une égalité plus effective que formelle, une mise à jour en somme de l’Abolition des privilèges du 4 août 1789. Pour les titulaires de privilèges d’aujourd’hui, les toutes grandes fortunes et leurs féaux, du haut management, des intellectuels de cour, des médias de milliardaires, jusqu’aux sachants et mercenaires de divers niveaux, y compris politiques, « aucune position n’est jamais trop à droite s’il s’agit de conserver l’existant », selon les mots de je ne sais plus quel auteur, peut-être Frédéric Lordon, ou un autre signataire du Monde diplomatique.
Pouvons-nous parler, partout dans le monde, d’une dédiabolisation de la finance ? À vrai dire, la finance mondialisée n’a guère été réellement diabolisée comme elle le mérite, sauf dans des cercles très restreints.
La finance n’est pas diabolisée, elle est, et que cela suffise.
Il y a plus de trente ans qu’un économiste étasunien pourtant bien conformé a énoncé que « l’économie [productive] est devenue la petite filiale d’un casino géant ». Nous sommes en effet à une époque qui nous oblige à parler d’économie réelle, comme s’il y en avait une autre. L’industrie financière, car elle est une industrie, dispose en réalité de privilèges diabolisés par la doctrine économique dominante elle-même : les États, pourtant globalement honnis par la pensée libérale, organisent en faveur de la finance la plus grande liberté d’action, lui conférant de la sorte un protectionnisme mondialisé – tandis que toute lectrice d’une brochure de vulgarisation de la dite science économique, tout étudiant de première année, tout journaliste diplômé, ont appris et ne doutent pas que le protectionnisme est en soi une illusion destructrice, à proscrire par tous les moyens.
La vérité historique est que la finance écrase la part salariale du produit intérieur brut, elle « tue la société » comme l’a écrit un auteur, elle se nourrit du chômage, comme l’a reconnu avec le sourire un gestionnaire de fonds d’investissement face au journaliste François Ruffin qui n’était pas encore député. La finance est à ce point célébrée par la propagande qu’elle a échappé à la stigmatisation satanique des foules ignares ou distraites, pour ne voir reconnaître sa vérité que dans des cercles trop étroits, qui eux ne recourent pas à la symbolique des Enfers.
Cette symbolique n’est que trop présente dans le récent et large mouvement « anti-vax » : diabolisation des très grandes fortunes et du big pharma, qui certes « le valent bien », délires sur les visées satanistes et pédophiles des pouvoirs et leur projet de dictature mondiale au bonheur programmé, obsessions diverses. Le diable ici ne serait pas dans les détails, mais dans les coulisses et dans l’éther, omniprésent et omnipuissant ou presque, car seuls de courageux croyants s’imaginent ne pas s’en laisser conter, en héroïques résistants à l’invasion de leurs propres fantasmes. En réalité ils ne connaissent que l’Internet sur mesure où les confinent les algorithmes des Gafam, autres habitants de notre boîte de Pandore mondialisée. Les enthousiastes et prophètes de l’Internet y voyaient à ses débuts une promesse d’émancipation universelle grâce à un accès jamais vu à l’information et à la connaissance, une véritable révolution (sans révolutionnaires), et c’est le contraire qui s’est produit. Les algorithmes voués à la rapacité des grandes entreprises numériques ont transformé l’Internet mondial en tunnels individualisés où les inconscients et les distraits n’accèdent qu’à des informations douteuses et redondantes, « partageant » à l’infini leurs propres lubies.
Dédiaboliser Poutine ? Une chronique toute récente de Slavoj Žižek nous dit :
Les « pacifistes » occidentaux insistent pour que nous « dédiabolisions » Poutine.
Il y aura tôt ou tard une sorte de négociation, et nous devrions donc le traiter comme un futur partenaire. En fait, nous devrions faire exactement le contraire : l’attaque contre l’Ukraine nous oblige à re-démoniser Poutine, non pas personnellement mais en tant que représentant d’un dangereux projet géopolitique et idéologique.
Je vous laisse découvrir ces lignes roboratives et croustillantes du trublion slovène, ici en PDF, avec le texte original en anglais et une traduction française automatique par Deepl.com.
…La vie est belle !
Guy
Bonjour Guy,
Intéressant comme toujours.
L’idée de caser différents secteurs et principalement économiques sous la loupe de la diabolisation est pertinente.
Mais la scientifique qui m’habite craint des circuits trop courts dans une réflexion partisane et des amalgames qui tentent à tout diluer dans une grande soupe populaire.
La science, physique, chimie et autre rationalité doivent sortir du débat des croyances.
On ne doit pas tout laisser aux mains (ou à l’esprit) des financiers, économistes et politiciens.
Bien à toi
Cathy
Avez-vous vu sur Arte les reportages sur l’union soviétique entre 1920 et 1975 ; le goulag et le tyran; et cela continue!!!
NdCB: de temps en temps cette enquête est en accès libre pour plusieurs semaines sur arte.tv.
Sinon, comme en ce moment, on peut acheter le DVD (20 €) ou le VOD (Video on demand, fichier sans support matériel), 8 €.